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Blog de l'AEC, Association des Économistes Catholiques

J. Bichot : Il est grand temps de procéder à l'unification des régimes de retraite

Les pouvoirs publics légifèrent beaucoup au sujet des retraites : chaque année dans la loi de financement de la Sécurité sociale, et à intervalles plus espacés sous forme de lois retraite spécifiques (en 1982, 1993, 2003, 2010 et 2014). Cette accumulation de textes est significative : s'il faut sans arrêt revenir sur la question, ne serait-ce pas parce que, à chaque fois que les pouvoirs publics prétendent sauver nos retraites, le travail n'est en réalité ni fait ni à faire ? Pourtant, avec près de 14 % du PIB consacré au paiement des retraites par répartition, notre système est un poids lourd qui mériterait une réflexion sérieuse, prélude à une réforme décisive.
Hélas, les hommes politiques appellent généralement « réforme » le maniement des paramètres de réglage que sont l'âge de la retraite ou la durée d'assurance nécessaire pour avoir droit au taux plein à cet âge. Les partenaires sociaux sont plus réalistes : pour eux, fixer le prix d'achat du point Arrco et sa valeur de service est une opération de pilotage réalisable chaque année sans qu'il soit besoin de faire appel au législateur. Les pouvoirs publics seraient bien inspirés de laisser à un directeur de caisse de retraite le soin d'effectuer, hors du champ politique, les réglages paramétriques nécessaires pour préserver l'équilibre financier.
En revanche, le législateur devrait enfin aborder ce qui est vraiment de sa responsabilité : la réforme structurelle. La France compte trois douzaines de régimes de retraite par répartition, les uns dits « de base » et les autres complémentaires, les uns gérés par l’État et les autres par les partenaires sociaux, alors qu'aucune catégorie socioprofessionnelle ne possède la stabilité démographique requise pour le fonctionnement durable des retraites. Par exemple, le nombre des exploitants agricoles en activité est en chute libre depuis des décennies : comment leur régime pourrait-il fonctionner de manière autonome? La compensation démographique, qui effectue des transferts des régimes où la proportion de cotisants est la plus forte vers ceux où elle est plus faible, est très insuffisante, notamment parce que les régimes complémentaires n'y participent pas. Les rapports s'amoncellent qui font ce constat sans trouver de solution. Il est grand temps de prendre le taureau par les cornes et de procéder à l'unification des régimes.

UNE « CONTRIBUTION JEUNESSE »
La fusion de tous les régimes en un seul peut être réalisée en un quinquennat. Ce régime unique, appelons-le « France retraites », fonctionnera par points, comme l'Arrco-Agirc, car la comptabilisation des droits à pension sous forme de points est beaucoup plus simple et pratique pour les assurés sociaux, et elle rend la gestion plus facile. On en finira, par exemple, avec les taux inacceptables d'erreurs de liquidation (7 %) que relève la Cour des comptes. Cerise sur le gâteau, un régime unique en points allégera les frais de gestion annuels d'environ 3 milliards d'euros.
La loi retraite 2010 comportait un article ordonnant que le passage à un régime unique, fonctionnant par points, soit officiellement étudié; si cette disposition avait été respectée - mais elle ne l'a été ni durant la présidence Sarkozy, ni durant la présidence Hollande -, la France disposerait d'un
ou plusieurs plans d'action officiels.
Un tel plan ne doit pas seulement unifier nos régimes ; il doit aussi aller dans le sens indiqué, il y a quarante ans, par Alfred Sauvy notamment dans les colonnes du Monde, sans qu'il ait été entendu. Sauvy a énoncé une vérité toute simple : « Nous ne préparons pas nos retraites par nos
cotisations vieillesse, mais par nos enfants. » Ces cotisations sont immédiatement transmises aux retraités actuels : ce n'est donc pas grâce à elles que les cotisants auront un jour une pension ; c'est grâce aux enfants et aux jeunes actuels, qui cotiseront le jour venu.
Le fonctionnement économique de la retraite par répartition est le suivant : les adultes investissent dans la jeunesse, et ensuite ces jeunes, devenus des adultes actifs, renvoient l'ascenseur en versant une sorte de dividende (les cotisations vieillesse) à ceux qui ont antérieurement  investi dans leur « capital humain ». La formule juridique qui proportionne les droits à pension future aux cotisations vieillesse actuelles est donc une erreur économique grossière. Cette absurdité législative est à l'origine d'une partie importante des problèmes que la retraite par répartition
pose de façon récurrente.
Voici donc une donnée dont les candidats à la présidentielle voulant envisager une véritable réforme des retraites devraient tenir compte : il n'est
pas possible de construire un bon système de retraite par répartition en attribuant les droits à pension en fonction des cotisations vieillesse. Il faut
donc mettre en place une « contribution jeunesse » pour remplacer le fatras d'impôts, taxes et cotisations qui finance actuellement les dépenses
publiques d'entretien et de formation des enfants et des jeunes, et attribuer des points de « France retraites » à chaque assuré social au prorata des sommes qu'il aura ainsi investies dans la jeunesse.
Des points seront aussi attribués aux parents ès qualités, puisque la fonction parentale fournit une partie importante de l'investissement dans la jeunesse. L'attribution de X points pour chaque année durant laquelle un enfant aura été à charge, que ses parents (ou son parent) soient riches
ou pauvres, remplacera les bonifications de pension « familiales » actuelles qui, grosso modo proportionnelles aux revenus d'activité, avantagent indûment les parents riches par rapport aux parents aux revenus modestes.

Jacques Bichot est économiste et professeur émérite à l'université Lyon-lll, auteur de «La Retraite en liberté» (Le Cherche Midi, 128 p., 15 €).

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