Blog de l'AEC, Association des Économistes Catholiques
Porter un jugement sur la fiscalité existante, ou sur le PLF 2018, suppose que l’on ait, de préférence explicitement, ou du moins implicitement, une idée assez précise de ce à quoi doit servir l’impôt et de ce qu’est un impôt juste. En la matière, hélas, les pouvoirs publics nous rendent la tâche difficile, car élus et ministres se préoccupent davantage de technique fiscale, pour ne pas dire de tripatouillage, que de principes fiscaux.
Un fin connaisseur, Michel Taly, qui fut six ans directeur du Service de la législation fiscale, a publié l’an dernier aux PUF – un éditeur peu versé dans la fiction – un ouvrage intitulé Les coulisses de la politique fiscale. On y lit notamment : « En matière fiscale, tous les gouvernements se comportent comme un architecte qui passerait directement aux plans détaillés de parties d’immeubles, sans plan de masse, avec simplement une vague idée du projet d’ensemble. » Et il pointe « l’absence d’évaluation avant et après l’adoption des mesures ». Son diagnostic me parait hélas tout à fait réaliste, et j’ai bien peur qu’il s’applique aux mesures actuellement annoncées comme à celles qui les ont précédées depuis plusieurs
décennies.
La réduction de l’ISF à la fortune immobilière est typique : il n’existe aucune raison valable pour traiter différemment la fortune mobilière et la fortune immobilière. Contrairement à ce qui a été dit par les autorités, l’immobilier est un outil de production : il produit un service de logement, pour les particuliers, mais aussi pour les entreprises. Si le principe de l’impôt est le paiement à l’État des services qu’il rend, la police, la justice, la création et l’entretien des infrastructures, et bien d’autres choses dont les pouvoirs publics ont la charge profitent à la fois aux entreprises et aux particuliers.
Si l’impôt est destiné pour des raisons de justice sociale à faire contribuer les riches plus qu’ils ne profitent des services publics, de façon à soulager les contribuables modestes, là encore il n’y a aucune raison d’exonérer la fortune mobilière. L’hôtel particulier que Liliane Bettencourt (paix à son âme !) possédait à Neuilly a certes une grande valeur, mais il ne pèse pas grand-chose en comparaison de son portefeuille d’actions. Force est de constater que cette réduction de l’ISF à une fraction de la fortune des ménages est une discrimination qui ne devrait pas être possible dans un pays civilisé.
2- À titre de comparaison à l'international, comment évaluer la fiscalité des "riches" en France par rapport à celle de leurs voisins ? Comment juger le PLF 2018 selon cette grille de lecture ?
Les comparaisons internationales en matière fiscale sont délicates, car la plupart des législations fiscales sont compliquées. La fiscalité qui pèse sur les « riches » est vraisemblablement plus lourde en France que dans beaucoup d’autres pays, mais ce peut être tout simplement parce que la fiscalité française est particulièrement lourde, au niveau mondial, à niveau de vie et de richesse équivalent, pour tous les citoyens, les riches comme les membres des classes moyennes.
De plus, la confusion entre État et sécurité sociale est plus ou moins forte selon les pays. Dans les pays nordiques l’impôt sert plus qu’en France à financer la protection sociale. Les pouvoirs publics français actuels semblent vouloir accentuer le recours à l’impôt pour financer la protection sociale, comme en témoigne leurs projets relatifs au financement de l’assurance chômage. Nous sommes dans une situation de confusion intellectuelle et conceptuelle telle que toute comparaison internationale doit faire l’objet de précautions méthodologiques inouïes si elle ne veut pas être sujette à caution.
3- Au delà de cette question du PLF, quels pourraient être les arguments "recevables" pouvant permettre d'indiquer que le gouvernement favoriserait les "riches" ? Loi travail, logement, etc., quels sont les domaines, notamment en dehors du PLF, qui pourraient en attester ?
« Favoriser les riches » est en France, quand on est « politiquement correct », l’équivalent du pire des crimes. Le problème est que toute action publique qui facilite la production et l’emploi permet à davantage de personnes d’être riches ou du moins « à l’aise ». Et les très riches deviennent encore plus riches. Par exemple, au fur et à mesure de l’élévation du niveau de vie populaire, de plus en plus de gens acquièrent des i-phones et utilisent Facebook ou des services analogues, dont les créateurs sont devenus des multimilliardaires. C’est d’ailleurs le même phénomène qui a auparavant permis l’enrichissement prodigieux de la famille créatrice de l’Oréal : plus l’aisance populaire se développe, plus les grandes fortunes atteignent des hauteurs vertigineuses.
Un gouvernement ne peut pas grand-chose à ce phénomène. Il lui est difficile de trop ponctionner les immenses fortunes, car leurs propriétaires sont mobiles et il existe une réelle compétition internationale pour les attirer. Comme dit la sagesse des nations, on ne prend pas les mouches avec du vinaigre. Il est probable qu’au vu du départ à l’étranger d’un certain nombre de titulaires de grandes fortunes, les responsables actuels de la République française jugent opportun de ne pas désespérer Neuilly, comme en d’autres temps certains de leurs prédécesseurs ont cherché à ne pas désespérer Billancourt.
Le fait est qu’il faut de tout pour faire un monde, et même un pays : les gouvernants sont dans une position d’équilibristes qui doivent avancer sur une corde raide, avec au-dessous d’eux des gens qui leur crient « garde-toi à droite ; garde-toi à gauche ». D’où la politique consistant à donner un coup de pouce aux bas salaires en faisant bénéficier leurs titulaires de réductions de cotisations sociales, et un coup de pouce aux très riches en plaçant la fortune mobilière à l’abri de l’ISF.
Reste le problème du sort réservé à la classe moyenne. La stratégie consistant à bichonner « les deux bouts de l’omelette » a pour conséquence inévitable de ponctionner plus que l’équité ne le voudrait ceux qui ne sont ni pauvres ni puissants. L’attitude politicienne interdit pratiquement de trouver une solution à ce problème. Un changement de paradigme, au terme duquel l’impôt et les cotisations sociales seraient considérés comme le paiement de services rendus, et non plus comme des instruments de redistribution, permettrait sans doute de changer la donne, mais il est probable que l’on ira loin sur le chemin actuel avant d’emprunter une autre route.