Blog de l'AEC, Association des Économistes Catholiques
Chercher à tirer de ces milliers de chiffres des indications claires sur l’état de nos finances sociales serait courir après une chimère. En effet, premièrement il ne s’agit, en juin, que des comptes du régime général, ce qui ne représente pas la totalité de nos dépenses sociales : si c’est la grosse majorité pour la Santé, les accidents du travail et la famille, c’est moins de la moitié pour la Vieillesse. Et deuxièmement, le système des vases communicants entre les finances de l’Etat et celles de la sécu est tel que le résultat comptable de cette dernière ne reflète nullement, comme ce serait le cas pour une entreprise, la différence entre ses recettes propres et ses dépenses : aux recettes propres s’ajoutent en effet des dotations de l’État, qui prennent des formes assez diverses (subventions, affectation totale ou partielle de certaines recettes fiscales), et peuvent changer d’une année sur l’autre pour des raisons politiciennes.
Les cocoricos lancés lorsque le déficit semble diminuer, et les pleurs versés lorsqu’il semble augmenter, saluent donc des améliorations ou des aggravations calculées selon des règles comptables qui ne fournissent pas nécessairement des informations pertinentes, du fait des transferts entre État et Sécu qui viennent d’être évoqués. En revanche, le rapport est intéressant par les indications qu’il fournit sur les dépenses et sur certaines recettes.
Le sacrifice de la branche famille
Depuis plusieurs décennies, la branche famille est celle à laquelle on rogne régulièrement les ailes, en diminuant les prestations qu’elle verse et ses recettes propres, et en augmentant ses transferts à la branche vieillesse. L’évolution récente poursuit dans ce sens. Selon les termes mêmes du rapport, « pour la troisième année consécutive, les prestations légales ont baissé (- 0,2 %) ». Les dépenses en direction de la petite enfance sont au top de cette diminution. Elles ont beaucoup diminué depuis 2 ans, et vont continuer à baisser, surtout les allocations versées durant le congé parental : celles-ci sont passées de 1 788 M€ en 2015 à 1 232 M€ en 2017 et elles sont prévues à 991 M€ en 2018 (- 19,6 % de l’an dernier à cette année). Le nombre des naissances diminue lui aussi depuis 3 ans, mais fort heureusement pas dans les mêmes proportions. Le sens de la causalité, si causalité il y a, va donc beaucoup plus de la ladrerie croissante de ces prestations destinées à permettre aux jeunes mères de « pouponner » un peu, vers la dénatalité, que dans le sens inverse. La baisse des prestations légales est en partie compensée par une hausse importante des prestations extralégales, qui devrait atteindre presque 12 % de 2015 à 2018. Si l’on y ajoute diverses prestations sous conditions de ressources, complément familial et allocation de soutien familial principalement, toutes deux en progression d’environ 6 % par an en 2016, 2017 et 2018, et les prestations extra-légales, la CNAF devient de plus en plus un organisme d’assistance aux familles en difficulté, et de moins en moins une institution chargée de répartir entre tous les citoyens les frais de l’indispensable investissement dans la jeunesse.
La branche vieillesse : forte progression des dépenses et des recettes
Le rapport annonce un doublement de l’excédent de la CNAV, à 1,8 Md€. Il faut dire que, notamment du fait des augmentations de taux décidées par la loi retraite de Janvier 2014, les rentrées de cotisations ont beaucoup augmenté : de 75 Md€ en 2015 à 85,9 Md€ en 2017 et, l’amélioration de l’emploi aidant, 89 Md€ prévus en 2018. Cela explique que la forte augmentation des prestations (de 110,6 Md€ à 126,2 Md€) ait pu se produire en sortant du léger déficit (300 M€) enregistré en 2015 pour arriver à un excédent non négligeable (1,8 Md€ en 2017 ; 1,3 Md€ prévus en 2018). Les comptes de la CNAV seraient néanmoins fortement déficitaires sans les dotations provenant du FSV (le Fonds de solidarité vieillesse) et de la branche famille. Comme le FSV donne en partie de l’argent qu’il ne récolte pas, mais qu’il emprunte, il est déficitaire : à hauteur de 2,9 Md€ en 2017, et de 2,8 Md€ dans les prévisions pour 2018. Ce qui veut dire que la branche vieillesse, FSV inclus, est encore déficitaire : il manque 1,1 Md€ pour 2017, et pour 2018 le besoin de financement devrait augmenter légèrement, à 1,4 Md€. Ce n’est pas tout : la CNAV bénéficie également d’importants transferts en provenance de la CNAF, qui lui verse chaque année un peu plus de 10 Md€, au prétexte que le versement de majorations de pension aux parents de famille nombreuse constituerait une sorte de prestation familiale, et que l’assurance vieillesse des parents au foyer devrait être préparée par des versements de cotisations vieillesse (prises en charge par la CNAF). En réalité, la préparation des retraites futures étant préparée par la mise au monde et l’éducation des enfants, les parents de famille nombreuse cotisent déjà « en nature », mais le mythe selon lequel ce seraient les cotisations vieillesse qui préparent les pensions futures, comme si la retraite par répartition fonctionnait de la même manière que la retraite par capitalisation, rend cette entourloupe « politiquement correcte ». Sans cette ponction justifiée par des sophismes ayant force de loi, les comptes de la CNAV seraient fortement déficitaires, et ceux de la CNAF fortement excédentaires.