Blog de l'AEC, Association des Économistes Catholiques
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Développement_durable)
D’autres représentations moins usitées existent : cercles emboîtés, pyramide, etc. comme le montrent les images ci-dessous, parmi de nombreuses autres :
(https://developpementdurable.revues.org/1133 ), ou bien:
( http://www.anthropiques.org/?p=964 , Passet 79)
ou enfin
(http://www.sauter.fr/fr/prestations-de-services-competences-sauter/batiment-vert-sauter.html )
Parfois vient s’ajouter une dimension culturelle à la dimension sociétale. Certains aussi imaginent des sphères (tridimensionnelles) plutôt que des ellipses (bidimensionnelles), ces dernières (le cercle étant un cas particulier d’ellipse) étant souvent perçues également comme les empreintes au sol de trois piliers soutenant le développement durable :
(http://www.naturnet.org/simplecms/?menuID=21&articleID=30&action=article&presenter=ArticleDetail et http://changingthestory.net/2010/11/ )
Des schémas similaires sont utilisés également pour représenter de façon synthétique la responsabilité sociétale des entreprises, qui concerne les trois mêmes domaines : performance économique, engagement concernant l’environnement et amélioration des conditions sociales et sociétales des parties prenantes de l’entreprise : ellipses similaires à celles du DD, «triple bottom line», "PPP : People, Profit, Planet" etc.
1/ Rappel de la définition du développement durable et de la responsabilité sociétale des entreprises
Selon le rapport Bruntland (1987) : le développement durable (sustainable development) est «le développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins.» Il semblerait cependant qu'une version plus positive du même rapport existe: " ... et renforce le potentiel actuel et futur de satisfaction des besoins des hommes."
Pour l’Union Européenne (Livre vert de la RSE), la responsabilité sociétale des entreprises est «ce que les entreprises réalisent volontairement dans les domaines environnemental et social dans le cadre de leurs relations commerciales avec leurs parties prenantes, une fois satisfaites leurs obligations légales.» (Commission de l’Union Européenne, 2001). Le terme anglais CSR (corporate social responsibility) ne s’embarrasse pas de la distinction française entre social et sociétal, qui vise à ne pas enfermer les relations de l’entreprise avec ses parties prenantes dans un «dialogue social» parfois confisqué par les DRH et les syndicats. Il serait par ailleurs intéressant de gloser sur l’origine du terme «corporation» pour désigner l’entreprise en anglais, mais c’est un autre sujet (que Michael Novak a fort bien élucidé dans sa conférence Pfizer 1996 «The future of corporation».)
2/ Quelques présupposés sous-jacents aux principales représentations graphiques du développement durable et de la responsabilité sociétale des entreprises
3/ Influence possible des représentations graphiques sur les représentations mentales du développement durable et de la responsabilité sociétale des entreprises
3.1 Inconvénients
Un processus dynamique (durabilité) et probablement récursif est représenté par un schéma statique ou du moins stationnaire (les trois domaines en interaction)
Les processus à l’œuvre au sein des trois domaines représentés, ainsi que leurs interactions, échappent à la représentation.
Le lien intergénérationnel (qu'on l'admette ou pas) n'est pas représenté.
On constate une absence totale de verticalité, a fortiori de transcendance (voir le paragraphe 4/ sur la doctrine sociale de l’Eglise).
De façon liée au point précédent, environnement et sociétal sont proposés comme des externalités à l'économie, ce qui est discutable et ne pousse pas vers une vision intégrée ni intégrale.
L’omniprésence de ce schéma en trois pétales empêche, sauf effort prolongé, d’imaginer des schémas plus fidèles à la définition et à l’esprit du développement durable
3.2 Avantages
Cette représentation facilite l’appropriation (sans comprendre nécessairement le sens profond de la notion de développement durable ou de RSE) à des fins opératoires immédiates. Appropriation pédagogique, scolaire, opérationnelle en entreprise ou dans les organisations, dans la sphère politicienne, dans les collectivités etc.
La représentation dominante a le mérite de la simplicité (au péril du réductionnisme), et met bien en évidence les interdépendances des domaines : économique, environnemental et sociétal. Toutefois une économie au sens propre (utilisation de ressources pour répondre à des besoins, selon des règles relevant de l’éthique) associera nécessairement les trois domaines (et d’autres, voir le point suivant).
On lie visuellement gestion responsable de l'environnement et amélioration sociétale, localement et mondialement.
Autre avantage (en est-ce vraiment un?), cette représentation laisse chacun libre de compléter la représentation bidimensionnelle (la projection) par une extrapolation tridimensionnelle (la figure originale) qui lui convienne (dans certaines limites toutefois).
4/ Doctrine sociale et de l’Eglise et représentations du développement durable et de la responsabilité sociétale des entreprises
L’Eglise à ma connaissance n’a pas éprouvé le besoin de résumer sa doctrine sociale par des images. S’il fallait s’aventurer à imaginer une représentation symbolique tirée de l’iconographie chrétienne, la Croix en ferait nécessairement partie. L’image cartusienne de la Croix sur le monde vient assez naturellement à l’esprit :
Sans même invoquer la dimension surnaturelle de l’Histoire (y compris économique) ou l’économie du Salut, Il paraît bien difficile de faire rentrer la doctrine sociale de l’Eglise dans la camisole de force du développement durable. Il n’y a pas incompatibilité, mais comment concilier « Recherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroît» (saint Matthieu 6,33) avec le schéma aux trois pétales ? De même, «Nul ne peut servir deux maîtres, Dieu et Mammon» (saint Matthieu 6,24 et saint Luc 16,13) a du mal à se loger dans les différentes représentations reproduites plus haut. La DSE n’est certainement pas incompatible avec les mécanismes du développement durable (elle l’est en revanche sans aucun doute avec diverses idéologies notamment mondialiste qui utilisent ce concept) mais elle ne peut y être réduite. Quand bien même on perdrait de vue la personne du Christ pour les besoins de l’exercice, les notions de bien commun, de subsidiarité et l’anthropologie chrétienne ne trouvent pas naturellement leur place dans ce schéma. Cela dépasse d’ailleurs la question de la représentation qui nous occupe dans cet article. De Rerum Novarum à Laudato si’ en passant par Centesimus Annus et Caritas in Veritate, les rappels constants de la place centrale de l’humain ne trouvent pas d’écho direct dans le développement durable, qui se préoccupe d’individus plus que de personnes et de psychologie que de spiritualité. A contrario, reconnaissons que le «tout est lié» martelé par Laudato si’ est parfaitement visible dans le schéma trilobé du développement durable et que la notion de solidarité y est en filigrane très visible. De même, les volets environnementaux et sociétaux sont largement traités dans la DES, notamment depuis Jean-Paul II pour le premier des deux, mais toujours remis dans la perspective d’une Création émanant de Dieu et ayant vocation à y retourner.
5/ Bref survol bibliographique
Les appréciations qui suivent sont le résultat d’une enquête Internet et bibliographique assez brève. Peut-être des travaux et communications de nature à infirmer ces appréciations ont-ils échappé à l’auteur de l’article.
5.1 Psychologie cognitive
La psychologie cognitive s’intéresse évidemment depuis longtemps à la question des représentations graphiques et mentales, mais ne semble pas s’être emparée de la question de la représentation du développement durable. On peut cependant signaler une expérimentation de l’université de Toulouse sur des modes de représentations autres que le mode dominant, mais dans le but de familiariser les étudiants au développement durable et faciliter l’appropriation du concept.
On peut penser qu’un Edgar Morin, dont les représentations graphiques récursives et cybernétiques de l’être et de ses relations sont célèbres (voir notamment : La méthode I/ La nature de la Nature) aurait su trouver une visualisation du développement durable davantage fidèle à son caractère dynamique et systémique (ou méta-systémique).
Matthieu Baudin dans «Le développement durable, nouvelle idéologie du XXXIème siècle» (L’Harmattan,2009) attribue le schéma dominant des trois cercles ou ellipses égales à la culture «latine», et le schéma concentrique à la culture «nordique» ou «anglo-saxonne», sans plus d’explications.
5.2 Mind mapping (cartes mentales)
Dans ce domaine, assez fréquenté par les communicants, les entreprises, les universitaires etc., peu de choses également sur le développement durable. Autant la représentation d’Internet ou celle des processus économiques ou sociaux ont été étudiées assez largement, autant celle du développement durable ne semble pas défrichée. On signalera tout de même la thèse de doctorat ENSM de Mme Nathalie Lourdel à l’université Jean Monnet de Saint-Etienne en 2005 «Méthodes pédagogiques et représentation de la compréhension du développement durable, application à la formation des élèves-ingénieurs : proposition d’un outil d’aide à l’évaluation et à l’amélioration de formation au concept de développement durable».
Une question qui vient immanquablement à l’esprit en abordant la question sous cet angle est : «comment les cultures non-occidentales et les pays émergents aimeraient-ils représenter la notion de développement durable » (question qui suit logiquement une autre question : «le développement durable est-il pour tous la bonne réponse aux problèmes humains, environnementaux et économiques que rencontre actuellement l’humanité ? »). On sait qu’il existe au moins deux «modèles» alternatifs :
5.3 Modèles économiques (macro- ou micro)
Là encore, nous n’avons pas identifié facilement et rapidement de travaux scientifiques de modélisation et de prédiction des interactions entre les trois domaines du développement durable. La question semble rester très qualitative et relever de la conviction (voire du bon sens) et non d’une vérification quantitative.
L’intervention de Ghislaine Destais : «Les théorisations économiques du développement durable- Proposition de décryptage critique», lors du colloque Développement Durable de l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand les 15-16 décembre 2011, mérite d’être mentionnée mais reste qualitative. Le rapport GWS de Benrd Mayer «Macroeconomic modelling of sustainable development and the links between the economy and the environment» (ENV.F.1/ETU/2010/0033,Osnabrück 30/11/2011) peut également être signalé.
Le livre fort sérieux et documenté de Beat Bürgenmeier "Politiques économiques du développement durable" (De Boeck, 2008), passe en revue les différentes approches plus ou moins intégrées et souligne l'importance critique de la notion d'externalité économique; il pousse aussi en avant l'approche de "l'économie écologique" mais ne permet pas de conclure.
Faut-il appeler de nos vœux un nouveau Cournot (révérence gardée envers Walras, Jevons, Pareto, Solow et quelques autres) pour développer les mathématiques sociales et environnementales de l’économie, bref la mathématique du développement durable ? Sans perdre de vue que la carte n'est jamais le territoire.
Conclusion
Si l’on contemple les trois sphères/pétales/ellipses etc. du schéma, on constate qu’au fil des décennies d’après-guerre le centre de gravité est passé de la sphère de l’efficacité économique à celle de la responsabilité environnementale. Rerum Novarum en 1891 attirait à sa manière l’attention sur la sphère sociétale, très largement éclipsée par la sphère économique et menacée par le communisme ; peut-être assiste-t-on à nouveau à un déplacement vers cette sphère, qui n’a jamais été perdue de vue par les enseignements des pontifes successifs dans leurs encycliques dites «sociales».
Cet article est loin d’épuiser le sujet. Il visait seulement à mettre en évidence ou rappeler quelques fausses évidences. On n’a pas non plus cherché à déterminer si telle représentation était liée à telle idéologie ou vision du monde et de l’être humain. Il semblerait que les économistes et les sociologues ne se soient pas encore totalement emparés de la question des modèles économiques (ou économétriques) et des modèles sociologiques pouvant décrire et rendre compte du concept de développement durable, qui reste très qualitatif au niveau macroscopique, et procédural au niveau micro-économique.
Laurent Barthélemy, 11 novembre 2015