Jean-Marie Le Pen, qui cherchait non pas à gouverner, mais à provoquer, offrait avec plaisir des verges à tous les pères fouettards de la politique – et Dieu sait qu’ils sont nombreux ! Mais ce jeu sadomasochiste a pris fin avec l’arrivée de sa fille à la présidence du mouvement. Le père était ravi de faire braire les ânes ; la fille veut présider la République Française : c’est une toute autre affaire. Ceux qui continuent à lui administrer des volées de bois vert (de paroles méprisantes) sont en retard d’une génération. Ses orientations – évitons de parler de programmes, comme le font à tort tous les candidats parce que c’est le mot à la mode – visent à conduire son pays sur un chemin très différent de celui qu’il a suivi jusqu’alors.
Ce chemin était-il bon ? Au vu de la situation du pays, tant sur les plan sociétal et international que sur le plan économique, il est difficile de répondre par l’affirmative. Certes, nous ne supportons pas une chape de plomb, mais l’édredon de plumes sous lequel nous étouffons ne vaut guère mieux. Tout ce qui sort du politiquement correct est poursuivi par la police de la pensée ; les lois et règlements inutiles ou néfastes s’amoncellent, excepté dans les domaines où il faudrait protéger les citoyens contre l’indélicatesse de certains hommes d’affaires qui ne reculent devant rien pour faire du fric aux dépens de la qualité de la vie. L’Union européenne s’est empâtée au point de crouler sous son propre poids en écrasant ses membres. Le crime et la délinquance font l’objet de traitements dramatiquement inefficaces, et l’accueil sélectif des étrangers (il ne saurait s’agir d’accueil inconditionnel, si la France veut rester la France) se caractérise par l’absence d’organisation efficace.
Nous pourrions allonger à plaisir la liste de ce qui ne fonctionne pas correctement depuis que notre pays est gouverné par ce qu’Alain Madelin appelait « la Droiche », et que le FN nommait UMPS. Les deux partis de gouvernement se rejoignent largement : incompétence pour ce qui est de légiférer et de gouverner peu et bien ; ouverture à presque tout ce qui peut contribuer à déstructurer les mentalités individuelles et collectives. Quant au FN, il fait des propositions aberrantes, comme la sortie de l’euro et le retour à la retraite à 60 ans. Au vu d’un tel constat, nous sommes mal partis. Pourtant la « petite fille espérance », comme disait Péguy, n’est jamais bien loin. Comment la faire rentrer dans le jeu ?
L’effondrement du PS et de LR lui ouvre une petite porte. Certes, Macron est en pole position pour s’y engouffrer et la verrouiller, après quoi lui et son équipe appliqueront la formule que Claudel plaçait sur les lèvres d’un personnage du Soulier de satin : « Du nouveau, encore un coup, qui soit exactement semblable à l’ancien ». Il va donc absorber les membres du centre et de la droite classique qui sont à la recherche d’un maroquin ou d’un siège de parlementaire qui leur permette de continuer à pratiquer leur passe-temps favori : « tout changer pour que rien ne change », selon la formule de Giuseppe Tomasi di Lampedusa. Mais il existe une autre possibilité.
En effet, il existe des hommes politiques de droite auxquels le vent du large ne fait pas peur. Les uns sont chez LR, les autres sont dans la mouvance de Dupont-Aignan ou de Philippe de Villiers, d’autres encore militent au FN, et quelques-uns sont non-inscrits. Leur union, dans un cadre ad hoc, permettrait d’aborder les élections – le second tour de la présidentielle, puis les législatives – dans des conditions propres à recomposer le paysage politique français. Une véritable droite pourrait enfin proposer des solutions innovantes et notamment houspiller les organes européens jusqu’à obtenir bien des choses, par exemple : l’unification des règles fiscales applicables aux entreprises ; une réduction drastique des règlements dont l’utilité principale est de justifier le maintien en fonction de nombreux bureaucrates ; une politique migratoire raisonnable.
Elle pourrait de même, au niveau français, réaliser l’indispensable réforme systémique de notre protection sociale usée jusqu’à la corde et rafistolée en dépit du bon sens ; libérer les entreprises de divers carcans qui les handicapent et freinent dramatiquement la création d’emplois ; travailler à l’amélioration de l’efficacité des services publics, ce qui permettra de réduire progressivement la dépense publique sans diminuer, bien au contraire, la qualité du service rendu aux citoyens ; remettre debout notre système scolaire en voie de déliquescence ; donner à nos armées les moyens de leurs missions ; faire enfin preuve de sérieux en matière de lutte contre le crime et la délinquance ; etc., etc.. Il existe suffisamment de points d’accord entre les bons éléments du FN et ceux de la droite classique pour permettre une gouvernance efficace.
LR n’ayant plus de leader, c’est à Marine Le Pen de prendre l’initiative de ce rapprochement. Sa solidité face aux attaques souvent ignobles dont elle a fait l’objet, comme François Fillon, lui donne la possibilité de lancer cette opération de regroupement des patriotes. Son solide leadership donne une bonne garantie qu’elle saura, au sein du mouvement dont elle a transmis provisoirement la présidence, faire le nécessaire pour accueillir des hommes et des femmes de qualité, qui ne pensent pas exactement comme elle, mais qui sont prêts à travailler avec elle pour le redressement de leur patrie. Voudra-t-elle se lancer dans cette aventure ? Si elle ne le fait pas, pauvre France !