Blog de l'AEC, Association des Économistes Catholiques
Qui s'assure pour se faire soigner s'il est malade et pour percevoir une pension quand il sera âgé ? Ce sont des personnes humaines, pas des entreprises. Le bon sens voudrait que ces personnes, les travailleurs, et non leurs employeurs, cotisent pour financer leur couverture et celle de leur famille. Il est évidemment pratique que les entreprises et les administrations retiennent à la source ces cotisations sur la rémunération de leurs salariés, mais il faut qu'une chose soit claire : les cotisations sociales ne doivent pas être prises pour des taxes sur les employeurs, ce sont les apports que font les salariés et les travailleurs indépendants pour bénéficier des assurances sociales .
Pourquoi a-t-on instauré des cotisations dites « patronales » ? Parce qu'au XIXe siècle, des patrons paternalistes tenaient à faire croire qu'ils avaient la grande générosité de cotiser, en quelque sorte sur leurs revenus, pour que leurs salariés bénéficient d'une couverture sociale. Ce n'était pas complétement faux : le rapport de forces, à l'époque, était en faveur des « patrons » ; pour les inciter à débourser un peu plus au profit de leurs salariés, il était utile d'accepter qu'ils déguisent les augmentations de salaire en cotisations patronales versées par pure générosité pour garantir leurs salariés contre certains risques. Les cotisations patronales ont ainsi joué un rôle pour passer progressivement d'une situation où le patron était le maître du jeu à la situation actuelle où, dans les pays développés, il doit traiter quasiment d'égal à égal avec ceux qu'il emploie.
Les cotisations patronales constituent ainsi une sorte de relique qui nous vient du XIXe siècle. Leur place est au Musée. Il est grand temps de comprendre que l'employeur doit à ses salariés leur salaire dit « super-brut », et que le « salaire brut » actuel est une fantasmagorie néfaste, ainsi que les cotisations patronales. Nous n'avons besoin que du salaire dit actuellement super-brut, véritable rémunération du travailleur, et de cotisations sociales prélevées sur cette rémunération, ouvrant des « droits sociaux » à ceux qui les versent.
Cela entraînerait-il la suppression du paritarisme ? Pas du tout. Les salariés auront le droit d'être représentés dans diverses instances en raison de leurs versements de cotisations, et les employeurs en raison de leurs versements de salaires, sans lesquels il n'y aurait pas de cotisations. Le paritarisme n'a pas besoin pour exister que l'on découpe artificiellement les cotisations en une part salariale et une part patronale. Il faut simplement comprendre que ce qui est dû au salarié, c'est ce que nous appelons salaire super-brut, et que les organismes sociaux (sécurité sociale, mais aussi retraites complémentaires) reçoivent en deux flux, primo les cotisations patronales et secundo les cotisations salariales, ce qu'elles devraient logiquement recevoir en un seul. Pourquoi cette dualité ? Pour les raisons historiques évoquées ci-dessus, et aussi parce que le Législateur est accro au dicton : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Il semble que le Législateur ait été incapable de comprendre que les cotisations sociales sont à la fois cent pour cent patronales, puisqu'elles sont prélevées sur de l'argent qui vient en totalité de l'employeur, et cent pour cent salariales, puisque c'est leur total qui s'impute sur la rémunération du travail pour payer la protection sociale(1). Du point de vue pédagogique, il serait bon de créditer le compte du salarié de la totalité du salaire super-brut, et de lui prélever ensuite les cotisations sociales, exclusivement salariales. Certes, pour éviter les impayés, le prélèvement « à la source » sera maintenu, l'argent sera versé à la Sécu par l'employeur, agissant en somme comme collecteur de cotisations. Mais il devra être bien entendu que c'est l'argent du salarié qui alimente la protection sociale. Bien entendu, cet argent a d'abord appartenu à l'employeur, sinon avec quoi paierait-il le salarié ? Mais au moment où il est viré sur les comptes de la Sécu, c'est l'argent du salarié. Il importe de bien comprendre que la source est l'employeur, qui est débiteur du salarié, et s'acquitte d'une partie de sa dette en versant à la Sécu et aux caisses complémentaires ce que leur doit le salarié .
Juridiquement, les sommes versées au profit des « vieux » procurent des droits à pension à ceux qui les versent. C'est une absurdité, qui témoigne d'une regrettable absence de bon sens chez la plupart des législateurs nationaux. Car enfin, en quoi le fait de cotiser pour nos vieux parents nous donne-t-il, en bonne justice, le droit, et, dans la vraie vie, la possibilité, d'être entretenus par nos cadets ? Il s'agit pour l'assuré social de témoigner sa reconnaissance pour ce qu'il a reçu de ses aînés durant son enfance, son adolescence et le début de sa jeunesse. Cet apport constituait un investissement, et les investisseurs ont droit à un dividende : les cotisations vieillesse, et leur distribution aux « anciens » sous forme de pensions, constituent ce dividende. Cette réalité économique ne doit pas être occultée par un galimatias juridique dû à l'ignorance des législateurs.
Concrètement, une cotisation d'investissement dans la jeunesse devrait remplacer les divers prélèvements sociaux et fiscaux qui financent l'entretien des enfants (allocations familiales), leur formation (Education nationale), les soins dont ils ont besoin (assurance-maladie des enfants), et divers besoins des parents (congés de maternité et de paternité, frais d'accouchement, éventuelle aide médicale à la procréation), sans oublier une prise en charge des frais qu'entraîne pour les employeurs le remplacement des travailleurs ayant besoin d'interrompre ou d'alléger leurs fonctions du fait de leurs responsabilités familiales.
Notons que le congé de maternité n'est pas le seul coût à compenser pour l'employeur : les fonctions parentales peuvent requérir des interruptions ou allègements de tâches professionnelles en diverses circonstances, par exemple des problèmes de santé affectant un enfant. Que l'argent de la « branche famille » soit affecté pour une part importante à rendre vraiment compatibles la parentalité et l'intérêt de l'entreprise serait un excellent investissement, susceptible de booster la natalité qui, en France, est actuellement à un niveau nettement trop bas pour l'avenir du système de retraites par répartition.
La modification de la Constitution réalisée en 1996, à l'initiative du Gouvernement Juppé, pour introduire des Lois de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS) sur le modèle des lois de finances, fait partie des bonnes intentions dont l'enfer est pavé. Désormais, plus personne n'est responsable de la bonne marche de la Sécu : ses dirigeants ne font qu'exécuter les dispositions prises (théoriquement) par le Législateur, c'est-à-dire par une assemblée composée de centaines de membres qui n'ont pas de comptes à rendre lorsque leurs décisions ont des résultats calamiteux.
Concrètement, le PLFSS (Projet de Loi de Financement de la Sécu) est rédigée au niveau gouvernemental, et la procédure d'adoption de ce projet suit les mêmes règles que celui du PLF (Projet de Loi de Finances) : si l'Assemblée nationale n'est pas « sage », chahute, le maître d'école siffle la fin de la récrée, en utilisant l'article 49 de la Constitution. Concrètement, l'Assemblée est mise au défi de renverser le Gouvernement, c'est-à-dire de plonger le pays dans une crise politique débouchant sur de nouvelles élections, mal emmanchées pour la majorité sortante.
Cette conséquence de la politisation de la gouvernance de la Sécu est grave. Les gestionnaires, dont beaucoup sont compétents, doivent mettre en application des dispositions imaginées par des politiciens peu au courant des conséquences pratiques de leurs décisions. La sagesse voudrait que les modalités pratiques de la gestion soient concoctées par des personnes qui n'agissent pas en fonction d'une idéologie, mais de façon que la Sécu produise effectivement les services pour lesquels elle a été mise en place. Par exemple, la valeur du point dans un régime de retraites utilisant cette technique, et l'âge pivot, doivent dépendre essentiellement des calculs des actuaires et statisticiens, pas du désir de telle ou telle faction politique de s'attirer plus de voix aux prochaines élections.
En conclusion, l'avenir de notre Sécu sera bien mieux assuré si les techniciens peuvent la gérer sans se voir imposer des décisions aberrantes par des politiciens peu compétents, comme cela fut le cas pour la « retraite à 60 ans ». La mise en pratique de cette promesse démagogique du début des années 1980 a durablement nuit à la prospérité de notre pays : 40 ans plus tard, elle affaiblit encore considérablement son dynamisme. Le sort de la France, et particulièrement celui de sa Sécu, doit se jouer le moins possible à la loterie électorale.
(1)Le Législateur français semble ignore la différence entre « en ligne » et « en parallèle ». Il traite des situations en ligne comme s'il s'agissait de situations en parallèle. Pour comprendre cela imaginons un canal. Premier cas : il existe un seul lit, sur lequel un premier dispositif de prélèvement est disposé en un point A, et un second en aval de A, en B ; voilà un dispositif en ligne. Second cas : le canal se divise en deux branches, un prélèvement est instauré sur chacune d'elles ; voilà un dispositif en parallèle. Ce second cas est le seul auquel pense le Législateur à propos des cotisations sociales, prélevées les unes soi-disant sur le canal patronal, les autres soi-disant sur le canal salarial. Pas de chance : dans la réalité, il n'y a pas un canal à deux bras, avec un point de puisage sur chaque bras, mais un seul bras, avec cotisation patronale en amont, et salariale en aval. Nous préconisons de supprimer le point de prélèvement amont (patronal) pour tout prélever à la fois en aval (cotisation salariale).