Concernant la gouvernance, ce chef d’entreprise fait une réflexion de bon sens sur un sujet qui est souvent l’occasion de dire : pour éviter les déficits, augmentons les cotisations. Citons-le : « Nous ne voulons pas de hausse de cotisations, qui de toute façon créerait des droits futurs et donc des dépenses supplémentaires à terme ».
On touche là du doigt la différence entre ceux dont la position implicite est « après moi le déluge », et ceux qui se sentent responsables de l’avenir. G. Roux de Bézieux a raison : dans un système où le versement des cotisations achète des points, plus on cotise, ce qui dans l’immédiat remet à flot la « barque des retraites », plus on alourdit la charge future, celle qui se manifestera lorsqu’on verra croître le nombre de points pour lesquels une liquidation est demandée. Certes, ce sera dans dix, vingt, trente ans : peu d’hommes politiques se soucient des conséquences de leurs actes à si long terme. Que le président du MEDEF le fasse est tout à son honneur ; puisse son exemple être suivi par nos gouvernants et nos parlementaires !
Cependant, un bémol doit être mis à cet éloge. En effet, l’économiste aurait aimé que le patron des patrons aille jusqu’au bout de sa logique : d’abord, est-il vraiment impossible dans un régime par points, d’augmenter les taux de cotisation vieillesse sans engager une prolifération des droits ? Non, cela n’a rien d’impossible techniquement, il suffit d’augmenter simultanément le prix d’achat du point. Seulement voilà : politiquement, cette augmentation est délicate à faire accepter. Si c’est au Gouvernement de prendre la décision, il est peu probable qu’il agisse dans ce sens, qui risque fort de susciter les hauts cris des Oppositions, et d’influencer les électeurs dans un sens défavorable au pouvoir en place. Y a-t-il une solution ? Oui, elle consiste à dépolitiser la gestion du système de retraites par répartition, en confiant les leviers de commande à des techniciens. Le Législateur a pour vocation de légiférer, pas de gérer, et à cet égard la mise en place des lois de financement de la sécurité sociale, qui confie le soin de la gestion au Parlement, est une atteinte au bon sens.
Une autre considération doit aussi intervenir : est-il vraiment judicieux d’attribuer des points au prorata des cotisations vieillesse ? Certes, c’était déjà l’idée d’Emmanuel Macron quand il candidatait à la présidence de la République, et c’est ce que font certains pays étrangers, mais ce n’est pas pour autant une bonne idée. Et le MEDEF est bien placé pour s’en rendre compte : quel chef d’entreprise ignore que, s’il emprunte pour distribuer les salaires, son entreprise file du mauvais coton ? Emprunter pour investir est sain, pour peu que l’investissement soit judicieux ; le faire pour payer les dépenses courantes est un acte précurseur de la faillite. Il serait donc intéressant que Geoffroy Roux de Bézieux le dise : l’entreprise France Retraites, résultat de l’unification de nos 42 régimes, est mal barrée si ses statuts la conduisent à considérer comme des prêts ou des apports en capital des rentrées destinées à être immédiatement reversées, à titre d’intérêts et de remboursement, aux personnes qui ont jadis financé l’entreprise. Cette cavalerie est la mère des maux qui nous accablent.
Ces premiers constats montrent que notre système de retraites par répartition est une aberration économique, et va le rester si la réforme projetée n’est pas modifiée pour y mettre bon ordre. Une entreprise financière (ce que sera le régime unique que nous appelons France Retraites) reçoit des fonds pour les faire fructifier : ce n’est pas le cas de nos régimes de retraites par répartition actuels, qui reversent immédiatement ce qu’ils reçoivent – les cotisations vieillesse. Ce qu’ils reçoivent de facto, mais non pas de jure, ce sont les sommes et les apports en nature destinés à former de futurs cotisants. A savoir les impôts qui financent la formation, les cotisations sociales qui financent les soins aux enfants, le budget de l’obstétrique, et les prestations familiales, plus l’apport en nature effectué par les parents en élevant leurs enfants.
Certes, rien de cela n’est commercial : le système de retraites n’est pas une entreprise à but lucratif ! Il n’en reste pas moins que c’est une entreprise, et que le législateur fait une énorme erreur en ne la considérant pas comme telle. Cette entreprise devrait recevoir tout l’argent destiné à l’investissement dans la jeunesse, véritable moteur des retraites par répartition. C’est elle qui devrait payer notamment la scolarité de nos jeunes, acquérant ainsi sur eux une créance qu’ils rembourseront par leurs cotisations vieillesse. Le schéma est au fond très simple : France retraites doit recevoir le produit de l’investissement dans la jeunesse, et s’en servir pour verser des rentes aux anciens investisseurs devenus âgés.
Une fois compris le fonctionnement économique des retraites dites par répartition, reste à mettre le droit en conformité avec la réalité. Il n’y a en fait qu’un moyen pour reporter du revenu d’une période à l’autre de notre existence, de la période où nous sommes en état de produire bien plus que nous ne consommons vers la période où nous espérons que nos successeurs nous prendront en charge – juste retour de l’investissement dans leur capital humain que nous aurons réalisé. Ce moyen, économiquement, c’est l’investissement dans la jeunesse. Il faut donc que notre Législateur, au lieu de se contenter de fondre 42 régimes en un seul, donne au régime unique ainsi créé un statut proche de celui de l’entreprise, avec des investisseurs dans le capital humain obtenant un retour sur investissement sous forme de pensions.
Familles de France, à l’époque où je présidais cette fédération, a fait des propositions allant dans ce sens. Si elles avaient été entendues par les Pouvoirs Publics, les réformes des retraites et de la politique familiale, qui marchent de pair, seraient réalisées depuis longtemps. De nos jours, le mouvement familial étant devenu atone et aphone, c’est un autre type d’organisation qui doit prendre l’affaire en main. Pourquoi pas le MEDEF ?