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Blog de l'AEC, Association des Économistes Catholiques

Rentrée budgétaire : Emmanuel Macron pourra-t-il vraiment tenir sa promesse de suppression de 50 000 postes de fonctionnaires ? Interview de Jacques Bichot et François Écalle.

Atlantico : Dans un environnement contraint par la baisse de la croissance, le gouvernement va devoir faire face à ses promesses de réduction des déficits pour les prochaines années du quinquennat, notamment autour de la promesse faite de réduire le nombre de fonctionnaires - soit 50 000 sur l'ensemble du quinquennat. Après une la suppression de 1 600 postes pour cette année 2018, comment le gouvernement peut-il parvenir à tenir sa promesse ?

François Écalle : Le Gouvernement s’est donné des objectifs modérés de réduction du déficit public, parce qu’il prévoit une réduction substantielle des prélèvements obligatoires, mais il faut néanmoins fortement réduire le rythme de croissance des dépenses publiques pour les atteindre : après avoir été de 2,2 % par an dans les années 2000 en volume (corrigé de l’inflation) et de 0,8 % dans les années 2010-2017, ce rythme de croissance doit être ramené à 0,35 % sur la période 2018-2022. La baisse des effectifs de fonctionnaires devrait constituer une part importante des économies requises pour obtenir ce résultat. Le Gouvernement a ainsi annoncé la suppression de 50 000 postes dans les services de l’État, ou dans ses établissements publics, et de 70 000 postes dans les collectivités locales. Le gain budgétaire en 2022 serait alors de 1,6 Md € pour l’État et de 1,8 Md € pour les collectivités locales. S’agissant de l’État et de ses opérateurs, 1 600 postes ont été supprimés dans la loi de finances pour 2018 et il faudrait donc porter ce chiffre à 12 000 par an dans les quatre années suivantes du quinquennat. Les effectifs de la fonction publique d’État sont de 2,4 millions, y compris ceux affectés à ses établissements publics (ses « opérateurs »). Les réduire de 12 000 par an sans diminuer le volume des services rendus revient à réaliser des gains de productivité annuels de 0,5 %, ce qui est tout à fait possible. Ce n’est cependant pas clairement compatible avec les orientations déjà prises par le Gouvernement dans certains domaines.

Jacques Bichot : Les promesses ou projets de réduction du nombre de fonctionnaires constituent une façon déplorable d’aborder un vrai problème. Quel est ce vrai problème ? L’inadéquation entre les effectifs employés par l’État, les collectivités territoriales et les hôpitaux, d’une part, et les services effectivement rendus par ces organismes. Dans une administration et même dans un hôpital, la question présente à l’esprit du ou des responsables devrait être : pouvons-nous assurer un meilleur service en y consacrant moins de temps et moins d’argent ?

Qu’un officiel, homme politique ou haut fonctionnaire, considère comme une réussite d’avoir diminué de 1 600 en un an le nombre des postes des administrations publiques est tout simplement le signe que cette personne n’est pas à sa place, parce qu’elle n’a rien compris au problème et se contente d’agiter des chiffres pour faire sérieux. La réussite, ce serait par exemple d’avoir 20 % d’élèves en plus par enseignant et 40 % en plus par membre de l’administration scolaire, avec en même temps une belle remontée dans le classement PISA, c’est-à-dire une forte progression du niveau de nos jeunes. La réussite, ce serait d’avoir, à nombre de magistrats inchangé, une réduction de moitié des délais dans lesquels les affaires sont jugées. La réussite, ce serait que les élus locaux n’augmentent pas le nombre de leurs fonctionnaires et autres salariés parce que le taux d’absentéisme est très élevé. Etc., etc.

Nos gouvernants sont hélas persuadés que le budget est l’instrument de gestion par excellence – ou, du moins, agissent-ils comme s’ils avaient cette conviction ridicule. Les économies de gestion ne se font pas en changeant des chiffres dans des lois de finances ; elles se font sur le terrain, en détectant les bons managers et en leur confiant des responsabilités importantes, et en envoyant les médiocres se recycler. La sous-productivité de notre administration est dramatique, parfois parce que beaucoup d’agents se la coulent douce, parfois parce qu’ils sont mal dirigés, parfois parce que le travail qui leur est demandé est stupide, mal conçu, inutile, voire même nuisible. Souvent aussi les procédures sont telles qu’il faut consacrer un quart d’heure à ce qui ne devrait pas prendre plus de cinq minutes.

Que les fonctionnaires qui rédigent les millions de lignes de nos codes, circulaires et autres instructions se voient fixer comme objectif prioritaire de réduire cette littérature insipide qui ligote la France comme Gulliver était immobilisé par les liens minuscules des Lilliputiens, et notre pays repartira de l’avant : notre administration en fera plus pour les citoyens avec moins de moyens, et l’équilibre des finances publiques se rapprochera rapidement.



Quelles sont les fonctions publiques à cibler en priorité, et à l'intérieur de celles-ci, quels sont les postes qui pourraient être supprimés ?

François Écalle
: L’éducation nationale et les universités occupent plus de la moitié des agents de l’État et de ses opérateurs. Or les réformes annoncées, comme l’augmentation de la taille des classes dans les zones rurales, ne vont pas dans le sens d’une réduction de ses effectifs. Le ministère de l’intérieur représente 15 % des emplois budgétaires et plusieurs milliers de créations de postes sont prévues dans les forces de l’ordre. Même si des suppressions d’emplois y sont possibles ailleurs, comme dans les sous-préfectures, les effectifs n’y baisseront pas globalement.

La Défense représente 14 % des emplois et la loi de programmation militaire prévoit la création de de 2 000 postes entre 2017 et 2022. Le ministère de la justice représente 4 % des effectifs de l’État et le projet de loi de programmation prévoit plus de 6 000 créations de postes.

Pour réduire globalement les effectifs de 12 000 par an tout en les augmentant dans ces ministères, il faudrait les réduire de bien plus que 12 000 dans des administrations qui ne représentent que 15 % de la fonction publique d’Etat, soit environ 350 000 personnes. La direction générale des finances publiques en constitue presque le tiers et le nombre d’agents y a diminué de presque 2,0 % par an au cours de ces 20 dernières années. Si ce pourcentage de baisse de 2 % est appliqué aux 350 000 postes des services non prioritaires, ce qui n’a rien d’évident, cela ferait seulement 7 000 suppressions par an, loin de l’objectif.   Je ne vois donc pas bien comment 50 000 postes seront supprimés dans la fonction publique d’État d’ici à 2022. 
 
Jacques Bichot : Les administrations territoriales sont, de notoriété publique, gonflées par des habitudes délétères. Combien de postes sont occupés par des « copains » qui travaillent en fait pour l’association X ou Y ? C’est Aurélie Boullet, auteur (sous son nom de plume Zoé Shepard) du merveilleux Absolument dé-bor-dée, qui devrait être nommée Déléguée Générale ou Haut-Commissaire à la réforme de la fonction publique territoriale (1,6 million d’agents) : elle a analysé avec le sérieux d’un Michel Crozier et l’humour d’un Courteline les raisons pour lesquelles la productivité de ces administrations est si souvent lamentable. Voilà le genre de personnes qu’il faudrait avoir le courage d’employer, non pas pour « dégraisser » les effectifs comme le font certains « costs-killers » dans le privé, mais pour insuffler un esprit nouveau qui permettrait de fonctionner beaucoup plus efficacement, et donc de mieux servir les Français – c’est ça la priorité – probablement avec moins de personnel.
 
Quant aux postes à supprimer en priorité, gardons-nous d’en désigner par idéologie ou idées préconçues. On en trouvera partout : par exemple, nous avons des forces armées globalement sous-dimensionnées, mais je suis certain qu’il y a des postes à supprimer, moins certes que de postes à créer, mais en nombre conséquent. À l’Éducation Nationale, le poids lourd par excellence, il y a bien des incompétents dont le départ serait profitable, mais en revanche il existe un déficit de bons pédagogues.
 
 
 
L'objectif de réduction de 50 000 postes est-il simplement réalisable au regard des orientations déjà prises par le gouvernement ?

François Écalle : C’est dans la fonction publique territoriale que les suppressions de poste devraient être les plus importantes et c’est bien l’objectif du Gouvernement, mais les collectivités locales sont autonomes et il n’a aucun moyen direct de les obliger à réduire leurs effectifs.

Il est d’ailleurs préférable de laisser à chacune d’elles le soin de déterminer quels postes doivent être supprimés en fonction de ses spécificités.

L’État peut seulement réduire les ressources financières qu’il leur apporte, ce qui a été fait sous le quinquennat précédent avec un certain succès puisque les effectifs de la fonction publique locale ont diminué en 2015 et 2016, ce qui n’était jamais arrivé auparavant. Le Gouvernement actuel a proposé aux plus grandes collectivités des contrats dans lesquels elles s’engagent à limiter la croissance de leurs dépenses de fonctionnement à 1,2 % par an en contrepartie d’une stabilisation des dotations de l’État. Dans la fonction publique d’État, il ne peut pas y avoir de baisse significative des effectifs, par exemple de 10 000 par an, sans qu’elle ne concerne l’éducation nationale. Les effectifs y ont été accrus de presque 60 000 sous le quinquennat précédent et on pourrait revenir à un niveau proche de celui de 2011. Cela passe par la remise en cause de certains enseignements optionnels et de l’organisation du travail. Les effectifs des armées ont beaucoup diminué de 2007 à 2015 et il ne serait pas raisonnable pour notre sécurité de les réduire plus. Le ministère de la défense devrait donc être le seul à être exempté de suppressions de postes.
 
 
Jacques Bichot : Je ne suis hélas pas à même de répondre à cette question de façon sérieuse : beaucoup d’informations, et de temps pour les analyser, seraient nécessaires. Ce qui est certain, c’est que de tels chiffres sont très nocifs du point de vue pédagogique. Je veux dire que les Français sont incités à croire que le nombre important des fonctionnaires est en lui-même un boulet pour la France. Or c’est inexact : les bons fonctionnaires, attelés à des tâches intelligemment définies, sont un atout formidable ! Confier au secteur privé certaines fonctions qui ne relèvent pas vraiment de la concurrence, simplement par idéologie, est contre-productif.
 
Les objectifs chiffrés tels que « 50 000 postes en moins » aboutissent souvent à confier à des entreprises des fonctions régaliennes, comme par exemple dresser des PV de stationnement interdit ou de dépassement de la vitesse autorisée. Il faut éviter ce genre de sottises, qui reviennent à dire que les fonctionnaires ne sont pas capables de faire aussi bien que les salariés du privé.

Je suis outré par le mépris sous-jacent à ce genre de décisions, pour deux raisons : primo, au lieu de se battre pour améliorer le fonctionnement des services, on baisse le pavillon, on passe le bébé au privé. Secundo, on ment aux Français : il n’y aura pas moins de personnes affectées à telle ou telle fonction, simplement ce sera des salariés du privé, éventuellement payés au lance-pierre. En fait, ces privatisations de services publics servent à dissimuler l’inaptitude de beaucoup de nos élus, de nos ministres et de nos hauts-fonctionnaires à faire fonctionner
correctement et productivement les administrations.

Incompétence et dissimulation aux plus hauts étages, là est le problème.
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