Blog de l'AEC, Association des Économistes Catholiques
La question de la réception des textes pontificaux dans le domaine économique et social date au moins de Rerum Novarum en 1891. Le moins qu’on puisse dire, c’est que tous les acteurs économiques catholiques concernés n’ont pas reçu cette lettre-encyclique docilement et du fond du cœur[1]… Marcel Clément dans son ouvrage[2] sur la doctrine économique et sociale sous Pie XII observe : «Dans l’encyclique Rerum Novarum de Léon XIII du 16 mai 1891, on devra distinguer entre les arguments multiples et très développés, et des affirmations doctrinales, portant principalement sur la légitimité du droit de propriété privée, comme découlant du droit naturel, sur la réprobation du socialisme [etc.]»
Pie XI dans Quadragesimo Anno (1931) a éprouvé le besoin d’écrire:
46. "Car, s’il est vrai que la science économique et la discipline des mœurs relèvent, chacune dans sa sphère, de principes propres, il y aurait néanmoins erreur à affirmer que l’ordre économique et l’ordre moral sont si éloignés l’un de l’autre, si étrangers l’un à l’autre, que le premier ne dépend en aucune manière du second. Sans doute les lois économiques, fondées sur la nature des choses et sur les aptitudes de l’âme et du corps humain, nous font connaître quelles fins, dans cet ordre, restent hors de la portée de l’activité humaine, quelles fins au contraire elle peut se proposer, ainsi que les moyens qui lui permettront de les réaliser ; de son côté, la raison déduit clairement de la nature des choses et de la nature individuelle et sociale de l’homme la fin suprême que le Créateur assigne à l’ordre économique tout entier".Pie XII le répète en des termes très voisins dans son allocution aux Cardinaux et évêques du 2 novembre 1954.
Le même Pie XII, dans Humani Generis, 1950, encyclique condamnant diverses erreurs modernes : «Il ne faut pas non plus estimer que ce qui est proposé dans les encycliques ne demande pas de soi l’assentiment, puisque les papes n’y exercent pas le pouvoir suprême de leur magistère. A ce qui est enseigné par le magistère, même ordinaire, s’applique aussi cette parole : «Qui vous écoute, M’écoute» (saint Luc, 10,16) ; et, la plupart du temps, ce qui est proposé et inculqué dans les encycliques appartient déjà par ailleurs à la doctrine catholique[3]… Si les souverains pontifes portent expressément un jugement sur une matière qui était jusque-là controversée, tout le monde comprend que cette matière, dans la pensée et la volonté des souverains pontifes, ne peut plus être considérée désormais comme objet d’une libre discussion entre théologiens.»
Le Père Villain sj , dans un texte de 1945 intitulé «Etude des encycliques» parle à propos de leur lecture de: «…deux périls opposés, dont l’expérience a prouvé qu’ils ne sont pas chimériques, celui d’un rigorisme… qui rend parfois la doctrine odieuse, [et] celui d’un laïcisme qui ne laisse plus voir dans les encycliques que des documents sans valeur pratique, des déclarations platoniques, de simples dissertations du Souverain Pontife, qui n’y attacherait pas lui-même grande importance.»[4]
Comme l’écrit Dom Paul Nau osb[5], «Une doctrine peut être vraie, et même souverainement opportune, sans que le document qui la rappelle soit doué du charisme de l’infaillibilité. Et tout au contraire, une vérité, même émanant d’un document authentiquement et indubitablement infaillible, a bien peu de chances de rencontrer une audience facile de la part de ceux dont son rappel a pour dessein de réformer la mentalité.»
Signalons également le danger d’une classification binaire «infaillible donc obligatoire et sans appel/faillible donc facultatif et librement discutable» : entre vérité infaillible et erreur, il y a tout l’espace du certain et du probable, qu’on ne saurait contester sans de graves dangers, compte tenu de l’autorité de celui qui parle. De même, considérer l’encyclique comme un bloc auquel il faut accorder l’assentiment dû à son passage le plus élevé en autorité (ça peut être un dogme ou une sentence définitive !) ne serait pas raisonnable, pas plus que tout ramener à un simple point de vue d’un personnage éminent, qui n’obligerait en rien, au for externe ni au for interne.
Lorsque par exemple le Souverain Pontife prend position sur des questions économiques ou sociales pratiques, certaines simplifications peuvent au premier abord sembler abusives, surtout lorsque le style un peu familier et peu nuancé du texte renforce cette impression .On peut aussi avoir l’impression qu’il s’aventure bien au-delà du strict domaine de la foi et des mœurs, ou même dans des considérations pratiques qui ne sont pas du ressort de l’Eglise. La nature du sujet traité dans un passage donné, le ton et le style peuvent faire penser que le Pape émet une simple opinion, révocable, qu’on peut sans danger ne pas suivre ou dont on peut se séparer respectueusement– même si le Pape n’écrit jamais une opinion à la légère, sans savoir parfaitement ce qu’il fait. Dans d’autres passages en revanche, la matière, le ton et le contexte ne permettront aucun doute sur l’obligation de se soumettre (selon des modalités externes et internes sur lesquelles on reviendra plus loin) ; si le sujet concerne de près ou de loin la foi et les mœurs, le doute n’est pas permis, sauf si le Souverain Pontife contredisait l’enseignement constant de l’Eglise notamment tel ou tel de ses prédécesseurs, ce qu’à Dieu ne plaise. Le fait que, depuis Vatican II, l’Eglise enseignante soit passée d’un mode dogmatique et missionnaire à un mode pastoral[6] et de dialogue, renforce encore la difficulté du discernement ou l’effort à fournir pour y voir clair.
La récente parution de l’ouvrage du Père Augustin-Marie, de la Fraternité Saint Vincent Ferrier (Chémeré-le-Roi): «Obéir ou assentir, de la «soumission religieuse» au magistère simplement authentique» (DDB, Artège, collection Sed Contra, 2015) nous a opportunément fourni un guide sur cette question délicate. [7] On trouvera par ailleurs en annexe I la liste complète des ouvrages ou documents consultés pour établir cet article.
2/ Autorité des différentes déclarations et nature de la réception due par les fidèles- cas des encycliques
L’annexe II fournit des définitions précises et leurs références, pour les différents niveaux d’autorité du magistère et les différentes formes de réception par les fidèles. On y trouvera aussi des précisions sur les notions d’opinion probable et de certitude morale. La définition du Magistère authentique et de la réception qui lui est due, quant à elle est fournie par la constitution dogmatique Lumen Gentium 25 qui figure intégralement en annexe III.
2.1 Les niveaux d’autorité
Le lecteur d’un texte du Magistère (pontifical ou non) se trouve confronté à trois grandes catégories de déclarations :
- * le magistère extra-ordinaire (ou s’y référant): déclarations ex cathedra du Saint Père, textes rédigés par des conciles œcuméniques (au sens catholique du terme) dogmatiques, incluant en général des définitions. Ce magistère est infaillible ;
- * le magistère ordinaire et universel (ou s’y référant), exercé d’une seule voix par la totalité des évêques sous l’autorité du Pape et incluant le magistère ordinaire du Pape lui-même ; c’est la source usuelle de transmission et d’explication du dépôt de la foi par l’Eglise ; il inclut (sans s’y limiter, car il est vivant) ce qui a toujours et partout été dit par les pasteurs et cru par les fidèles. Dès lors qu’il est exercé avec l’intention de transmettre avec autorité la vérité révélée, le magistère ordinaire et universel revêt également la note d’infaillibilité, du moins dans un certain nombre de domaines précisés dans l'annexe II ;
- * le magistère dit «simplement authentique», défini récemment (21 novembre 1964) par la constitution dogmatique Lumen Gentium (25) à l’occasion du concile pastoral de Vatican II (voir le texte complet en annexe III) : cela couvre le reste du magistère, y compris notamment les conciles non-dogmatiques (sauf précision contraire expresse) et les décrets des sacrées Congrégations, si le Pape ne les a pas approuvés dans une forme qui leur donnerait une autorité supérieure ; ce magistère n’est pas infaillible ni irrévocable, mais exige un assentiment prudent et un discernement sur lequel nous reviendrons.
Outre le magistère "formel" proprement dit, il y a la foule de tous les autres écrits, communiqués, conférences de presse, interviews ou entretiens privés rendus publics, articles de journaux, blogs, tweets etc. soit du Souverain Pontife, soit du corps des évêques, sur toutes sortes de sujets y compris évidemment la foi et les mœurs.
2.2 Le discernement
Celui-ci est assez simple quand on reconnaît qu’on a affaire à une vérité de foi (dogme, vérité connexe à la Révélation et définie comme telle par le magistère ordinaire universel, notamment ce que l’Eglise enseignante et enseignée a dit et cru toujours et partout) ; ou encore quand on repère un élément de doctrine économique et sociale (subsidiarité, légitimité de la propriété privée, théologie du travail et respect de la Création etc.). Le discernement est moins simple dans les autres cas : déclarations non-définitives, opinions, controverses, sujets d’actualité, sujets apparemment très éloignés de la foi et des mœurs etc. Il faut donc bien identifier les critères qui permettent d’encadrer la latitude qu’on peut s’accorder dans la mise en application, ou non, voire dans le dissentiment privé ou respectueusement public, dans son domaine de compétence professionnelle. Depuis deux siècles, les encycliques sont en effet devenues le moyen d’expression le plus courant du magistère ordinaire du Pape, grâce auquel les enseignements du chef de toute l’Eglise sont facilement repris à l’unanimité (en principe) par tout le corps épiscopal.
2.3 La réception attendue des fidèles à ces différents types d’enseignement
Elle trouve son origine dans leur autorité :
n * Enseignement infaillible (magistère ordinaire universel ou déclarations pontificales ex cathedra) : adhésion absolue, de foi ou ferme et irrévocable. La seule difficulté (du point de vue de l’intelligence) est de s’apercevoir qu’on est en présence d’une vérité infaillible. La connaissance du Credo et du catéchisme suffit en principe.
* Enseignement relevant du magistère simplement authentique : adhésion ferme et irrévocable, soumission religieuse de la volonté et de l’intelligence.
* Autres enseignements : attention respectueuse, prudence, liberté au for intérieur.
Un fidèle qui a de sérieuses raisons, notamment dans son domaine de compétence, de suspendre son jugement ou de dissentir sur tel ou tel point du magistère simplement authentique et a fortiori sur ce qui est non-définitif et révocable ou simple prise de position dans une controverse, a le devoir et la possibilité de s’en ouvrir à l’Eglise enseignante, mais en s’abstenant de blesser la charité ou de causer un scandale.
2.4 Les encycliques
Dans les premiers siècles, les encycliques s’adressaient aux seuls évêques, permettant ainsi au Pape de leur faire rapidement connaître sa pensée et ses volontés ; ces lettres faisaient au plus vite le tour du monde chrétien, d’où leur nom. « … les encycliques sont ainsi le truchement de l’unité entre le Pape et les évêques… »[8]
Bien plus tard, Benoît XIV voulant rétablir l’antique usage, fait insérer ses encycliques dans le Bullaire (ou recueil de ses actes pontificaux, ancêtre des AAS Acta Apostolae Sedis), qu’il publie, ce qui est une première. Son encyclique fameuse de 1745 Vix Pervenit sur les contrats et l’usure, rentre dans ce cadre.
A l’occasion de Vatican I, «La plupart des théologiens… allaient être conduits à refuser aux encycliques le privilège de l’infaillibilité et à se contenter de revendiquer pour elles, avec une autorité du même ordre que celle des décrets des Congrégations, le droit à une totale obéissance de la part des catholiques »[9]
Le Dictionnaire de théologie catholique Letouzey & Ané, article Encycliques (définition, histoire, autorité, par E.Mangenot- noter que la dernière encyclique mentionnée dans cet article est datée de 1910) nous apprend que :
«… le Souverain Pontife pourrait cependant, s’il le voulait, porter des définitions solennelles dans des encycliques. L’usage du magistère infaillible dans les encycliques se détermine, pour les cas particuliers, d’après les circonstances et le langage. Si elles ne sont pas des jugements solennels, puisqu’elles n’en ont ni la forme ni les conditions extérieures, elles sont, au moins, des actes du magistère ordinaire du souverain pontife, et elles se rapprochent des jugements solennels, lorsqu’elles portent sur des matières qui pourraient être l’objet de définitions. Sans donner de jugement définitif et absolu ni de définition ex cathedra, le Souverain Pontife en publiant une encyclique veut souvent pourvoir à la sécurité de la doctrine par une direction obligatoire. C’est le cas quand il condamne des erreurs et qu’il expose l’enseignement de l’Eglise. Le Pape use alors de son pouvoir de pasteur et docteur de l’Eglise universelle, non sans doute au degré suprême de son magistère, mais à un degré inférieur, de droit ordinaire. Il propose à toute l’Eglise une direction et un enseignement qui, sans être définitifs, s’imposent obligatoirement à tous les catholiques… Lorsque le privilège de l’infaillibilité ne se rencontre pas dans une encyclique, comme il arrive le plus souvent, les catholiques doivent donner à l’enseignement pontifical non un assentiment de foi, puisque la vérité doctrinale n’est pas définie, mais un assentiment religieux qui est fondé sur l’autorité du gouvernement universel de l’Eglise… il ne suffit pas du silence respectueux qui consisterait à ne pas rejeter ni critiquer l’enseignement donné ; il faut lui accorder, qu’il soit positif ou négatif, respect, obéissance et assentiment intérieur de l’esprit, motivé sur l’autorité de l’Eglise. Bien qu’il ne soit pas métaphysiquement certain, puisque l’enseignement donné n’est pas infaillible, cet assentiment est cependant moralement certain, fondé qu’il est sur l’enseignement de l’autorité compétente en des matières de son ressort, avec les chances les plus grandes de toute absence d’erreur.»
3/ Les règles d’interprétation des documents pontificaux, d’après Marcel Clément, «L’économie sociale selon Pie XII», chapitres IV et V[10]
3.1 Marcel Clément mentionne en introduction le passage d’ Humani Generis que nous avons reproduit plus haut, ainsi que ce passage de l’allocution du 29 avril 1945 à l’Action catholique italienne, :
«Si [la doctrine sociale catholique] est définitivement et de façon univoque fixée quant à ses points fondamentaux, elle est toutefois suffisamment large pour pouvoir être appliquée aux vicissitudes variables des temps, pourvu que ce ne soit pas au détriment de ses principes immuables et permanents…elle est obligatoire ; nul ne peut s’en écarter sans danger pour la foi et l’ordre moral ; il n’est donc permis à aucun catholique…d’adhérer aux théories et systèmes sociaux que l’Eglise a répudiée et contre lesquels elle a mis les fidèles en garde.»
Les «théories et systèmes sociaux» en question incluent à l’évidence aussi bien le socialisme et l’économie dirigiste d’Etat que le libéralisme économique basé sur l’individualisme et le capitalisme libéral, que les souverains pontifes de Léon XIII (communisme, excès du libéralisme économique et du capitalisme) à François, en passant par Pie XI (Quadragesimo anno), Pie XII (nationalisations), S Jean-Paul II (communisme, excès du capitalisme libéral), Benoît XVI (excès du capitalisme libéral).
L’auteur passe ensuite à l’interprétation des documents pontificaux, non sans rappeler l’ardente nécessité de se placer sous la conduite du Saint-Esprit lorsqu’on lit ce genre de documents.
3.2 Sept règles de procédés :
* établir ou rétablir un texte qui rende indubitable la pensée pontificale (il y a parfois des infidélités voire de la désinvolture dans certaines traductions nationales) ;
* éclairer le texte en vérifiant les lieux parallèles où le Pape a déjà envisagé ou traité le problème ;
* éclairer le texte au regard de la théologie et de la philosophie ;
* situer le texte au regard des conditions sociales, politiques et économiques ;
* rechercher les circonstances particulières qui ont motivé et accompagné le texte ;
* analyser avec soin les formules employées par le Pape ;
* l’explication et l’interprétation doit aller du tout à la partie, et de l’abstrait au concret.
et trois règles de précautions :
* ne pas conclure le sens de la pensée du Pape d’après la seule étude d’une citation tronquée, même d’une certaine longueur ;
* ne pas considérer que le Pape « veut laisser entendre» ce qu’il ne dit pas, ou, ce qui revient au même, que les chrétiens doivent rester
«dans la ligne» de la doctrine de l’Eglise, mais «aller plus loin» sur le plan proprement doctrinal ;
* éliminer d’office toute interprétation qui aboutirait à mettre les textes pontificaux en contradiction avec eux-mêmes. L’application de la deuxième règle met en général à l’abri de ce péril.
4/ La place de la DSE dans le Magistère de l’Eglise catholique
La DSE relève de la théologie morale. Il semble qu’elle appartienne à la fois au magistère ordinaire et universel donc infaillible (ex. la légitimité de la propriété privée ainsi que le principe de destination universelle des biens, ou la condamnation du socialisme), et au magistère simplement authentique (ex. l’acceptation avec réserves du capitalisme ou les enseignements prudentiels relatifs aux situations sociales et économiques traitées par telle ou telle encyclique). Elle s’appuie sur des principes définitifs mais par nature les applique à des situations particulières. On rappelle en annexe IV quelques déclarations du Magistère à son sujet. A n'en pas douter, "la compétence de l'Eglise s'étend à cette part de l'ordre social qui entre en contact avec la morale" (Pie XII, radiomessage du 1er juin 1941).
5/ Tentative d’application à Laudato si’
Les phrases qui suivent, même si les notions spirituellement fortes qu'elles véhiculent leur confèrent une certaine autonomie,sont extraites de leur contexte. Il conviendrait donc de les relire dans le chapitre complet auquel elles appartiennent.
5.1 Ce que dit le Pape sur l’autorité de son encyclique :
3… Dans la présente Encyclique, je me propose spécialement d’entrer en dialogue avec tous au sujet de notre maison commune.
15. J’espère que cette Lettre encyclique, qui s’ajoute au Magistère social de l’Église, nous aidera à reconnaître la grandeur, l’urgence et la beauté du défi qui se présente à nous.
61. Sur beaucoup de questions concrètes, en principe, l’Église n’a pas de raison de proposer une parole définitive et elle comprend qu’elle doit écouter puis promouvoir le débat honnête entre scientifiques, en respectant la diversité d’opinions. [ dans le chapitre consacré à la détérioration du climat].
62. Pourquoi inclure dans ce texte, adressé à toutes les personnes de bonne volonté, un chapitre qui fait référence à des convictions de foi ? …. Cependant, la science et la religion, qui proposent des approches différentes de la réalité, peuvent entrer dans un dialogue intense et fécond pour toutes deux.
64. Par ailleurs, même si cette Encyclique s’ouvre au dialogue avec tous pour chercher ensemble des chemins de libération, je veux montrer dès le départ comment les convictions de la foi offrent aux chrétiens, et aussi à d’autres croyants, de grandes motivations pour la protection de la nature et des frères et sœurs les plus fragiles. Si le seul fait d’être humain pousse les personnes à prendre soin de l’environnement dont elles font partie, « les chrétiens, notamment, savent que leurs devoirs à l’intérieur de la création et leurs devoirs à l’égard de la nature et du Créateur font partie intégrante de leur foi ».[36] Donc, c’est un bien pour l’humanité et pour le monde que nous, les croyants, nous reconnaissions mieux les engagements écologiques qui jaillissent de nos convictions.
On note un contraste entre LS 15 qui invoque l’autorité du Magistère (le Souverain Pontife ne précise pas s’il s’agit du magistère ordinaire et universel donc infaillible, ou du magistère simplement authentique ; le contenu de l’encyclique nous fait pencher pour la seconde hypothèse), et les autres paragraphes qui se place sur le terrain du dialogue et non de l’enseignement (à moins de croire avec Habermas que la vérité naisse de la discussion, ce qui ne serait pas catholique).
5.2 Tentative de classement des déclarations sélectionnées, par degré d’autorité et donc d’assentiment selon les principes récapitulés dans les paragraphes 2/ et 3/ ci-dessus. ATTENTION, la sélection que nous avons opérée peut avoir laissé de côté des déclarations doctrinales importantes.
5.2.1 Dogme, magistère infaillible : adhésion absolue
2… La violence qu’il y a dans le cœur humain blessé par le péché se manifeste aussi à travers les symptômes de maladie que nous observons dans le sol, dans l’eau, dans l’air et dans les êtres vivants.[11]
66… L’harmonie entre le Créateur, l’humanité et l’ensemble de la création a été détruite par le fait d’avoir prétendu prendre la place de Dieu, en refusant de nous reconnaître comme des créatures limitées… Ce fait a dénaturé aussi la mission de « soumettre » la terre (cf. Gn 1, 28), de « la cultiver et la garder» (Gn 2, 15). Comme résultat, la relation, harmonieuse à l’origine entre l’être humain et la nature, est devenue conflictuelle (cf. Gn 3, 17-19)…[12]
69… Le Catéchisme remet en cause, de manière très directe et insistante, ce qui serait un anthropocentrisme déviant : « Chaque créature possède sa bonté et sa perfection propres [...] Les différentes créatures, voulues en leur être propre, reflètent, chacune à sa façon, un rayon de la sagesse et de la bonté infinies de Dieu. C’est pour cela que l’homme doit respecter la bonté propre de chaque créature pour éviter un usage désordonné des choses ».[43]
99… Une Personne de la Trinité s’est insérée dans le cosmos créé, en y liant son sort jusqu’à la croix. Dès le commencement du monde, mais de manière particulière depuis l’Incarnation, le mystère du Christ opère secrètement dans l’ensemble de la réalité naturelle, sans pour autant en affecter l’autonomie.
239. Pour les chrétiens, croire en un Dieu qui est un et communion trinitaire, incite à penser que toute la réalité contient en son sein une marque proprement trinitaire. Saint Bonaventure en est arrivé à affirmer que, avant le péché, l’être humain pouvait découvrir comment chaque créature « atteste que Dieu est trine ».[13]
5.2.2 Magistère simplement authentique : soumission religieuse de la volonté et de l’intelligence
6. « Mon prédécesseur Benoît XVI a renouvelé l’invitation à « éliminer les causes structurelles des dysfonctionnements de l’économie mondiale et à corriger les modèles de croissance qui semblent incapables de garantir le respect de l’environnement.»
16. … certains axes qui traversent toute l’Encyclique. Par exemple : l’intime relation entre les pauvres et la fragilité de la planète ; la conviction que tout est lié dans le monde ; la critique du nouveau paradigme et des formes de pouvoir qui dérivent de la technologie ; l’invitation à chercher d’autres façons de comprendre l’économie et le progrès ; la valeur propre de chaque créature ; le sens humain de l’écologie ; la nécessité de débats sincères et honnêtes ; la grave responsabilité de la politique internationale et locale ; la culture du déchet et la proposition d’un nouveau style de vie. Ces thèmes ne sont jamais clos, ni ne sont laissés de côté, mais ils sont constamment repris et enrichis.
56. Pendant ce temps, les pouvoirs économiques continuent de justifier le système mondial actuel, où priment une spéculation et une recherche du revenu financier qui tendent à ignorer tout contexte, de même que les effets sur la dignité humaine et sur l’environnement. Ainsi, il devient manifeste que la dégradation de l’environnement comme la dégradation humaine et éthique sont intimement liées…
64. Par ailleurs, même si cette Encyclique s’ouvre au dialogue avec tous pour chercher ensemble des chemins de libération, je veux montrer dès le départ comment les convictions de la foi offrent aux chrétiens, et aussi à d’autres croyants, de grandes motivations pour la protection de la nature et des frères et sœurs les plus fragiles. Si le seul fait d’être humain pousse les personnes à prendre soin de l’environnement dont elles font partie, « les chrétiens, notamment, savent que leurs devoirs à l’intérieur de la création et leurs devoirs à l’égard de la nature et du Créateur font partie intégrante de leur foi ».[36] Donc, c’est un bien pour l’humanité et pour le monde que nous, les croyants, nous reconnaissions mieux les engagements écologiques qui jaillissent de nos convictions.
93… Le principe de subordination de la propriété privée à la destination universelle des biens et, par conséquent, le droit universel à leur usage, est une “règle d’or” du comportement social, et « le premier principe de tout l’ordre éthico-social ».[71]
107. On peut dire, par conséquent, qu’à l’origine de beaucoup de difficultés du monde actuel, il y a avant tout la tendance, pas toujours consciente, à faire de la méthodologie et des objectifs de la techno-science un paradigme de compréhension qui conditionne la vie des personnes et le fonctionnement de la société…
109…Mais le marché ne garantit pas en soi le développement humain intégral ni l’inclusion sociale.[89]…
115. L’anthropocentrisme moderne, paradoxalement, a fini par mettre la raison technique au-dessus de la réalité,… Mais si l’être humain ne redécouvre pas sa véritable place, il ne se comprend pas bien lui-même et finit par contredire sa propre réalité : « Non seulement la terre a été donnée par Dieu à l’homme, qui doit en faire usage dans le respect de l’intention primitive, bonne, dans laquelle elle a été donnée, mais l’homme, lui aussi, est donné par Dieu à lui-même et il doit donc respecter la structure naturelle et morale dont il a été doté».[93]
156. L’écologie intégrale est inséparable de la notion de bien commun, un principe qui joue un rôle central et unificateur dans l’éthique sociale. C’est « l’ensemble des conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée ».[122]
195. Le principe de la maximalisation du gain, qui tend à s’isoler de toute autre considération, est une distorsion conceptuelle de l’économie : si la production augmente, il importe peu que cela se fasse au prix des ressources futures ou de la santé de l’environnement ; si l’exploitation d’une forêt fait augmenter la production, personne ne mesure dans ce calcul la perte qu’implique la désertification du territoire, le dommage causé à la biodiversité ou l’augmentation de la pollution. Cela veut dire que les entreprises obtiennent des profits en calculant et en payant une part infime des coûts. Seul pourrait être considéré comme éthique un comportement dans lequel « les coûts économiques et sociaux dérivant de l’usage des ressources naturelles communes soient établis de façon transparente et soient entièrement supportés par ceux qui en jouissent et non par les autres populations ou par les générations futures ».[138] La rationalité instrumentale, qui fait seulement une analyse statique de la réalité en fonction des nécessités du moment, est présente aussi bien quand c’est le marché qui assigne les ressources, que lorsqu’un État planificateur le fait.
5.2.3 Hésitation possible ou suspension du jugement
8. (citant le patriarche orthodoxe grec Bartholomée) : «…un crime contre la nature est un crime contre nous-mêmes et un péché contre Dieu.» : La notion de «crime contre la nature» semble nouvelle.
14. Nous avons besoin d’une conversion qui nous unisse tous, parce que le défi environnemental que nous vivons, et ses racines humaines, nous concernent et nous touchent tous. Voir aussi §217 et suivants dans le chapitre «La conversion écologique». Si c’est de la conversion au Christ qu’il s’agit, on est dans l’enseignement infaillible le plus fondamental. Si c’est d’une autre conversion, il faut la définir.
23. Le climat est un bien commun, de tous et pour tous…Semble rentrer difficilement dans la définition usuelle du bien commun, qui n’est pas matérielle (par exemple celle de Jean XXIII : «les conditions permettant le développement de la personne humaine»). Le bien commun est la cause finale de la société, qui n’existe que pour concourir au bien commun de ses membres. Semble plutôt relever de la définition moderne des biens communs (biens appartenant à tous, biens partagés).
25. Le changement climatique est un problème global aux graves répercussions environnementales, sociales, économiques, distributives ainsi que politiques, et constitue l’un des principaux défis actuels pour l’humanité. Les pires conséquences retomberont probablement au cours des prochaines décennies sur les pays en développement. Beaucoup de pauvres vivent dans des endroits particulièrement affectés par des phénomènes liés au réchauffement, et leurs moyens de subsistance dépendent fortement des réserves naturelles et des services de l’écosystème, comme l’agriculture, la pêche et les ressources forestières…
53… Il devient indispensable de créer un système normatif qui implique des limites infranchissables et assure la protection des écosystèmes, avant que les nouvelles formes de pouvoir dérivées du paradigme techno-économique ne finissent par raser non seulement la politique mais aussi la liberté et la justice.
81. Bien que l’être humain suppose aussi des processus évolutifs, il implique une nouveauté qui n’est pas complètement explicable par l’évolution d’autres systèmes ouverts. Chacun de nous a, en soi, une identité personnelle, capable d’entrer en dialogue avec les autres et avec Dieu lui-même. La capacité de réflexion, l’argumentation, la créativité, l’interprétation, l’élaboration artistique, et d’autres capacités inédites, montrent une singularité qui transcende le domaine physique et biologique. La nouveauté qualitative qui implique le surgissement d’un être personnel dans l’univers matériel suppose une action directe de Dieu, un appel particulier à la vie et à la relation d’un Tu avec un autre tu. À partir des récits bibliques, nous considérons l’être humain comme un sujet, qui ne peut jamais être réduit à la catégorie d’objet.
159. La notion de bien commun inclut aussi les générations futures…160. Quel genre de monde voulons-nous laisser à ceux qui nous succèdent, aux enfants qui grandissent ?... Même remarque qu’au §23.
175…Comme l’a affirmé Benoît XVI dans la ligne déjà développée par la doctrine sociale de l’Eglise : « Pour le gouvernement de l’économie mondiale, pour assainir les économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de plus grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarmement intégral, pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la protection de l’environnement et pour réguler les flux migratoires, il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale telle qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, [saint] Jean XXIII».[129]
206. Un changement dans les styles de vie pourrait réussir à exercer une pression saine sur ceux qui détiennent le pouvoir politique, économique et social. C’est ce qui arrive quand les mouvements de consommateurs obtiennent qu’on n’achète plus certains produits, et deviennent ainsi efficaces pour modifier le comportement des entreprises, en les forçant à considérer l’impact environnemental et les modèles de production. C’est un fait, quand les habitudes de la société affectent le gain des entreprises, celles-ci se trouvent contraintes à produire autrement. Cela nous rappelle la responsabilité sociale des consommateurs : «Acheter est non seulement un acte économique mais toujours aussi un acte moral». C’est pourquoi, aujourd’hui le thème de la dégradation environnementale met en cause les comportements de chacun de nous». Il semble que toutes les affirmations de ce paragraphe ne revêtent pas même autorité que ce que nous avons surligné en gras.
(Dans le chapitre sur la « conversion écologique ») 217. S’il est vrai que « les déserts extérieurs se multiplient dans notre monde, parce que les déserts intérieurs sont devenus très grands» la crise écologique est un appel à une profonde conversion intérieure. Mais nous devons aussi reconnaître que certains chrétiens, engagés et qui prient, ont l’habitude de se moquer des préoccupations pour l’environnement, avec l’excuse du réalisme et du pragmatisme. D’autres sont passifs, ils ne se décident pas à changer leurs habitudes et ils deviennent incohérents. Ils ont donc besoin d’une conversion écologique, qui implique de laisser jaillir toutes les conséquences de leur rencontre avec Jésus-Christ sur les relations avec le monde qui les entoure. Vivre la vocation de protecteurs de l’œuvre de Dieu est une part essentielle d’une existence vertueuse ; cela n’est pas quelque chose d’optionnel ni un aspect secondaire dans l’expérience chrétienne. Même commentaire que pour §14.
219…La conversion écologique requise pour créer un dynamisme de changement durable est aussi une conversion communautaire. Même commentaire que pour §14.
221. Diverses convictions de notre foi développées au début de cette Encyclique, aident à enrichir le sens de cette conversion, comme la conscience que chaque créature reflète quelque chose de Dieu et a un message à nous enseigner ; ou encore l’assurance que le Christ a assumé en lui-même ce monde matériel et qu’à présent, ressuscité, il habite au fond de chaque être, en l’entourant de son affection comme en le pénétrant de sa lumière ; et aussi la conviction que Dieu a créé le monde en y inscrivant un ordre et un dynamisme que l’être humain n’a pas le droit d’ignorer. Même commentaire que pour §14.
5.2.4 Opinions : attention respectueuse, liberté intérieure d’assentir ou non, possibilité de dissentir dans les formes respectueuses évitant le scandale public
1…notre maison commune est aussi comme une sœur, avec laquelle nous partageons l’existence, et comme une mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts…Personnification de la Terre.
23… Il existe un consensus scientifique très solide qui indique que nous sommes en présence d’un réchauffement préoccupant du système climatique. Au cours des dernières décennies, ce réchauffement a été accompagné de l’élévation constante du niveau de la mer, et il est en outre difficile de ne pas le mettre en relation avec l’augmentation d’événements météorologiques extrêmes, indépendamment du fait qu’on ne peut pas attribuer une cause scientifiquement déterminable à chaque phénomène particulier… Tous les ingrédients d’une opinion sont réunis : le Pape juge que le risque d’erreur en niant le réchauffement climatique et son origine anthropique est plus élevé qu’en les considérant comme vrais.
26…Voilà pourquoi il devient urgent et impérieux de développer des politiques pour que, les prochaines années, l’émission du dioxyde de carbone et d’autres gaz hautement polluants soit réduite de façon drastique, par exemple en remplaçant l’utilisation de combustibles fossiles et en accroissant des sources d’énergie renouvelable…Il ne semble pas nécessaire d’être le chef de l’Eglise catholique pour affirmer cela.. Cf Marcel Clément sur certaines affirmations de Rerum Novarum au paragraphe 1/ supra.
51. L’inégalité n’affecte pas seulement les individus, mais aussi des pays entiers, et oblige à penser à une éthique des relations internationales. Il y a, en effet, une vraie “dette écologique”, particulièrement entre le Nord et le Sud, liée à des déséquilibres commerciaux, avec des conséquences dans le domaine écologique, et liée aussi à l’utilisation disproportionnée des ressources naturelles, historiquement pratiquée par certains pays…La notion de «dette écologique» est-elle fondée en droit ? la justice sociale passe-t-elle par la reconnaissance d’une telle «dette écologique» ?
51…. Le réchauffement causé par l’énorme consommation de certains pays riches a des répercussions sur les régions les plus pauvres de la terre, spécialement en Afrique, où l’augmentation de la température jointe à la sécheresse fait des ravages au détriment du rendement des cultures. À cela, s’ajoutent les dégâts causés par l’exportation vers les pays en développement des déchets solides ainsi que de liquides toxiques, et par l’activité polluante d’entreprises qui s’autorisent dans les pays moins développés ce qu’elles ne peuvent dans les pays qui leur apportent le capital : « Nous constatons que souvent les entreprises qui agissent ainsi sont des multinationales, qui font ici ce qu’on ne leur permet pas dans des pays développés ou du dénommé premier monde. Généralement, en cessant leurs activités et en se retirant, elles laissent de grands passifs humains et environnementaux tels que le chômage, des populations sans vie, l’épuisement de certaines réserves naturelles, la déforestation, l’appauvrissement de l’agriculture et de l’élevage local, des cratères, des coteaux triturés, des fleuves contaminés et quelques œuvres sociales qu’on ne peut plus maintenir ».[30] Peut-être la réalité est-elle plus nuancée. La question de savoir si la majorité des entreprises internationales sont des bandits n’est cependant pas simple, d’autant que le capitalisme livré à lui-même encourage les mauvais comportements au lieu de les contrarier.
61. Sur beaucoup de questions concrètes, en principe, l’Église n’a pas de raison de proposer une parole définitive et elle comprend qu’elle doit écouter puis promouvoir le débat honnête entre scientifiques, en respectant la diversité d’opinions. Mais il suffit de regarder la réalité avec sincérité pour constater qu’il y a une grande détérioration de notre maison commune. L’espérance nous invite à reconnaître qu’il y a toujours une voie de sortie, que nous pouvons toujours repréciser le cap, que nous pouvons toujours faire quelque chose pour résoudre les problèmes. Cependant, des symptômes d’un point de rupture semblent s’observer, à cause de la rapidité des changements et de la dégradation, qui se manifestent tant dans des catastrophes naturelles régionales que dans des crises sociales ou même financières, étant donné que les problèmes du monde ne peuvent pas être analysés ni s’expliquer de façon isolée. Certaines régions sont déjà particulièrement en danger et, indépendamment de toute prévision catastrophiste, il est certain que l’actuel système mondial est insoutenable de divers points de vue, parce que nous avons cessé de penser aux fins de l’action humaine : « Si le regard parcourt les régions de notre planète, il s’aperçoit immédiatement que l’humanité a déçu l’attente divine ». Il semble qu’on ait affaire à une opinion probable, à laquelle il est plus sage de se ranger que l’inverse. Même commentaire que pour 26.
182. La prévision de l’impact sur l’environnement des initiatives et des projets requiert des processus politiques transparents et soumis au dialogue, alors que la corruption, qui cache le véritable impact environnemental d’un projet en échange de faveurs, conduit habituellement à des accords fallacieux au sujet desquels on évite information et large débat. Même commentaire que pour 26.
186. Dans la Déclaration de Rio de 1992, il est affirmé : «En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives.» qui empêcheraient la dégradation de l’environnement. Ce principe de précaution permet la protection des plus faibles, qui disposent de peu de moyens pour se défendre et pour apporter des preuves irréfutables. Si l’information objective conduit à prévoir un dommage grave et irréversible, bien qu’il n’y ait pas de preuve indiscutable, tout projet devra être arrêté ou modifié. Ainsi, on inverse la charge de la preuve, puisque dans ce cas il faut apporter une démonstration objective et indiscutable que l’activité proposée ne va pas générer de graves dommages à l’environnement ou à ceux qui y habitent. Le principe de précaution est-il catholique ?
193…C’est pourquoi l’heure est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties…La doctrine de la décroissance est controversée assez largement (ne pas confondre avec la théorie de la «frugalité heureuse»). On est probablement ici dans le domaine de l’opinion.
194…Dans ce cadre, le discours de la croissance durable devient souvent un moyen de distraction et de justification qui enferme les valeurs du discours écologique dans la logique des finances et de la technocratie ; la responsabilité sociale et environnementale des entreprises se réduit d’ordinaire à une série d’actions de marketing et d’image…Même commentaire que sur 51.
211… Si une personne a l’habitude de se couvrir un peu au lieu d’allumer le chauffage, alors que sa situation économique lui permettrait de consommer et de dépenser plus, cela suppose qu’elle a intégré des convictions et des sentiments favorables à la préservation de l’environnement. Accomplir le devoir de sauvegarder la création par de petites actions quotidiennes est très noble, et il est merveilleux que l’éducation soit capable de les susciter jusqu’à en faire un style de vie. L’éducation à la responsabilité environnementale peut encourager divers comportements qui ont une incidence directe et importante sur la préservation de l’environnement tels que : éviter l’usage de matière plastique et de papier, réduire la consommation d’eau, trier les déchets, cuisiner seulement ce que l’on pourra raisonnablement manger, traiter avec attention les autres êtres vivants, utiliser les transports publics ou partager le même véhicule entre plusieurs personnes, planter des arbres, éteindre les lumières inutiles. Tout cela fait partie d’une créativité généreuse et digne, qui révèle le meilleur de l’être humain. Le fait de réutiliser quelque chose au lieu de le jeter rapidement, parce qu’on est animé par de profondes motivations, peut être un acte d’amour exprimant notre dignité. Même commentaire que sur 26.
(Dans le chapitre sur la gestion internationale de l’environnement) 173. Étant donnée la fragilité des instances locales, des accords internationaux sont urgents, qui soient respectés pour intervenir de manière efficace. Les relations entre les États doivent sauvegarder la souveraineté de chacun, mais aussi établir des chemins consensuels pour éviter des catastrophes locales qui finiraient par toucher tout le monde. Il manque de cadres régulateurs généraux qui imposent des obligations, et qui empêchent des agissements intolérables, comme le fait que certaines entreprises et certains pays puissants transfèrent dans d’autres pays des déchets et des industries hautement polluants. Même commentaire que sur 26.
5.3 Pour conclure sur cette tentative de discernement sur Laudato si', il est intéressant de comparer la « conversion écologique » selon François (§ 14 puis 217 à 221, ainsi que §140, et jusqu’à 143 : la ruine des âmes, cause des désordres économiques, entre autres conséquences néfastes) à la «réforme des mœurs» selon Pie XI (Quadragesimo Anno, § 138) :
«Mais, à considérer les choses plus à fond, il apparaît avec évidence que cette instauration sociale tant désirée doit être précédée par une complète rénovation de cet esprit chrétien, qu’ont malheureusement trop souvent perdu ceux qui s’occupent des questions économiques ; sinon, tous les efforts seraient vains, on construirait non sur le roc, mais sur un sable mouvant (Mt 7,24).»
ainsi qu’à ce que dit Léon XIII dans Rerum Novarum §22 :
« C’est pourquoi, – pour employer les paroles mêmes de notre Prédécesseur, – si la société humaine doit être guérie, elle ne le sera que par le retour à la vie et aux institutions du christianisme. Lui seul peut apporter un remède efficace à cette excessive préoccupation des choses périssables, origine de tous les vices. Lui seul, lorsque les hommes sont fascinés et complètement absorbés par les biens de ce monde qui passe, peut en détourner leurs regards et les élever vers le ciel. De ce remède, qui niera que la société ait aujourd’hui le plus grand besoin ?»
6/ En guise de conclusion: Quelques précautions à prendre avant de se déterminer ou suspendre son jugement sur tel ou tel passage d’une encyclique
· Est-on certain d’avoir une version autorisée par Rome entre les mains ? le texte original et non un commentaire ou une traduction libre? Que dit la version originale en ligne sur le site du Vatican ?
· Le Pape parle-t-il de la foi et des mœurs, soit directement soit de façon indirecte mais visible ?
· Le Pape demande-t-il explicitement un assentiment ou qualifie-t-il explicitement le document ou le passage du document ?
· Quel est le contexte de rédaction de l’encyclique ? (Léon XIII, Pie IX, Bx Paul VI, S Jean-Paul II, Benoît XVI ont appliqué la sagesse de l’Eglise à des situations économiques et sociales fort différentes)
· La volonté de donner une définition définitive et irrévocable est-elle reconnaissable, et non pas seulement de prendre position au cours d’une controverse qui reste ouverte.
· A-t-on affaire à une affirmation répétitive, tant de la part du Pontife régnant que de ses prédécesseurs ? Autrement dit, l’enseignement constant de l’Eglise, sous une formulation éventuellement légèrement différente de celle des siècles passés ?
· Le Pape fait-il preuve, dans l’encyclique ou autre document pontifical dont on parle, d’insistance ? retrouve-t-on cette insistance dans d’autres documents qu’il a écrit, que ses prédécesseurs (en remontant si possible au moins à Léon XIII) ont écrit ? Le contexte d’autres paragraphes dudit document renforce-t-il l’affirmation sur laquelle on a des doutes ?
· Repère-t-on qu’on a affaire à un dogme (péché originel, Rédemption, etc.), à un enseignement constant de l’Eglise (par exemple la légitimité de la propriété privée dès lors qu’on se considère comme intendant des biens dont on est propriétaire, avec le souci de la destination universelle des biens?)
· Le style et le ton donnent-ils des indications ?
· Se représenter NS Jésus-Christ en train de prononcer les phrases que l’on étudie.
L’auteur espère ne pas être tombé dans une ou plusieurs des erreurs de réception ou fautes de comportement qu’il cite tout au long de cet article.
Nous avons étudié la question de la réception des encycliques par les laïcs catholiques. Leur réception par des non-catholiques se pose évidemment en d’autres termes mais peut avoir d'immédiates conséquences. Ainsi Dom Paul Nau osb dans son ouvrage déjà cité sur l’autorité des encycliques note avec humour que l’influence de l’encyclique Rerum Novarum en 1891 s’étendit jusqu’aux loges maçonniques, du moins le Grand Orient, qui décida de réduire la cotisation jusque là très élevée, qui en interdisait pratiquement l’entrée aux moins fortunés…Ce qui n'est pas nécessairement une bonne nouvelle.
Citons Pascal pour terminer : «Ce n’est pas par l’augmentation des preuves qu’il faut travailler à se convaincre, mais par la diminution des passions.» [14]
ANNEXE I
Sources
Pour rédiger cet article l’auteur s’est appuyé sur :
-le récent livre déjà cité du Père Augustin-Marie Aubry FSVF : «Obéir ou assentir, de la «soumission religieuse» au magistère simplement authentique» (DDB, Artège, collection Sed Contra, 2015)
- le dictionnaire de théologie catholique Letouzey-Ané (passages concernant le magistère non-infaillible du Pape ainsi que de l’Eglise ; article «Encycliques»)
- le numéro 587 d’avril 2016 du Courrier de Rome (articles de M. l’abbé Gleize, commentant notamment le livre du Père Augustin-Marie Aubry)
- le livre de Dom Paul Nau osb : «Une source doctrinale : les encycliques , essai sur l’autorité de leur enseignement.» Les Editions du Cèdre, 1952
- de M. l’abbé Lucien : « L’infaillibilité du magistère ordinaire et universel de l’Eglise (Documents de catholicité, 1984)
- l’article de Mgr Tarcisio Bertone, alors Secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dans l’Osservatore Romano du 20 décembre 1996 « A propos de la Réception des Documents du Magistère et des désaccords publics »
- le livre de M. Marcel Clément «L’économie sociale de Pie XII», chapitres IV, §3 et chapitre V du volume 1 sur les règles de réception des enseignements pontificaux (Nouvelles Editions Latines, 1953) : autorité de l’intervention pontificale et interprétation des documents pontificaux. En effet les interventions de Pie XII lors de l’après-guerre (essentiellement des radio-diffusions ou des discours à des corps constitués ou congrès du type «chefs d’entreprises ou travailleurs italiens» ou «Semaine sociale française») n’étaient pas sans soulever des réticences ou des réactions du même type que celles qui existent à propos de Laudato si’ : pourquoi le Saint-Père s’égare-t-il dans des domaines qui ne sont pas de sa compétence, etc.
- de M. Léon Ollé-Laprune : «De la certitude morale», Editions universitaires, philosophie européenne, 1880 et 1989 ; ainsi que l’allocution de Pie XII au tribunal de la Rote Romaine (1er octobre 1942) sur la même question, relativement à ce qui s’appellera plus tard le «magistère simplement authentique» et aux «assertions probables».
ANNEXE II
Rappel de quelques définitions
ü Magistère ordinaire universel (inclut «ce qui a été dit et cru toujours et partout» mais ne s’y limite pas car le magistère est vivant) : le Magistère ordinaire universel consiste en la transmission de manière unanime, sous l’autorité suprême du Pape, par l’ensemble des évêques dispersés de la même doctrine divinement révélée, en matière de foi et de mœurs. Ce critère permet de savoir ce qui est à croire comme vérité révélée et ce qui ne l’est pas, donc ce qui n’impose pas un assentiment absolu, et une obéissance divine et de foi de l’intellect et de la volonté. Il est infaillible, dès lors qu’il est exercé avec l’intention de transmettre avec autorité la vérité révélée. [L’infaillibilité du magistère ordinaire universel s’étend-elle à des vérités que l’Eglise ne propose pas comme des vérités révélées, mais tient simplement comme certaines, obligatoires ou liées (connexes) à la Révélation ? Dei Filius(Vatican I, 1870) y répond positivement dans le cas du Pape (doctrine «à croire de foi divine» mais aussi «à tenir») ainsi que Pie IX dans sa lettre Gravissimas Inter à l’archevêque de Munich du 12 décembre 1862 puis Tuas libenter du 21 décembre 1863.]
ü Enseignement infaillible (constitution Dei Filius du 24 avril 1870) : enseignement ex-cathedra du Saint-Père[15] ou magistère ordinaire universel des évêques (y compris le Pape) L’enseignement infaillible «habituel» est le magistère ordinaire universel, les définitions dogmatiques ex cathedra du Pape n’intervenant qu’exceptionnellement pour donner une solennité supplémentaire aux vérités véhiculées par le magistère ordinaire universel[16]. L’infaillibilité s’étend non seulement aux vérités de foi catholique (Vatican I), aux vérités qui sans être de foi catholique appartiennent à la tradition de l’Eglise, mais encore :
v au dépôt de la foi dans son ensemble
v aux conclusions théologiques, aux faits dogmatiques
v aux lois universelles promulguées par Rome
v à l’approbation des ordres religieux,
v à la discipline
v à la canonisation des saints.
(DTC, Infaillibilité de l’Eglise, tIV col. 2185, 2186)
La Définition, comme le Jugement solennel, est un acte précis du Souverain Pontife, par lequel il affirme, en engageant irrévocablement son autorité suprême, qu’une vérité s’impose à l’adhésion des chrétiens. [Pie XII dans Humani Generis précise : « Pour qu’on doive reconnaître [dans des sentences figurant dans des encycliques] de véritables définitions, il faudra donc seulement qu’elles remplissent les conditions précisées par le Concile [de Vatican I] : l’objet de la définition doit être une matière de foi ou de morale, le Souverain Pontife doit y exercer son rôle de Docteur et Pasteur universel, enfin l’acte lui-même doit être un jugement sans appel.»]
Domaine prudentiel : par opposition au domaine dogmatique ou doctrinal, couvre les questions qui ne relèvent pas directement de la foi et des mœurs et sur lesquelles l’Eglise prend position en s’appuyant sur la vertu cardinale de prudence. L’économie est souvent citée comme exemple de sujet relevant du domaine prudentiel. La prudence (vertu) est dans ce cas définie comme l’attitude d'esprit de celui qui voir loin, et aussi calcule les conséquences d'une situation, d'une action qui pourraient être fâcheuses ou dangereuses moralement ou matériellement, et qui règle sa conduite de façon à les éviter.
Magistère simplement authentique : enseignement du corps épiscopal en union avec le Pape, autre que le magistère ordinaire universel. Défini par la constitution dogmatique Lumen Gentium du 21 novembre 1964 (Vatican II). Entre l’infailliblement vrai et l’erreur, s’étend le domaine du magistère simplement authentique et des opinions de l’Eglise enseignante.
Les actes du magistère simplement authentique réclament une soumission religieuse : non seulement externe mais aussi interne, d’adhésion de l’intellect sous la motion de la volonté.
Encyclique : dans les temps anciens, les encycliques étaient des lettres qui s’adressaient aux évêques, permettant ainsi au Pape de leur faire rapidement connaître sa pensée et ses volontés ; ces lettres faisaient au plus vite le tour du monde chrétien, d’où leur nom. Le pape Benoît XIV en a rétabli l’usage au XVIIIème siècle[17]. Plus récemment, les papes les ont utilisées pour s’adresser directement aux fidèles ou a fortiori aux «hommes de bonne volonté» dans leur ensemble.
Jugements personnels, opinions, déclarations privées, conférences de presse… : déclarations n’ayant normalement pas le caractère d’enseignement. Le Pape peut s’exprimer soit comme docteur privé soit comme docteur et pasteur de l’Eglise
Obéissance : acte de la volonté consistant à se soumettre à la volonté d’autrui et à l’exécuter. L’intelligence peut intervenir pour discerner le bien auquel tend l’obéissance.
Assentiment : acte de l’intelligence qui donne son adhésion à la vérité ; il relève soit de la science ou de l’opinion, soit de la foi. La volonté peut intervenir si la certitude n’est pas entière. Léon Ollé-Laprune[18] nous apprend que : «L’assentiment est déterminé par l’évidence, non par la volonté. Le consentement à la vérité dépend de la volonté. Enfin, il y a des cas où l’assentiment lui-même dépend de la volonté : c’est lorsque les raisons ne convainquent point l’intelligence, et qu’une hésitation étant toujours possible, il faut se décider par un acte de volonté[19].» De plus «… les vérités morales demandent le consentement de la volonté en même temps que l’assentiment de la raison…[20]»
Opinion : acte de l’intelligence qui se porte vers une des deux parties de la contradiction, avec la crainte de commettre une erreur. La prudence doit être mise en œuvre dans la formation de l’opinion. Dans l’opinion raisonnable l’inclination à adhérer doit évidemment l’emporter sur la crainte de l’erreur. Contre l’opinion probablement vraie, il n’est pas raisonnable d’agir selon l’opinion probablement fausse.
Aux vérités dogmatiques énoncées par l’Eglise, le fidèle doit l’assentiment de foi divine (Obsequium fidei) Aux sentences définitives, il doit assentiment ferme et définitif. Au magistère simplement authentique donc pouvant être faillible (mais aussi infaillible…) : soumission religieuse (Obsequium religiosus). Le numéro 23 de l’instruction Donum Veritatis du 24 mai 1990, destinée aux théologiens suite à diverses crises, rappelle les trois types d’autorité du magistère (sentence infaillible, doctrine définitive, doctrine non définitive) et les trois types d’assentiment correspondants (assentiment de foi théologale, assentiment ferme et irrévocable, religieuse soumission de la volonté et de l’intelligence). Notons que cela vaut aussi bien pour les vérités à accepter que pour les erreurs à fuir.
Sur le magistère ordinaire et universel, le Dictionnaire de théologie catholique (Letouzey-Ané) dit : « … en cas d’insoumission à un tel enseignement pontifical, il y a toujours violation d’une loi de l’Eglise ; il y a souvent faute contre la vertu de foi dans la mesure où, désobéissant au magistère pontifical, on s’expose à quelque danger plus ou moins grave concernant la foi ; il peut facilement aussi y avoir faute contre la charité, par le scandale donné ou par le dommage spirituel que l’on peut causer autour de soi par sa désobéissance, suivant la position que l’on occupe et l’influence que l’on peut exercer. » (c’est nous qui soulignons).
On notera enfin que l’enseignement doctrinal de l’Eglise à une époque donnée ne peut en aucun cas contredire son enseignement doctrinal aux époques antérieures. Il peut seulement l’approfondir, l’éclaircir, le commenter, le développer, l’expliciter, si besoin. Dans le cas contraire, il y aurait au sein de l’Eglise catholique des transmissions incohérentes du dépôt de la foi.
ü Certitude morale [21]:
«La certitude morale du magistère pontifical non-infaillible repose sur :
v la prudente maturité avec laquelle l’Eglise procède à l’examen doctrinal ;
v les preuves traditionnelles ordinairement citées ;
v la sagesse éprouvée des papes, telle qu’on ne saurait citer un seul cas où l’erreur serait encouragée.
Contre cette certitude morale, il ne devrait y avoir que des doutes ou soupçons non fondés ou imprudents. Si toutefois dans un cas particulier, des doutes qui paraissent bien fondés arrêtent l’intelligence et empêchent son adhésion à l’enseignement proposé, on doit, pour mettre un terme à cette situation d’esprit, soumettre ses doutes à des guides capables d’éclairer l’intelligence, ou les soumettre à l’autorité elle-même.»
Pie XII, dans son allocution au tribunal de la Rote romaine, 1er octobre 1942 (s’adressant donc à des juristes canoniques): «Entre la certitude absolue et la quasi-certitude ou probabilité, se trouve, comme entre deux extrêmes, cette certitude morale,…Sous son aspect positif elle est caractérisée par le fait qu’elle exclut tout doute fondé ou raisonnable, et ainsi elle se distingue de la quasi-certitude… sous son aspect négatif, elle laisse subsister la possibilité absolue du contraire, et par là se différencie de la certitude absolue. Cette certitude morale dont Nous parlons maintenant est nécessaire et suffisante pour prononcer une sentence… De toute façon, cette certitude doit être entendue comme certitude objective, c’est-à-dire basée sur des motifs objectifs, il ne faut pas l’entendre comme une certitude purement subjective, qui se fonde sur le sentiment ou sur l’opinion purement subjective de celui-ci ou celui-là, peut-être même sur quelque crédulité personnelle, légèreté ou inexpérience… La certitude morale admet[tant] plusieurs degrés.»
ANNEXE III
Constitution dogmatique sur l’Eglise catholique Lumen Gentium, 25
(c’est nous qui soulignons)
25. La fonction d’enseignement des évêques
Parmi les charges principales des évêques, la prédication de l’Évangile est la première [75]. Les évêques sont, en effet, les hérauts de la foi, amenant au Christ de nouveaux disciples, et les docteurs authentiques, c’est-à-dire pourvus de l’autorité du Christ, prêchant au peuple qui leur est confié la foi qui doit régler leur pensée et leur conduite, faisant rayonner cette foi sous la lumière de l’Esprit Saint, dégageant du trésor de la Révélation le neuf et l’ancien (cf. Mt 13, 52), faisant fructifier la foi, attentifs à écarter toutes les erreurs qui menacent leur troupeau (cf. 2 Tm 4, 1-4). Les évêques qui enseignent en communion avec le Pontife romain ont droit, de la part de tous, au respect qui convient à des témoins de la vérité divine et catholique ; les fidèles doivent s’attacher à la pensée que leurs évêques expriment, au nom du Christ, en matière de foi et de mœurs, et ils doivent lui donner l’assentiment religieux de leur esprit. Cet assentiment religieux de la volonté et de l’intelligence est dû, à un titre singulier, au Souverain Pontife en son magistère authentique, même lorsqu’il ne parle pas ex cathedra, ce qui implique la reconnaissance respectueuse de son suprême magistère, et l’adhésion sincère à ses affirmations, en conformité à ce qu’il manifeste de sa pensée et de sa volonté et que l’on peut déduire en particulier du caractère des documents, ou de l’insistance à proposer une certaine doctrine, ou de la manière même de s’exprimer.
Quoique les évêques, pris un à un, ne jouissent pas de la prérogative de l’infaillibilité, cependant, lorsque, même dispersés à travers le monde, mais gardant entre eux et avec le successeur de Pierre le lien de la communion, ils s’accordent pour enseigner authentiquement qu’une doctrine concernant la foi et les mœurs s’impose de manière absolue, alors, c’est la doctrine du Christ qu’infailliblement ils expriment [76]. La chose est encore plus manifeste quand, dans le Concile œcuménique qui les rassemble, ils font, pour l’ensemble de l’Église, en matière de foi et de mœurs, acte de docteurs et de juges, aux définitions desquels il faut adhérer dans l’obéissance de la foi [77].
Cette infaillibilité, dont le divin Rédempteur a voulu pourvoir son Église pour définir la doctrine concernant la foi et les mœurs, s’étend aussi loin que le dépôt lui-même de la Révélation divine à conserver saintement et à exposer fidèlement. De cette infaillibilité, le Pontife romain, chef du collège des évêques, jouit du fait même de sa charge quand, en tant que pasteur et docteur suprême de tous les fidèles, et chargé de confirmer ses frères dans la foi (cf. Lc 22, 32) , il proclame, par un acte définitif, un point de doctrine touchant la foi et les mœurs [78]. C’est pourquoi les définitions qu’il prononce sont dites, à juste titre, irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l’Église, étant prononcées sous l’assistance du Saint-Esprit à lui promise en la personne de saint Pierre, n’ayant pas besoin, par conséquent, d’une approbation d’autrui, de même qu’elles ne peuvent comporter d’appel à un autre jugement. Alors, en effet, le Pontife romain ne prononce pas une sentence en tant que personne privée, mais il expose et défend la doctrine de la foi catholique [79], en tant qu’il est, à l’égard de l’Église universelle, le maître suprême en qui réside, à titre singulier, le charisme d’infaillibilité qui est celui de l’Église elle-même. L’infaillibilité promise à l’Église réside aussi dans le corps des évêques quand il exerce son magistère suprême en union avec le successeur de Pierre. À ces définitions, l’assentiment de l’Église ne peut jamais faire défaut, étant donné l’action du même Esprit Saint qui conserve et fait progresser le troupeau entier du Christ dans l’unité de la foi [80].
Lorsque le Pontife romain, ou le corps des évêques avec lui, porte une définition, ils le font conformément à la Révélation elle-même à laquelle tous doivent se tenir et se conformer, Révélation qui est transmise intégralement, sous forme écrite ou par tradition, par la succession légitime des évêques, et, avant tout, par le soin du Pontife romain lui-même ; cette Révélation à la lumière de l’Esprit de vérité est scrupuleusement conservée dans l’Église et fidèlement présentée [81]. Le Pontife romain et les évêques s’appliquent avec zèle à scruter consciencieusement et à énoncer correctement cette Révélation, dans la conscience de leur devoir et de la gravité de la chose, en ayant recours aux moyens appropriés [82] ; mais ils ne reçoivent, comme appartenant au dépôt divin de la foi, aucune nouvelle révélation publique [83].
ANNEXE IV
Définitions de la Doctrine Sociale de l’Eglise (DSE)
1 Compendium de la DSE, Commission Justice & Paix, 2005 :
73 La doctrine sociale est, par conséquent, de nature théologique, et spécifiquement théologico-morale, «s'agissant d'une doctrine destinée à guider la conduite de la personne»: 103 « Elle se situe à la rencontre de la vie et de la conscience chrétienne avec les situations du monde, et elle se manifeste dans les efforts accomplis par les individus, les familles, les agents culturels et sociaux, les politiciens et les hommes d'État pour lui donner sa forme et son application dans l'histoire ».104 La doctrine sociale reflète, de fait, les trois niveaux de l'enseignement théologico-moral: le niveau fondateur des motivations, le niveau directif des normes de la vie sociale et le niveau délibératif des consciences, appelées à actualiser les normes objectives et générales dans les situations sociales concrètes et particulières. Ces trois niveaux définissent implicitement aussi la méthode propre et la structure épistémologique spécifique de la doctrine sociale de l'Église.
87 L'expression doctrine sociale remonte à Pie XI 139 et désigne le «corpus » doctrinal concernant les thèmes d'importance sociale qui, à partir de l'encyclique «Rerum novarum» 140 de Léon XIII, s'est développé dans l'Église à travers le Magistère des Pontifes Romains et des évêques en communion avec lui.
2 Pie XII, radiomessage du 1er juin 1941:La compétence de l'Eglise s'étend à cette part de l'ordre social qui entre en contact avec la morale.
3 Pie XII, message radiophonique du 24 décembre 1942 : La doctrine sociale de l’Eglise contient des principes fondamentaux, qui ne sont que l’expression du droit naturel et de la saine raison, éclairés par la Révélation.
4 Pie XII, allocution du 29 avril 1945 à l’Action catholique italienne, que nous avons reproduite plus haut : «Si [la doctrine sociale catholique] est définitivement et de façon univoque fixée quant à ses points fondamentaux, elle est toutefois suffisamment large pour pouvoir être appliquée aux vicissitudes variables des temps, pourvu que ce ne soit pas au détriment de ses principes immuables et permanents…elle est obligatoire ; nul ne peut s’en écarter sans danger pour la foi et l’ordre moral ; il n’est donc permis à aucun catholique…d’adhérer aux théories et systèmes sociaux que l’Eglise a répudiée et contre lesquels elle a mis les fidèles en garde.»
5 S Jean-Paul II, discours de Puebla, 18/11/1979 : Cette doctrine sociale comporte par conséquent des principes de réflexion, mais aussi des normes de jugement et des directives d’action (cf. Octogesima adveniens, n. 4)… Ce qu’ Evangelii Nuntiandi [Paul VI] appelle : «doctrine sociale» ou enseignement social de l’Eglise se forme à la lumière de la Parole de Dieu et de l’enseignement du Magistère authentique.
6 S Jean-Paul II, lettre encyclique Sollicitudo Rei Socialis, n°s 1, 8 et 41, 1987 : L'enseignement et la diffusion de la doctrine sociale font partie de la mission d'évangélisation de l'Eglise. Et, s'agissant d'une doctrine destinée à guider la conduite de la personne, elle a pour conséquence l'«engagement pour la justice» de chacun suivant son rôle, sa vocation, sa condition.
7 Itinéraires, n° 304, juin 1986 : La doctrine sociale de l’Eglise est l’application des principes constants de la théologie morale à la vie en société.
Notons enfin que la DSE est de plus en plus souvent nommée «doctrine sociale chrétienne» ou «enseignement social de l’Eglise», ou même «pensée sociale chrétienne» et «message social », ce qui tend à réduire l’autorité des enseignements qu’elle contient et à en faire un instrument de dialogue (œcuménique, interreligieux, ou avec le monde athée) plutôt qu’un magistère.
[1] On pourrait faire le même constat pour le Ralliement (des catholiques à la République) exigé par Léon XIII, ou la condamnation de l’Action Française (et l’excommunication de adhérents ou de ses lecteurs) par Pie XI ; la question de la rébellion à l’autorité du Pape sur des questions apparemment temporelles (mais en réalité concernant la foi et les mœurs) ne date pas d’hier. Plus près de nous, la réception d’ Humanae Vitae de Paul VI fournit un exemple supplémentaire, comme le rappelle le Père Augustin-Marie page 170 de «Obéir ou assentir» (cité plus loin), parlant de «réception larvée».
[2] Marcel Clément : «L’économie sociale de Pie XII» (NEL 1953)
[3] C’est moins vrai de nos jours, la notion de «conversion écologique» en est un exemple, ou celle de «crime contre la planète».
[4] Cité dans Dom Paul Nau osb : «Une source doctrinale : les encycliques- essai sur l’autorité de leur enseignement », Cèdre, 1952
[5] Op.cit
[6] Même si le concile pastoral Vatican II, premier concile œcuménique non-dogmatique, a produit comme on le sait deux constitutions dogmatiques (Lumen Gentium sur l’Eglise et Dei Verbum sur la Révélation), les autres constitutions : Gaudium & Spes (sur l’Eglise dans le monde de ce temps) , Dignitatis Humanae (sur la liberté religieuse), et Sacrosanctum Concilium (sur la sainte Liturgie) n’ayant pas la note dogmatique.
[7] Noter que l’ouvrage du Père Augustin-Marie Aubry traite de l’ensemble du magistère authentique : donc pas seulement de la DSE ni seulement des encycliques ni seulement du Pape.
[8] Dom Paul Nau osb : «Une source doctrinale : les encycliques , essai sur l’autorité de leur enseignement.» Les Editions du Cèdre, 1952-Page 41
[9]Op.cit. (citant L. Choupin sj et son ouvrage de référence : « Valeur des décisions doctrinales et disciplinaires du Saint-Siège », 1929).
[10] Marcel Clément : «L’économie sociale selon Pie XII», volume 1, NEL, 1953)
[11] C’est le dogme du péché originel et de ses conséquences sur la Création, reformulé sans le nommer.
[12] idem
[13] Saint Thomas affirme que par la seule raison, l’homme peut arriver à la certitude de l’existence d’un Dieu créateur et distinct de sa Création, mais pas au mystère de la Trinité. Ce qui ne contredit pas la réalité des reflets finis de la Sainte Trinité dans la Création, à commencer par l’homme.
[14]Preuves par discours I, Lafuma 418 à 426 (série II) / Sellier 680 (Discours de la Machine).
ü [15]Définition de l’infaillibilité du Pape (Vatican I, Constitution Pastor Aeternus chapitre 4 «Le magistère infaillible du Pontife romain»): « C'est pourquoi, nous attachant fidèlement à la tradition reçue dès l'origine de la foi chrétienne, pour la gloire de Dieu notre Sauveur, pour l'exaltation de la religion catholique et le salut des peuples chrétiens, avec l'approbation du saint concile, nous enseignons et définissons comme un dogme révélé de Dieu :
Le Pontife romain, lorsqu'il parle ex cathedra, c'est-à-dire lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, qu'une doctrine sur la foi ou les moeurs doit être tenue par toute l'Église, jouit, par l'assistance divine à lui promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que fût pourvue son Église, lorsqu'elle définit la doctrine sur la foi et les moeurs. Par conséquent, ces définitions du Pontife romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l'Église.
Si quelqu'un, ce qu'à Dieu ne plaise, avait la présomption de contredire notre définition, qu'il soit anathème.»
[16]Quatre conditions sont requises pour une définition pontificale infaillible
v Le Pape doit parler ex cathedra : comme pasteur et docteur de tous les chrétiens, pas seulement comme docteur privé, ni seulement comme évêque de Rome, primat d’Italie ou patriarche d’Occident ;
v Il faut qu’il soit question d’une vérité ou d’une doctrine concernant la foi et les mœurs, que cette vérité soit une vérité révélée ou simplement connexe à la Révélation ;
v Il faut que le Pape définisse, en vertu de sa suprême autorité apostolique, que cette vérité ou doctrine doit être tenue par l’Eglise universelle.
v De plus, il faut que soit reconnaissable, dans la formule ou dans les circonstances qui entourent le décret, la volonté de donner une définition définitive et irrévocable, non pas seulement de prendre position au cours d’une controverse qui reste ouverte.
[17] Dom Paul Nau osb, op.cit
[18]Léon Ollé-Laprune : «De la certitude morale», Editions universitaires, philosophie européenne, 1880 et 1989
[19] Op.cit. page 41
[20] Op.cit page 193
[21] (Dictionnaire de théologie catholique, Letouzey-Ané, infaillibilité du Pape (col. 1638- ) et infaillibilité de l’Eglise (tIV, col 2175-2200)