• L'aventure ubuesque des cryptomonnaies

    Y compris d'un point de vue libéral, des interdictions ont leurs solides raisons d'être. De ce même point de vue, il y a un très substantiel motif économique qui rend souhaitable de sortir de l'aventure des monnaies cryptographiques. Pour franchir la porte de cette sortie, le statut privé de ces monnaies donne le moyen juridique de faire le pas décisif.

    Sur ce que sont en particulier Bitcoin, Ether, Dash, et en général les cryptomonnaies ou monnaies virtuelles, je renvoie à ce qui se glane par internet, instrument sans lequel ces créatures n’existeraient pas – pour ma part, j’écris cryptomonnaie sans trait d’union après « crypto », du grec kruptos « caché », parce que l’usage a entériné cet effacement pour « cryptogramme, cryptogénique, cryptogame, cryptocommuniste » notamment. Pratiquement, que ceux qui ont besoin de toucher pour voir de quoi il retourne changent donc peu d’euros en l’une de ces cryptomonnaies. Mais on peut éviter le risque de la contamination et le repérage d’un équipement informatique en s’imaginant avoir procédé à un tel change, sans se laisser détourner des faits ci-après rapportés car ils sont indispensables au discernement de ce qu’il y a pour l’essentiel d’économiquement caché au grand public dans le zèle monétaire des descendants informaticiens du Père Ubu, immortel manipulateur de la pompe à phynance.

     Deux autres conditions d’existence qu’un appareillage informatique

     À l’existence des cryptomonnaies, il ne faut pas que celle d’internet et de la multitude d’équipements informatiques qui, sur les lieux de travail et à domicile et en déplacement, sont interconnectables très aisément et à hauts débits. Il faut aussi l’existence de monnaies légales, elles réelles. Ces dernières ne sont pas du tout virtuelles grâce à un dispositif législatif si simple et de si grand usage qu’on a tendance à le perdre de vue, ou encore tendance à voir ces monnaies enfantées et gardées en vie par machiavélisme. Sur le territoire d’une nation, ou comme dans le cas de la zone euro sur les territoires des nations qui font monnaie commune, une monnaie a cours légal dès lors que le législateur interdit de refuser un paiement au motif qu’il est effectué dans cette monnaie, quelles que puissent être par ailleurs ses défauts. Rien de plus, rien de moins.

    Dès lors que cette interdiction est édictée, il devient inévitable et nécessaire que l’unité monétaire légale soit aussi celle dans laquelle les stocks et les flux de valeur d’échange marchand sont comptabilisés. L’obligation constitutive d’une monnaie légale crée une exclusivité en matière de publication, au sens juridique de cette notion : l’emploi en quantification monétaire de cette unité-là ou d’une autre devise qui soit la monnaie légale dans son aire géographique d’origine. C’est du côté des raisons de ces nécessités triviales que se trouve ce qui rend économiquement néfastes les cryptomonnaies et d’autres monnaies privées – une monnaie légale est la monnaie publique dans l’espace pour lequel elle a été promulguée. Toutefois, avant de situer la défaillance inhérente à toute cryptomonnaie, prenons acte d’une autre condition d’existence d’une monnaie cryptographique : l’utilisation de plateformes de séquestre. Moyennant l’acquittement d’une commission en règle générale, la monnaie légale changée contre de la cryptomonnaie arrive sur une telle plateforme, ou dans un réseau de telles plateformes. Au rebours et toujours moyennant l’acquittement d’une commission en règle générale, la monnaie légale obtenue par change de cryptomonnaie provient d’une telle plateforme ou d’un réseau de telles plateformes, interfaces privées entre de la monnaie privée et de la monnaie publique.

    Le motif économiquement le plus décisif

    Des deux conditions d’existence des cryptomonnaies qui viennent d’être rappelées découlent le moyen de les rendre illégales, puis celui de les renvoyer dans le vaporware où les attend le Père Ubu – lequel depuis le temps d’Alfred Jarry se tient initié en codage informatique de dernier cri le plus foutraque. Pour rendre les cryptomonnaies illégales, il suffit d’ajouter dans les législations nationales sur les moyens de paiement l’interdiction d’accepter un règlement par monnaie privée, y compris quand cette dernière se présente sous la forme de jetons ou de points. Cela fait, les plateformes de séquestre deviennent des établissements financiers dont les gérants commettent un délit.

    Dans les flux de valeur d’échange marchand, il y a notamment celui des revenus strictement dits, à savoir les rémunérations d’une part du service du travail aux individus qui le fournissent, d’autre part du service de placements aux épargnants qui le fournissent (individus, ménages et autres associations privées non commerciales). L’économie réelle, c’est de ce côté. Une spéculation financière n’est collectivement enrichissante que si elle participe au grossissement d’au moins un flux national de revenus, que cette spéculation soit au final réussie ou ratée pour celui qui l’a tentée. Comme pour d’autres instruments financiers concoctés à coup d’algorithmes et de prémisses douteuses, on ne se donnera jamais assez de mal pour expliquer que la spéculation sur le cours, en monnaie légale, d’une cryptomonnaie n’est pas collectivement enrichissante. À l’instar des autres outils de la même sorte de spéculation, elle ne fait que transférer du pouvoir d’achat des perdants aux gagnants d’un jeu d’argent, alors que ce dernier ne tire finalement sa valeur que de la dépense d’énergie humaine en production incessante de nouveaux services et biens (sur ce à quoi peut conduire ce constat, le lien placé dans le dernier paragraphe du présent texte envoie à une épure).

     Irréductibles l’une à l’autre, deux manières d’être conséquent avec ses préférences

     Les cryptomonnaies, outre qu’elles consomment beaucoup plus d’électricité qu’aucun autre moyen de paiement et de spéculation, contribuent à l’expansion du capitalisme de plus-value, par distinction d’avec le capitalisme de rendement lui centré sur l’augmentation du revenu moyen par habitant. Pour une part non négligeable à cause de la mentalité dont elle procède, l’expansion de l’addiction à la plus-value ne peut prospérer qu’au détriment de l’augmentation de la prospérité et de l’autonomie économiques de la population la moins fortunée, avec la circonstance aggravante que cette population est la plus touchée par le renchérissement du logement en conséquence de l’inflation nichée qu’alimente trop de tolérance à la spéculation non collectivement enrichissante.

    Certes, ils sont conséquents avec leurs préférences ceux qui souhaitent la prolifération de râteaux à plus-values sur les tables des casinos par blocs de chaîne et minage à haute fréquence (ce dont il s’agit se trouve, entre autres sources d’information, dans Wikipédia à l’entrée Bitcoin). Mais aussi ils sont conséquents avec leurs préférences ceux qui souhaitent la disparition des cryptomonnaies parce qu’ils estiment qu’en économie doit primer l’augmentation du revenu moyen des ménages ; et pour ce faire primer également la tension constante vers le plein-emploi et la hausse du coût du travail – mais oui ! –, sans glissade dans la dépréciation monétaire chronique ou dans son avatar que constitue la baisse du coût qui vient d’être dit (sur cette possibilité, voir Les clés de la stabilisation et de l’union monétaires). Sans angélisme, aussi. Pour que ce devoir l’emporte tout à fait, il faudra de toute évidence le courage de tout un lot d’autres rigueurs. Actuellement, dans le « en même temps » d’Émmanuel Macron et de la République en Marche, il n’y pas en économie un assez haut degré de rigueur conceptuelle en soutien d’un plus haut degré de rigueur gouvernementale dans la gestion des finances publiques et dans la prévention organique des crises d’endettement à venir ; cela cependant que dans les autres partis et dans les laboratoires d’idées les plus en vue l’élévation du débat public par davantage de rigueur en analyse économique semble bien ne pas être encore en passe d’arriver à l’ordre du jour.


    Le présent article et l’article auquel il renvoie prolongent le propos publié en octobre 2016 sous le titre Les atouts du capitalisme de rendement. Ce fut à l’initiative et avec le concours de Jacques Bichot, dans des conditions telles que ce dernier est de fait le coauteur de cet article de 2016.


     


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 3 Décembre 2017 à 20:47

    Un ami de dmic lui a écrit par texto : « Salut Dominique, je viens de parcourir ton article sur les cryptomonnaies. Je comprends tes critiques objectives, mais finalement n’est-ce pas une réalité monétaire poussée un peu plus loin (spéculation sur les monnaies, les actions, l’or, …). La vraie question me semble : quelle place vont prendre les cryptomonnaies dans l’économie future. Alain ». Dmic lui répond :

    Cher Alain, la place que la génération de tes enfants, qui est à peu près la même que celle de mes petits-enfants, va lui accorder, ce qu'elle ne fera lucidement qu'en élargissant ta question : souhaitons-nous que dans les décennies qui viennent l’industrie de la plus-value prenne davantage de place ? Ou moins ?

    Depuis les années 1970, la place de l’industrie de la plus-value a beaucoup augmenté. Cela ne pouvait se faire que moyennant une pratique de moins en moins équitable des échanges marchands, dont l’échange actionnarial et l’échange salarial ; ainsi que moyennant d’autres dommages, notamment sur le front de l’emploi. Si la génération de tes enfants et sa suivante veulent poursuivre dans la même direction, il restera logique à leurs yeux qu’elles voient un progrès dans les cryptomonnaies.

    Beaucoup d’ascendants encore vivants ont empiriquement constaté l’insalubrité de cette direction, souvent douloureusement eu égard à leur parcours professionnel et à ce que leur coûte leur logement et celui de la progéniture partie du nid. Puisse parmi ces empiriquement instruits s’en trouver de plus en plus qui se donnent le mal d’expliquer aux jeunes gens pourquoi cette poursuite aura des conséquences de plus en plus funestes. C’est d’autant moins facile que la fascination exercée par les spéculations qui, telles celles sur de la cryptomonnaie, ne participent pas à la hausse des revenus par tête détourne de la considération de ces conséquences.

     

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