• Parabole de l'intendant infidèle, Laudato si', écologie

    D'après quelques rapides investigations sur la Toile et dans nos archives, il semble bien que la parabole de l’intendant infidèle (saint Luc 16, 1-18) ne soit que rarement citée, lorsqu’il est question de vision chrétienne de l’écologie. Pourtant, la transposition à la gestion par l’humanité des biens mis à sa disposition par le Créateur, semble aller de soi : depuis un ou deux siècles, nous nous acquittons dans l’ensemble avec une négligence grandissante de notre tâche d’intendants de la Terre. Dans certains cas, nous saccageons et dilapidons ce patrimoine au lieu de le cultiver et le faire fructifier. Le Créateur est donc en droit de nous demander des comptes sur la gestion des biens qu’Il nous a confiés, de génération en génération, ce qui doit nous conduire soit à nous réformer soit au minimum à chercher une issue honorable comme le fait l’intendant de la parabole.

     

     

    Parabole de l'intendant infidèle, Laudato si', écologie

     

     

     

     

    Intendant infidèle, gérant d’iniquité, gérant habile, intendant avisé, économe malhonnête, trompeur, régisseur malhonnête …cette parabole (saint Luc 16, 1-18) est réputée être une des plus difficiles de l’Evangile, car une des plus scandaleuses (au sens premier du terme, «qui fait trébucher»). En effet, en faisant l’éloge de l’habileté que met ce gérant malhonnête ou négligent à se tirer d’une mauvaise passe, le Christ semble approuver l’ensemble de son comportement ; de plus, dans les limites de cette parabole, Il ne semble pas réclamer sa conversion. Cependant, à l’évidence l’intendant malhonnête enfreint cependant gravement au moins deux des Dix commandements, semble ignorer les Béatitudes et compte à son actif (ou plutôt son passif...) plusieurs péchés capitaux, ce qui n’a rien de très original.

    Malgré cette difficulté, il nous a semblé utile d’ouvrir quelques pistes et d’identifier quelques correspondances. Puisse cette brève analyse   inspirer des réflexions plus approfondies qui déboucheront peut-être, elles, sur des conclusions pratiques.

     

    1/ Que nous dit exactement la parabole de l’intendant infidèle, qui puisse s’appliquer à l’écologie ?

                    La lecture de la parabole de l’intendant d’iniquité est au moins double : une première lecture, la plus importante, concerne le gaspillage que nous faisons souvent du bien de l’existence et des biens matériels ou immatériels  et autres talents qui nous sont donnés ou confiés, au lieu de les ordonner à notre salut, en y mettant autant d’habileté qu’à gérer nos biens matériels et périssables. La seconde lecture, à laquelle nous nous limitons ici, concerne la façon dont nous gérons la Création qui nous a été confiée en dépôt, pour l’embellir aux côté de Dieu et l’utiliser pour notre salut.

    Il serait évidemment utile de commencer par se livrer à une exégèse des nombreux qualificatifs qui ont été utilisés au fil du temps et des interprétations par différents auteurs pour qualifier cet intendant (dont nous verrons plus bas qu’il s’agit de nous-mêmes). En effet ces qualificatifs semblent couvrir des mauvais comportements qui se recoupent mais ne sont pas équivalents. De plus, on peut être avisé sans être trompeur, par exemple. L’appellation «intendant d’iniquité» quant à elle renvoie au «mystère d’iniquité», qui n’est pas autre chose que l’incompréhensible – à vue humaine- scandale du mal. Peut-être une des clés de la parabole se trouve-t-elle dans le noyau commun à tous ces qualificatifs. Une telle exégèse sortirait cependant des compétences de l’auteur et du cadre de ce petit article. Contentons-nous donc dans la suite d’un «intendant infidèle» (à ses engagements).

    L’homme riche convoque son régisseur sur la base d’une accusation formulée par un (ou des)  tiers : il a dissipé ses biens. Une dénonciation en somme, peut-être même anonyme. Il lui dit – sans que l’on sache s’il a vérifié la vérité de la dénonciation - : «Qu’est-ce que j’entends dire de toi ? Rends-moi compte de ta gestion car désormais tu ne pourras plus gérer mes biens.» Le régisseur imagine alors une stratégie pour se faire des obligés, qui l’aideront lorsqu’il sera bientôt dans le besoin (car il ne peut ou veut ni travailler la terre, ni mendier). «Travailler la terre, je n’en ai pas la force, mendier, j’en ai honte.» Travailler la terre : nous voilà au cœur de notre sujet.

    Il dispose alors de ce qui ne lui appartient pas en remettant une partie des dettes dues à son maître.

    Le riche propriétaire, c’est Dieu évidemment, Créateur donc propriétaire de toutes choses, possédant toutes les perfections et créant avec magnificence.

    La parabole ne nous dit rien sur le ou les dénonciateurs ; il est tentant d’attribuer ce rôle à l’Accusateur, menteur et homicide depuis le commencement du monde, à savoir Satan soi-même, qui jouera notamment ce rôle lors du jugement particulier.

    L’intendant infidèle, c’est  l’homme, à l’évidence. On peut supposer que c’est l’humanité dans son ensemble, mais  aussi chaque homme. Le premier des biens dont l’homme est responsable, c’est lui-même, puisqu’il est maintenu dans  l’être par son Créateur et qu’il tient l’existence de Ce dernier. La Genèse (1,28) nous apprend par ailleurs qu’il a reçu comme mission de dominer la terre et de la cultiver. L’homme est donc régisseur de lui-même, en vue de son salut éternel, mais aussi de la planète, dans le même but, ce qui n’interdit pas une vie bonne ici-bas. L’usage des biens matériels doit être orienté vers une vie, individuelle et sociale, qui plaise à Dieu. Saint Paul (1Co 4,7) et Job (Jb 1,21) nous aident à nous en convaincre.

     

    2/ Quels enseignements peut-on en tirer dans le domaine de l’écologie (planétaire et humaine) ?

    Remarquons avant de poursuivre, que la parabole parle d’une personne, alors que le problème écologique concerne non seulement chacun de nous mais aussi la collectivité.

    On a noté que le riche propriétaire convoque son régisseur sur la base d’une accusation par un ou des tiers. De même, il est remarquable que l’intendant malhonnête ne cherche pas à nier ses forfaits ou sa négligence. On peut aussi noter que la sanction ne semble pas excessivement sévère : le châtiment annoncé au régisseur est l’incapacité à continuer à gérer les biens de son employeur ; il pourrait être bien pire. On ne nous dit d’ailleurs pas si le régisseur pousse un «ouf» de soulagement à l’annonce de cette clémence relative, ou s’il trouve la sanction trop légère. On peut se plaire à imaginer qu’il la trouve juste, voire miséricordieuse.

    Le régisseur dispose alors de ce qui ne lui appartient pas, en effaçant une partie des différentes dettes des débiteurs.  Comment transposer cette situation à la gestion de l’environnement ? Qui sont les débiteurs ? Certains acteurs mondiaux jouant avec des crédits-carbones ? ou bien chacun de nous, s’il s’exonère ou exonère son entourage de telle ou telle bonne pratique environnementale ou sociale, au motif que la société s’en charge ? 

    On peut également noter que le régisseur détient encore la signature pour quelque temps ; c’est certainement de façon délibérée que le maître lui a laissé la signature, malgré sa malhonnêteté ou son amateurisme. Là encore, quelle pourrait être la transposition écologique de cette attitude? Un laps de temps qui nous est laissé pour rectifier le tir avant que les 2°C fatidiques soient atteints ? 

    Les dénonciateurs qui ont informé le riche propriétaire des abus et négligences de son intendant sont-ils incarnés par les ONG, les pays pauvres, les agences de notation extra-financière?

    «Les fils du siècle sont plus habiles que les fils de la lumière.» Invitation évidente, valable dans le domaine économique comme dans le domaine écologique, aux chrétiens à agir de manière avisée (prudence du serpent et candeur de la colombe) dans le monde, sans être pour autant du monde. Ce passage a d’ailleurs été largement exploité, de façon déconnectée de la parabole de l’intendant infidèle proprement dite.

    Le Seigneur semble également dire : pourquoi les fils de la lumière [ou ceux qui se veulent ou disent tels] ne déploient-ils pas en vue de leur salut le quart du dixième de l’habileté que les fils du siècle mettent à soigner leurs intérêts matériels ? Cela peut aussi se transposer en « pourquoi les chrétiens ne sont-ils pas des administrateurs plus zélés et plus habiles de la Cité mais aussi de la planète ? » Si le monde fait avec succès de tels efforts pour des biens et des gains éphémères, quels efforts ne doit-on pas consentir pour des biens durables et a fortiori éternels ?

    «Faites-vous des amis avec l’argent d’iniquité, afin que lorsque vous viendrez à manquer, ils vous reçoivent dans les demeures éternelles.» On comprend bien, sur un plan spirituel, que les amis en questions sont les justes (ou les justifiés de la dernière minute comme le Bon Larron) qui intercéderont pour nous auprès du Juge miséricordieux ; il est plus difficile de transposer la maxime dans le domaine écologique, environnemental ou humain ; sauf à personnifier la planète en espérant un «juste retour écologique» de «sa» part, si nous réduisons nos diverses empreintes nuisibles (CO2 etc.) Ou encore une sorte de «donnant-donnant» écologique via le commerce équitable ou tout autre forme de «solidarité sociale et environnementale» ?

    On peut évidemment aller encore plus loin en comparant la gestion ou la prédation de certaines entreprises ou organisations efficaces (à court terme) cyniques ou méprisant l’environnement, et ce que devrait être la gestion chrétienne de la planète.

    Enfin, le Christ loue la prudence (naturelle) du gérant malhonnête, qui anticipe les problèmes futurs et se donne les moyens de les régler ou les gérer au mieux ou au moins mal. Là aussi, la transposition à l’écologie est directe. Notons cependant que la vertu surnaturelle (et cardinale) de prudence, soutenue par la grâce, peut entrer en contradiction avec ce que dicte la prudence naturelle, à simple vue humaine.

     Pour être complet, il faudrait analyser en même temps que cette parabole de l'intendant infidèle, celle de l'intendant fidèle dans saint Matthieu 24,45-51, qui se transpose également très bien au soin devant être apporté, entre autres, à la planète:

    "Quelqu'un donc est-il le serviteur fidèle et prudent que le maître a établi sur les gens de sa maison pour leur donner la nourriture au temps (voulu),heureux ce serviteur que son maître, à son arrivée, trouvera agissant ainsi! En vérité, je vous le dis, il l'établira sur tous ses biens.Mais si c'est un méchant serviteur qui se dise en lui-même: "Mon maître tarde," et qu'il se mette à battre ses compagnons de service, qu'il mange et boive avec les ivrognes,le maître de ce serviteur viendra au jour où il ne s'y attend pas, et à l'heure qu'il ne sait pas,et il le fendra en deux, et lui assignera pour lot celui des hypocrites: là il y aura les pleurs et le grincement des dents."

    3/ Quels échos de la parabole peut-on trouver dans Laudato si’ ?

    On se souviendra d’abord de l’homélie de la messe d’intronisation du pape François, le 19 mars 2013 :

    "Garder Jésus et Marie, garder la création tout entière, garder chaque personne, spécialement la plus pauvre, nous garder nous-mêmes : voici un service que l’Évêque de Rome est appelé à accomplir, mais auquel nous sommes tous appelés pour faire resplendir l’étoile de l’espérance : gardons avec amour ce que Dieu nous a donné !"

    L’intendant est bien le gardien des intérêts matériels de son maître (et le  gestionnaire de ses biens) et nous, à ce titre, les gardiens de la Création terrestre.

    En relisant par exemple les § 56, 108, 109, 153, 189 de Laudato si’, on peut dire qu’une bonne partie de l’encyclique est une condamnation explicite des entreprises et autre acteurs économiques agissant cyniquement comme des intendants infidèles et dissipateurs. On a d’ailleurs assez reproché au Saint Père de ne pas voir autre chose que du cynisme et des cyniques dans le monde économique et dans le monde  financier, notamment international.

     Le pape nous appelle ensuite à la conversion écologique (§ 216 à 219), qui est d’abord une réforme des mœurs (dont l’encyclique ne nous dit pas quelle place elle occupe par rapport à la vraie conversion, qui est la conversion au Christ). Dans la parabole de l’intendant infidèle, il s’agit plutôt de «sauver les meubles» pour s’assurer personnellement un avenir décent, sans vraiment se réformer ni se préoccuper du bien commun.

                 On le voit, même si les références directes à l’Evangile sont rares dans Laudato si’, les correspondances avec la parabole de l’intendant infidèle sont réelles et convergentes.

    En guise de conclusion

    Il semble bien que la parabole de l’intendant infidèle non seulement n’ait pas fini de livrer ses enseignements,  mais qu'elle a aussi quelque chose à nous dire dans le domaine de l’écologie. La brève incursion que nous avons faite en ce sens suscitera peut-être des réflexions plus pertinentes et plus approfondies, AMDG et pour le bien de la planète dont nous avons reçu le dépôt.

    L’idée d’un rapprochement entre la parabole de l’intendant infidèle et la question de l’écologie, provient de la lecture d’un commentaire de cette parabole dans le livret de M. l’abbé Troadec, «De la Trinité à l’Assomption» (Via Romana, 2016).

     

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