Blog de l'AEC, Association des Économistes Catholiques
Cela n’est pas un fait divers : c’est un fait qui révèle la façon dont la France est gouvernée. Prenons un autre problème qui se pose actuellement avec acuité : le manque de lits dans les hôpitaux. La pénurie est telle dans certaines parties du territoire que l’on expédie des malades, par avion ou par train spécial, à des centaines de kilomètres. Comment en est-on arrivé là ? En schématisant, parce que de petits malins, au ministère de la santé comme dans les ARS (Agences régionales de santé, qui supervisent le système de santé dans les Régions), ont fait un calcul qu’ils estimaient génial : s’il y a 500 lits dans un hôpital, en en supprimant 50 on réduira la dépense de 10 % ! Pour économiser, on a donc fait la chasse aux lits. Il n’en est résulté aucune économie, parce qu’il a fallu jongler avec l’occupation des chambres, envoyer plus rapidement les convalescents dans des maisons de repos qui, du coup, se sont retrouvées en surcharge et, pour avoir les moyens de s’agrandir, ont augmenté leurs tarifs. L’idée géniale de nos petits marquis était une idiotie, mais personne ne leur a tapé sur les doigts : nous sommes dans un pays où les gestionnaires publics ne sont pas rétrogradés ou licenciés quand ils commettent une grosse erreur, mais plutôt promus (avec les avantages pécuniaires correspondants) à un poste honorifique où, espère-t-on, leur inactivité évitera quelques coûteuses bévues.
S’il fallait enfoncer le clou, nous ferions la liste des logiciels foireux, du genre de Louvois pour l’armée, ou des opérations stupides, comme les modifications de vitesse limite sur certaines routes, avec remplacement de moult panneaux 90 km/h par des panneaux 80 km/h, suivi quelques mois plus tard du changement inverse. La France est sur-administrée, et ce par des personnes dont la compétence laisse souvent à désirer, et du coup elle n’est pas correctement administrée.
Naturellement, les entreprises françaises vont être victimes de la faiblesse opérationnelle de notre administration pléthorique lorsqu’il s’agira de prendre des mesures pour éviter l’épidémie de faillites qui les menace, faillites dont les effets s’ajouteront aux conséquences sanitaires fâcheuses de notre vulnérabilité au coronavirus. Il faudrait surtout que les mesures prises pour limiter la diffusion du covid-19 soient aussi peu invasives que possible. Nous avons besoin de biens et de services, et donc les pouvoirs publics doivent faciliter la tâche aux producteurs. Comme tout le monde ne peut pas télétravailler, il convient de mettre le paquet sur la protection des personnes contraintes, pour travailler, à ne pas pratiquer le confinement.
Plus facile à dire qu’à faire ? Certes, et je n’ai pas la compétence requise pour dire quelles entreprises doivent prioritairement faire l’objet d’une facilitation de leur activité, ni pour préciser quelle pourrait être précisément cette facilitation, et je présume que les ministres sont comme moi. Ils n’ont donc pas à dire à une entreprise de travaux publics comment faire son travail avec un minimum de risques, mais en revanche ils peuvent comme vous et moi constater que la forte diminution de la circulation crée des conditions favorables pour l’entretien et l’aménagement de nos routes et de nos rues, et inciter les entreprises de travaux publics et les édiles locaux à en profiter. Cherchons les autres opportunités créées par le confinement, par exemple en matière d’entretien et d’embellissement de nos jardins publics. Que les Pandores ne soient pas là principalement pour verbaliser, mais pour faciliter et sécuriser l’activité.
L’activité est bien sûr le meilleur antidote à la faillite, mais elle n’est pas toujours possible. Quantité d’entreprises et d’administrations sont en état d’hibernation : le problème est de bien préparer le moment où la marmotte pourra enfin sortir de son terrier, c’est-à-dire où les entreprises en hibernation pourront recommencer à produire à un bon rythme. Pour cela, pas de mystère : il faut ouvrir intelligemment les vannes du crédit.
Je dis bien « intelligemment », car il ne s’agit pas de sauver tous les canards boiteux. Les entreprises sont mortelles, comme nous, et il ne faut pas chercher à sauver à coups de prêts garantis par l’Etat des entreprises qui avaient déjà un pied dans la tombe. En revanche, aucune entreprise saine, ayant un marché raisonnablement porteur, ne devrait périr faute d’argent pour relancer son activité. Nous allons avoir de toutes façons un formidable gonflement de la dette publique : le tout est qu’il serve vraiment à redonner de l’air à des entreprises fondamentalement saines, mais au bord de l’asphyxie.
La question est : l’administration possède-t-elle les compétences requises pour effectuer ce travail de banquier et de « business angel » ? Il est probable qu’elle aura besoin de s’adjoindre des personnes qui connaissent bien le monde des affaires, au bon sens du terme. Une mobilisation des jeunes retraités ayant ce type d’expérience aurait certainement de bons effets. Simplement, il faut commencer tout de suite : que dans chaque préfecture, ou dans chaque Conseil Général, dans chaque conseil régional, dans chaque chambre de commerce, se mettent en place des petites équipes agiles, genre écureuils, pas brontosaures, pour préparer tout de suite l’oxygénation monétaire des entreprises ayant une constitution robuste, de façon que le jour où il sera physiologiquement raisonnable de se remettre au boulot, on ne perde pas de temps. C’est une opération du type débarquement en Normandie : tout doit être préparé, mais avec un type de planification extrêmement souple, parce qu’on a beau avoir bien regardé du haut du ciel on ne sait pas exactement quelle résistance on rencontrera derrière tel relief ou en traversant tel cours d’eau.
Qu’adviendra-t-il de la dette, évidemment excessive selon les critères ordinaires, émise pour remettre en route nos entreprises ? L’émettre ne sera pas difficile, la BCE semble avoir compris la situation et être disposée à ouvrir largement les vannes du crédit. Le problème sera de la résorber. Il existe pour cela deux techniques : l’inflation et la transformation en fonds propres. La seconde est la plus sympathique, mais je serais très étonné qu’elle suffise. Il faudra donc se résoudre à supporter durant quelque temps (2 ou 3 ans ?) une hausse des prix comme nous en avons connu il y a plusieurs décennies, 10% ou 15 % par an. Certes, nous avons perdu l’habitude de voir valser les étiquettes, mais il faudra bien résorber le pouvoir d’achat excédentaire correspondant à une augmentation massive des dettes et des liquidités nominales.
Cette inflation se combinera probablement avec un certain affaiblissement de l’euro, mais il est difficile d’être précis à ce sujet. Le dollar, la livre, le Yen, perdront probablement eux aussi du pouvoir d’achat, ce qui devrait limiter la faiblesse de l’euro sur le marché des changes. Le problème est : quid du Renminbi ? Je ne sais pas comment la Chine se comportera, c’est à mes yeux une inconnue majeure. Qui vivra verra – et, si l’on a l’audace d’autoriser une forte inflation de crédit, du moins y aura-t-il, pour voir, un bon nombre de nos entreprises.
[1] C. Allain et R. Le Dourneuf, sur 20 minutes, le 2 avril 2020.