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Blog de l'AEC, Association des Économistes Catholiques

Fonder une famille est une aventure

Fonder une famille est une aventure

Voici une interview que j'ai donnée au magazine Valeurs Actuelles (n° du 8 janvier 2025), suite à la parution de mon livre "La famille au cœur de l'économie" (éditions Salvator, 280 pages, 22 €). 
Jean-Didier Lecaillon.

Entretien :

Quelle définition donneriez-vous de la famille - en supposant qu'une définition unique soit possible?
Les économistes ne parlent pas de famille mais de ménage, en privi­légiant la fonction de consommer. 
Pour retrouver la notion de famille, il faut considérer les ménages «com­posés d'au moins deux personnes, formés d'un couple, avec ou sans enfants, ou d'un adulte avec un ou plusieurs enfants». Ces ménages, qualifiés de "familiaux", représentent environ 60 % de l'ensemble des ménages, les autres étant constitués de célibataires ou de colocataires.

Quel est, selon vous, l'intérêt de la définition de la famille telle qu'elle est proposée par la doc­trine sociale de l'Église, que vous évoquez dans votre ouvrage?
Selon la doctrine sociale de l'Église, la famille est carac­térisée par le« don de soi réciproque de l'homme et de la femme » et conçue comme le « milieu de vie dans lequel l'enfant peut naitre et épanouir ses capacités»; elle est «fondée sur le mariage». Comme économiste, je trouve cette définition particulièrement pertinente en ce qu'elle pose que c'est le lieu de la reproduction nécessaire, de l'indispensable formation du capital humain et de la stabilité qui les assure.

La famille « cellule de base de toute société» est une formule qui revient régulièrement sous votre plume. Quel est son sens?
Cette formule n'est pas de moi; je constate seulement qu'elle est quasi consensuelle. Mon propos est alors de m'interroger sur sa signification: une cellule est l'unité première et dire qu'elle est à la base de toute construc­tion sociale, c'est reconnaître implicitement son exis­tence naturelle, mais aussi nous prémunir d'une concep­tion strictement individualiste. Il me semble que nous sommes là sur un point fondamental pour penser l'ave­nir avec réalisme.

Si l'on se penche sur les politiques familiales, on a l'impression que la droite est prête à soutenir la famille mais en se bornant à l'aspect financier, sans insister sur sa réalité ontologique; comment expliquer ça?
Mon expérience est la suivante: dans l'opposition, la droite a longtemps considéré la famille comme un enjeu prioritaire même si cela est moins évident aujourd'hui... En revanche, une fois au pouvoir, si la droite continuait à préconiser une politique familiale, elle disait que cela coûtait cher, les budgets étant limités. C'est pour répondre à ce type de "fausse excuse" pour ne pas en faire davan­tage que je me suis attaché à expliquer qu'une bonne économie ne consiste pas à ne pas dépenser ("faire des économies") mais à bien dépenser ("dépenser beaucoup si cela doit rapporter davantage"). Mais cela suppose d'aller au fond des choses et de passer d'une logique comptable à un projet de société reposant sur des réfé­rences de civilisation. Et c'est ce qui manque le plus aujourd'hui car la droite a perdu le combat culturel...

Puisque l'on parle de combat, il semble assez clair que la famille, notamment la famille naturelle avec enfants, est un modèle qui a été, ces derniers temps, plus malmené que célébré ou encouragé. Est-ce la raison qui explique que nous soyons désormais aux portes d'un "hiver démographique"?
Sous réserve de ne pas réduire la politique familiale à une politique nataliste, ce qui s'avère dommageable, l'histoire nous offre de nombreux exemples de corré­lation entre dynamisme démographique et politique familiale. Certes, corrélation n'est pas causalité, mais la présomption d'un effet positif de la politique fami­liale demeure. 
A contrario, et pour ce qui concerne la France, si le non-remplacement des générations remonte au milieu des années soixante-dix, moment où la poli­ tique familiale se transforme en politique d'assistance, la fécondité a effectivement décroché avec le rabotage de la politique familiale sous le mandat de François Hollande. La situation ne s'est guère améliorée depuis... 
Il ne faudrait pas non plus sous-estimer les idéologies: considérer la naissance d'un enfant comme nuisible à la planète influence aussi l'absence de décisions favorables à la famille. En disant cela, je n'ignore pas la perte de confiance dans l'avenir aboutissant à ne plus vouloir d'enfants pour leur éviter d'avoir à supporter une dégra­dation redoutée des conditions de vie. Une partie de ce qui est désormais désigné par le terme vague d'écoan­xiété est la conséquence, pour une population mal infor­mée, de l'ignorance du fait que, comme la théorie économique permet de le démontrer, le dynamisme démographique est nécessaire au développement éco­nomique: pour un avenir meilleur, il faut assurer le rem­placement des générations! N'oublions pas enfin que le désir d'enfant n'est pas satisfait... Il serait pourtant suf­fisant pour assurer l'équilibre démographique.

Mettre en avant ce qui est bon revient aussi à criti­quer ce qui l'est moins; le divorce, par exemple, reste un échec, individuel ou collectif, dont il semble impossible de tirer le bilan. Qu'en pensez-vous?
Cette question nécessite une précision avant de tenir ter une réponse opérationnelle: nous touchons là à l'intimité et il ne faut pas confondre le divorce et les personnes divorcées. L'analyse du phénomène ne doit entraîner ni stigmatisation ni culpabilisation. Il serait d'ailleurs présomptueux de prétendre que tous les couples peuvent tenir dans la durée et que tout le monde est à l'abri d'une séparation qui peut d'ailleurs s'avérer, dans certains cas, nécessaire. Cela étant dit, toutes les enquêtes montrent qu'en effet c'est un échec et que les rup­tures familiales sont coûteuses sans doute pour les intéres­sés mais aussi pour les enfants et au-delà pour la société. Des actions préventives doivent donc être entreprises pour éviter le plus possible ce genre de situation. Au minimum, il faudrait pouvoir comparer les avantages et les inconvénients parce que les meilleures décisions se prennent lorsque l'infor­mation est complète. La liberté exige la possibilité d'assumer ses choix et pour cela il faut savoir recon­naître que la séparation est bien un échec qui a un coût élevé.

Le don, la gratuité sont au cœur des échanges intrafamiliaux; ils sont omniprésents, nécessaires, ils leur sont consubstantiels, en quelque sorte; que pensez-vous néanmoins de ce serpent de mer qu'est le salaire de la personne au foyer? C'est une fausse bonne idée?
Question importante et complexe qui nécessite quelques développements pour bien y répondre. C'est tout d'abord une piste effectivement intéressante et qui pourrait avoir du sens. Elle avait d'ailleurs été envisagée dès la fin des années quatre-vingt-dix dans le cadre des travaux menés par le comité de pilotage de la conférence de la famille sous l'auto­rité d'Hélène Gisserot, sans toutefois être suivie d'effet. Il n'est pas inutile d'en rappeler le fondement: le revenu parental correspond à la contre­ partie de la contribution à une production de richesse bénéficiant à l'ensemble de la société, à
ne pas confondre avec la couverture de frais engagés par les parents n'ayant pas recours à des infrastructures collectives pour la formation du capital humain ou à l'aide aux familles en difficulté au titre de la solidarité.
Ensuite, en mentionnant les notions de don, voire de gratuité, votre question justifie de souligner que la société est composée de trois  ordres distincts et complémentaires, fondés sur la confiance pour l’ordre marchand, la discipline pour l’ordre politique et l’amour pour l'ordre communautaire, la famille étant à leur inter­section. Du bon fonctionnement de chacun résulte l'équilibre de l'ensemble. C'est dire l'importance de la famille et la possibilité de la traiter d'un point de vue économique sans nuire à sa dimension commu­nautaire. Enfin, une telle mesure devrait être envisa­gée dans le cadre de la définition d'un statut social donné à celui qui fait le choix de consacrer l'essentiel de son temps à sa famille.

Quelles pistes d'action préconiseriez-vous ?
En premier lieu, et précisément, je voudrais insister sur l'importance du travail domestique qui n'est cependant pas reconnu aujourd'hui. Il y a là une réforme de fond à mettre en œuvre. Ensuite, il s'agit de redonner à la famille sa dimension communautaire dans laquelle on s'engage pour la vie: liberté, responsabilité, stabilité devraient être des mots-clés. Quant à une politique de promotion de la famille, enfin, elle relève de la justice et de l'équité alors qu'on en a fait une politique sociale. Fonder une famille, éduquer des enfants est une aventure : les parents sont les aventuriers des temps modernes pour plagier Charles Péguy ; l'esprit d'entreprise est peut-être ce qui nous manque le plus...

Pourriez-vous dire finalement que "le XXI• siècle sera familial ou ne sera pas"?
Je trouve cette formule très stimulante, mais cela passe par une révision en profondeur de notre façon de conce­voir et de conduire la chose économique.
Il faudrait pour cela instaurer la confiance et ne pas manquer d'espérance.

Propos recueillis par Mickaël Fonton

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