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Blog de l'AEC, Association des Économistes Catholiques

Jacques Bichot : "La TVA n'est pas ce qu'on vous dit".

Cette conception libérale de la fiscalité est hélas largement oubliée quand nos dirigeants prennent des décisions en la matière : ils cherchent à récupérer des sous sans trop indisposer un trop grand nombre d’électeurs – ce qui les conduit à privilégier le déficit budgétaire, et donc le recours à l’emprunt. A contrario, nous adoptons ici une perspective de couverture intégrale des dépenses de fonctionnement par les ressources fiscales : l’État doit faire payer intégralement les services qu’il rend à la nation.

La TVA comme paiement des services rendus aux producteurs par les administrations publiques

Une entreprise produit en utilisant différentes sortes de fournitures : des biens et des services en provenance d’autres entreprises, de même nationalité ou étrangères, et aussi des services publics rendus par des administrations. Les fournitures de la première catégorie font l’objet d’achats au sens classique du terme, tandis que les secondes pourraient sembler gratuites. Mais la gratuité est une illusion. Les économistes anglo-saxons disent volontiers « there is no free meal » : et de fait, les services rendus aux entreprises par les administrations publiques leur sont payés, mais de manière indirecte et forfaitaire. Ce caractère forfaitaire n’a rien d’extraordinaire : les services rendus par les cadres dirigeants sont eux aussi, en grande partie, rémunérés de façon forfaitaire, parce qu’il est quasiment impossible de les évaluer précisément.

L’appréciation forfaitaire des services publics dont bénéficie chaque entreprise a été jadis basée sur son chiffre d’affaires : l’entreprise payait une somme proportionnelle au montant de ses ventes. Cette façon de faire était injuste et génératrice d’inefficacité : la même production était beaucoup plus taxée si elle était effectuée par un ensemble d’entreprises pratiquant entre elles la division du travail, plutôt que par une seule. Instaurer la TVA, cibler la valeur ajoutée plutôt que le chiffre d’affaires, fut une mesure de bon sens (mise au point par Maurice Lauré) : chaque entreprise paie proportionnellement à sa contribution à la production. Supprimer cette façon de faire ne serait pas raisonnable.

En revanche, considérer la TVA comme un impôt sur la consommation est une énorme bévue. Le vrai prix d’une marchandise, bien ou service, n’est en aucune manière le prix HT, c’est le prix TTC, qui inclut la valeur ajoutée par les administrations publiques dont les services ont contribué, souvent assez indirectement et de façon peu visible – mais cependant bien réelle – à la production du bien ou du service vendu au consommateur. Ne pas incorporer la TVA au prix de vente, comme cela se fait dans les boutiques « free tax », consiste à considérer « pour du beurre », comme disent les enfants, toute la contribution des États à la production des produits. Or qu’est-ce qui serait disponible à la vente s’il n’y avait pas des routes et autres aménagements publics, des forces de police et des tribunaux, des règles concernant la qualité des produits et des services pour la vérifier, etc. ?

Réformer la TVA pour la rendre conforme à sa vraie nature 

Présenter la TVA comme une taxe sur la consommation est ambiguë et maladroit. Certes, le consommateur est mis à contribution par le fisc, représentant des services de l’État, mais il l’est pareillement par l’ensemble des entreprises qui ont contribué, d’une manière ou d’une autre à la fabrication et à la mise à disposition de ce qu’il achète. Prenons l’exemple des marchandises achetées par correspondance : le prix du transport, qu’il soit ou non détaillé dans la facture, fait partie du prix total ; sans livraison la prestation serait nulle. Considérer le prix HT comme le « vrai prix » est une erreur au même titre que l’absence de prise en compte du prix du transport.

La vérité des prix, principe incontestable de bonne organisation économique, exige donc de ne pas considérer la TVA comme un prélèvement assis sur la valeur de marchandises produites exclusivement par le secteur privé, mais comme la rémunération d’un conglomérat d’organisations (les services publics) qui ont collaboré avec des entreprises à la production du bien ou du service vendu au consommateur. Toute marchandise résulte non seulement de travaux de production directe, mais aussi de toutes sortes de services indirects, qu’ils soient privés comme la comptabilité, la vente, la gestion du personnel, une partie de la recherche, etc. … ou publics comme une autre partie de la recherche, l’entretien des voies de communication, la protection contre les prédateurs (voleurs, fabricants de contrefaçons, etc.), l’édiction de normes, le traitement judiciaire de différents problèmes, et jusqu’à la dissuasion des invasions par les forces armées nationales.

Pour respecter la vocation de la TVA comme instrument de facturation forfaitaire des services rendus à l’entreprise par les administrations publiques, il faut résister à la tentation de lui faire jouer le rôle des droits de douane. Des milliers d’articles et de discours politiques, en France, ont plaidé en faveur d’une hausse de la TVA pour redresser notre balance des paiements. Le fin du fin était le projet de remplacer des cotisations sociales patronales par de la TVA pour alléger le coût du travail. Pour redresser la France et l’Europe, nous devons nous détourner de ces tactiques qui relèvent du bricolage ; les améliorations viendront d’une véritable analyse économique, comme celle qui a été esquissée ci-dessus et dans d’autres articles, par exemple celui consacré récemment aux droits de douane. Nous avons eu tort d’abandonner tout recours aux tarifs douaniers à l’intérieur de l’UE : reconnaissons que c’était une erreur, et utilisons le bon instrument pour équilibrer les balances des paiements, plutôt que de dévoyer la TVA, instrument destiné à organiser les échanges entre la sphère publique et la sphère privée.

Il est temps de revenir aux fondamentaux, à savoir que rien n’est jamais produit exclusivement par les entreprises : les administrations participent à la production de valeur et la TVA est leur rémunération. Ce qui est ajouté comme valeur aux fournitures que l’entreprise achète et transforme résulte pour une part de l’action des administrations publiques. Celles-ci sont en quelque sorte des fournisseurs, et la TVA est la facture que le fisc présente en leur nom à l’entreprise qui a recours à elles.

Bien entendu, in fine le consommateur ou l’usager apportera l’argent requis pour payer cette facture comme tous les achats de biens et services effectués par l’entreprise, mais cela ne fait pas de la TVA un impôt sur la consommation. C’est l’entreprise qui paie un fournisseur spécifique, extérieur à la sphère commerciale, selon une formule dont le principe est simple : un pourcentage donné de ce qui est facturé par l’entreprise en sus de la répercussion à ses clients du coût de ses propres achats.

Ce changement de façon de voir les choses est indispensable pour que la France ne soit pas asphyxiée par les prélèvements fiscaux et quasi-fiscaux, forcément élevés. Ne nous faisons pas d’illusion : les services publics constituent une forte proportion de notre économie, et cela n’est pas près de changer. Il faut améliorer la productivité des administrations, aussi importante pour les entreprises que celle de leurs sous-traitants. Et cela se réalisera d’autant mieux que les prélèvements qui financent leur fonctionnement prendront une forme juridique cohérente avec leur réalité économique. Économiquement, ils constituent la facture adressée aux entreprises et aux ménages par les administrations publiques ; il faut faire juridiquement de la TVA ce qu’elle est économiquement : la rémunération de services rendus. C’est en allant dans ce sens que nous incorporeront les administrations publiques dans une économie d’échange, améliorant ce faisant à la fois notre économie et notre démocratie. Le progrès requiert des changements de paradigme, et notamment des innovations conceptuelles en matière de fiscalité

1) Maurice Lauré, l’inventeur de la TVA, avait prévu cela en 1993, dans son ouvrage Science fiscale, au vu du projet de suppression des frontières au sein de ce qui était alors la CEE, écrivant en toutes lettres (p. 304) : « la fraude d’origine criminelle aura le champ libre ».

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