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Blog de l'AEC, Association des Économistes Catholiques

"Ce rapport de la Cour des comptes à qui l’on fait trop souvent dire tout et n’importe quoi", par Jacques Bichot

Un rapport dont le premier tome comprend 537 pages ne se résume pas en 2 ou 3 feuillets : c’est un peu comme si vous vouliez, en 2 ou 3 heures, avoir acquis une bonne connaissance des œuvres qu’abrite le musée du Louvre. Néanmoins, au terme d’une pérégrination que l’on sait partielle, quelques impressions se dégagent. Voici donc ce qui m’a paru particulièrement important au sortir d’une première lecture.

Le brouillard comptable.

La comptabilité publique est un art difficile à pratiquer et difficile à interpréter. Dans une grande ville, à la brume naturelle qui monte des rivières et des plans d’eau s’ajoutent les effets de la pollution, toutes ces particules en provenance des cheminées et des pots d’échappement : la visibilité s’en ressent, les perspectives sont parfois brouillées, incertaines. Il en va de même pour les comptes publics d’une nation.

Les chiffres de dépenses et de recettes sont entourés de deux sortes de halos ; l’un provient des difficultés naturelles de la comptabilité (une même dépense peut servir à deux objectifs différents, par exemple améliorer la productivité d’un service et augmenter la sécurité) ;et l’autre résulte de la tendance des responsables politiques et administratifs à procéder à de nombreux changements dont l’utilité n’est pas évidente, mais qui manifestent leur pouvoir, et qui contribuent à rendre très problématiques les comparaisons d’un exercice à l’autre. Les séries chronologiques couvrant des périodes telles qu’une décennie ne sont pas toujours cohérentes.

Comme exemple concret, prenons le déficit public, exprimé en points de PIB. Il présente officiellement une forte progression de 2018 à 2019 : de 2,5 à 3,1 points de PIB. Mais il ne faut pas prendre ces chiffres trop au sérieux. Si l’on creuse un peu – et c’est ce que fait la Cour dans ce cas comme en bien d’autres – on s’aperçoit que le remplacement du CICE par une réduction de charges sociales, réalisé en 2019, est à l’origine de cette forte augmentation du déficit « officiel » en 2019, et sera pour 2020 la cause d’une réduction du même agrégat (pronostic de la Cour : 2,2 points de PIB). Autrement dit, cet indicateur très important fourni une information certes exacte en comptabilité, mais trompeuse pour l’appréciation de l’état de nos finances.

La raison technique est que le CICE, mesure fiscale, engendre des paiements décalés d’un exercice par rapport à la date de naissance des créances, tandis que les réductions de cotisations sociales ont un effet immédiat en trésorerie. Mr Dupont et Mme Durand, n’ayant pas connaissance de ces subtilités, risquent donc de s’inquiéter pour rien à propos des difficultés de nos finances en 2019, et de se réjouir sans raison valable à propos de leur amélioration en 2020. Les silhouettes que l’on aperçoit dans le brouillard comptable ne donnent pas forcément une idée très juste de la situation réelle des finances de la France !

Les tendances robustes

Les évolutions révélées par les séries statistiques longues sont plus « lisibles », moins sujettes à des erreurs d’interprétation, que les comparaisons d’un exercice à l’autre. La progression à long terme de la dette publique est un exemple de la robustesse d’une tendance malheureuse, l’accroissement de la dette publique. Limitons-nous au XXIe siècle : cette dette représentait 58 % du PIB en l’an 2000, puis 82 % en 2009, et enfin 98,8 % fin 2019. Cette fois, peu importe que chaque chiffre annuel puisse faire l’objet de discussions à la marge, l’accroissement est massif, il n’y a pas lieu d’en douter.

Les coups de projecteur fort utiles

La Cour consacre 25 pages à la question des drones militaires. On pourrait être tenté de penser que ce sujet, certes important pour notre défense nationale, ne requiert pas d’aussi longs développements dans un document centré sur nos finances publiques : on aurait tort. Car c’est en explorant un tel sujet de façon suffisamment approfondie que la Cour peut être utile à la fois à Bercy, en charge de financer l’équipement de nos armées comme le fonctionnement de notre Éducation Nationale, et aux chefs de nos armées. 

Les militaires ne sont généralement pas des comptables, mais ils ont tout intérêt à utiliser au mieux les budgets, plutôt étriqués, qui leur sont alloués. Le simple fait de constater que les « pékins » de la Cour s’intéressent à leurs problèmes est réconfortant, surtout si leurs observations sont judicieuses.En fait, ces observations restent assez légères, sauf sur la question de coopération avec nos alliés dans le programme MALE (une nouvelle génération de drones). Les magistrats de la Cour n’apportent pas de réponse au problème du remplacement des drones américains Reaper, question importante pour nos forces armées, mais ils s’en préoccupent, glissent un ou deux conseils : cela suffit, la Grande muette, comme on appelle notre armée, a surtout besoin de savoir que les magistrats de la rue Cambon sont à leurs côtés.

Les retraites complémentaires

Consacrer 23 pages au régime AGIRC-ARRCO, le mastodonte de la retraite complémentaire, au moment où la réforme des retraites risque de tout chambouler, montre que la Cour ne cherche pas à éviter les sujets délicats. Certes, l’une de ses recommandations est quasiment psychédélique : « renforcer la gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences pour prendre compte les mutations en cours », comme si dans le brouillard opaque au sein duquel est plongée la réforme des retraites les prévisions pouvaient être prises au sérieux ! En revanche, j’ai apprécié la recommandation visant à « amplifier les économies de gestion, compte tenu des réformes récentes et à venir et en accentuant le parangonnage entre les IRC. »

Certes, il faut commencer par comprendre cette phrase, destinée aux professionnels et non à l’homme de la rue. Les IRC sont les Institutions de Retraite Complémentaire, qui concrètement encaissent les cotisations versées par les employeurs et suivent les dossiers de millions d’adhérents pour le compte de l’AGIRC-ARRCO. Le parangonnage, lui, est un terme quelque peu recherché pour désigner un travail de comparaison stimulante : A examine ce que fait B pour voir s’il ne pourrait pas en tirer des leçons, et réciproquement. C’est évidemment un bon moyen pour progresser, pour diffuser les manières de faire qui sont les plus efficaces, pour améliorer la productivité et la qualité du travail. Cette recommandation de la Cour montre qu’elle a bien compris le rôle très important joué par les IRC, qui assurent le contact avec la clientèle – les adhérents à l’AGIRC-ARRCO, qui peuvent aussi y trouver différents produits financiers et d’assurance. 
La réduction des coûts de gestion dépend au premier chef de l’efficacité de ces IRC, et si la réforme des retraites est menée à son terme ces institutions devraient continuer à jouer leur rôle d’interface entre le système de retraite et les adhérents, si bien que leurs progrès en matière de productivité et de fiabilité joueront un rôle non négligeable dans le succès de la réforme. Bien vu, la Cour !

Le mot de la fin : la Cour, poil à gratter des administrations

La qualité de la gestion des organismes publics, qu’ils relèvent de l’État ou du système de protection sociale, est un enjeu important. La concurrence est moins souvent présente que dans le secteur privé pour stimuler la recherche d’innovations, de réduction des coûts et d’accroissement de la qualité. La Cour remplace un peu, dans la fonction de « poil à gratter », la concurrence qui existe dans le secteur privé. Nous avons tout intérêt à ce qu’elle ne relâche pas ses efforts : comme aurait dit le Laboureur de Jean de La Fontaine, « travaille, ma chère Cour, prend de la peine, c’est le fonds qui manque le moins ».

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