• "Il n'y a pas d'infaillibilité en économie", par Me Jean-Philippe Delsol

    Il n’y a pas d’infaillibilité en économie

    Réaction à l’encyclique du Pape François

     

    Article de Me Jean-Philippe Delsol, publié le 24/07/2015 sur le site de l'IREF

     Après que le pape François ait publié son encyclique Laudato si’, les chrétiens sont partagés. Nombre d’entre eux se réjouissent ouvertement que l’Église ait ainsi entonné les trompettes de l’écologie. Mais d’autres, peut-être très nombreux aussi, restent silencieux et inquiets devant cette intrusion aussi manifeste du Vatican dans les affaires temporelles. Beaucoup n’osent pas dire leur opinion eu égard au respect qu’ils portent naturellement à la fonction papale.  

    Sommaire

    >Les nostalgies écologiques

    >Intégriste et moderniste

    >Écologie et pauvreté

    >Le nouveau cas Galilée

    >La condamnation excessive du marché

    >La confusion des domaines

     

    Ils restent souvent paralysés par l’infaillibilité présumée de celui qui tient le siège de Rome. Mais c’est oublier que la dite infaillibilité pontificale n’a été édictée, le 18 juillet 1870, que pour le cas où le pape se prononce ex cathedra « c’est-à-dire lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, une doctrine, en matière de foi ou de morale », soit en matière, explique l’Eglise, de foi et de mœurs. Sont ainsi exclues les prises de position personnelles ou sur des problèmes particuliers et les enseignements de circonstance, même très officiels comme les encycliques, autant que les questions politiques. Et dans tous ces domaines, avec tout le respect qui reste toujours dû à la personne du Pape, chaque Chrétien garde son libre arbitre et a presque le devoir de participer au débat, s’il le fait avec prudence et autant de discernement que possible, en exprimant sa propre vision. C’est dans cet esprit que pour ma part, je me permets de m’étonner de certaines assertions du discours papal et d’en craindre certaines dérives.

    Sur le fond, les propos du Pape François sont entendus et restent dans la tradition de l’enseignement ecclésial selon lequel la nature, créée par Dieu, est digne de respect et d’amour. La chrétienté n’a pas attendu les écologistes pour être attentif à la vie, quelle qu’elle soit. Bien plus nous dit le pape, les hommes doivent plus généralement gérer les biens de la terre avec soin et sans les gaspiller inutilement. C’est un devoir de respect naturel à l’égard des autres et des générations à venir ; c’est aussi une nécessaire habitude de comportement car celui qui méconnait la valeur des choses ne tarde pas à oublier celle des hommes. Il est bon de le rappeler avec force.
    Mais le pape François ne va-t-il pas trop loin, presque jusqu’à épouser l’écologie comme une nouvelle religion, lui qui veut qu’on se « convertisse » à l’écologie ? Ne serait-ce le pape, un lecteur avisé pourrait craindre que le texte n’émane d’un nouveau gourou quand il demande de faire surgir un homme nouveau, pas seulement au plan spirituel, mais humain, social, au travers de recommandations proprement comportementales, dictant à chacun ses gestes.

    Le Pape François s’étend en long et en large sur les risques que court la planète Terre en citant essentiellement ses propres écrits et ceux de quelques conférences épiscopales. Il rappelle aussi les mots de ses prédécesseurs, mais oublie les propos de prudence énoncés par Benoît XVI dans son message pour la célébration de la journée mondiale de la paix du 1er janvier 2008, qui ne disait pas autre chose, mais qui l’énonçait en veillant à rester au niveau des principes, à ne pas faire de politique, à ne pas dicter des comportements précis et donc nécessairement susceptibles d’être controversés. « Nous devons, écrivait-il, avoir soin de l’environnement : il a été confié à l’homme pour qu’il le garde et le protège dans une liberté responsable, en ayant toujours en vue, comme critère d’appréciation, le bien de tous. L’être humain a évidemment une primauté de valeur sur toute la création. Respecter l’environnement ne veut pas dire que l’on considère la nature matérielle ou animale comme plus importante que l’homme. Cela veut plutôt dire que l’individu ne peut la considérer de manière égoïste comme étant à l’entière disposition de ses propres intérêts, car les générations à venir ont aussi le droit de tirer bénéfices de la création, exerçant à son égard, la même liberté responsable que nous revendiquons pour nous-mêmes. Il ne faut pas non plus que les pauvres soient oubliés, eux qui, en bien des cas, sont exclus de la destination universelle des biens de la création. De nos jours, l’humanité s’inquiète pour l’avenir de l’équilibre écologique. À cet égard, il convient que les évaluations se fassent avec prudence, dans un dialogue entre experts et sages, sans précipitations idéologiques vers des conclusions hâtives et surtout en recherchant ensemble un modèle de développement durable qui garantisse le bien-être de tous dans le respect des équilibres écologiques. Si la protection de l’environnement a des coûts, il faut qu’ils soient répartis de manière juste, en tenant compte des différences de développement des divers pays et de la solidarité avec les générations futures. Agir avec prudence ne signifie pas ne pas prendre en main ses responsabilités et renvoyer à plus tard les décisions ; cela veut plutôt dire s’engager à prendre ensemble ces décisions, non sans avoir au préalable examiné, de manière responsable, la voie à emprunter, dans le but de renforcer l’alliance entre l’être humain et l’environnement, qui doit être le miroir de l’amour créateur de Dieu, de qui nous venons et vers qui nous allons. » Il demande à chacun de s’engager mais laisse à chacun l’examen attentif et le discernement, tant vanté par Paul VI, dans le choix des moyens. Ce que ne fait pas le Pape François avec la même prudence. Ce dernier prend parti et s’avance à découvert dans l’arène politique et sociale, avec tous les dangers que cela recèle.

    Les nostalgies écologiques

    Bien entendu que le changement « devient préoccupant quand il en vient à détériorer le monde et la qualité de la vie d’une grande partie de l’humanité » (N°17) . Mais d’où tient le Pape François que ce changement est dû à l’homme plutôt qu’à l’évolution naturelle de la Terre ? Il parle d’ « un consensus scientifique très solide qui indique que nous sommes en présence d’un réchauffement préoccupant du système climatique » (N°23). Certes, mais le problème est de savoir quelle est la cause de ce réchauffement et le Pape François n’hésite pas à parler des « causes humaines qui le provoquent ou l’accentuent ». Il évoque quelques causes naturelles « comme le volcanisme, les variations de l’orbite et de l’axe de la terre, le cycle solaire » (N°23), mais pour soutenir tout aussitôt que « la plus grande partie du réchauffement des dernières décennies est due à la grande concentration de gaz à effet de serre émis surtout à cause de l’activité humaine » (N°23).

    Il pense que c’était mieux avant : « L’intervention humaine sur la nature s’est toujours vérifiée, mais longtemps elle a eu comme caractéristique d’accompagner, de se plier aux possibilités qu’offrent les choses elles-mêmes. Il s’agissait de recevoir ce que la réalité naturelle permet de soi, comme en tendant la main. Maintenant, en revanche, ce qui intéresse c’est d’extraire tout ce qui est possible des choses par l’imposition de la main de l’être humain, qui tend à ignorer ou à oublier la réalité même de ce qu’il a devant lui. Voilà pourquoi l’être humain et les choses ont cessé de se tendre amicalement la main pour entrer en opposition » (N° 106). Comme si le monde d’hier était une idylle entre la nature et l’homme alors que la nature était crainte de l’homme avant qu’il ne parvienne à la maitriser un peu, il en faisait ses dieux en même temps que ses démons, il vivait souvent dans sa peur permanente, celle des animaux sauvages autant que des sautes d’humeur des éléments naturels. Le Pape voudrait que le monde reste celui des petits entrepreneurs, des petites exploitations agricoles (N° 129). Il évoque « la nostalgie des paysages d’autrefois qui aujourd’hui se voient inondés d’ordures » (N° 21). Il dénonce « le mythe du progrès » (N°60). Faudrait-il aussi être nostalgique des conditions de vie des ouvriers de Zola ? Le progrès n’a-t-il pas amélioré leur situation. Les urbains et les villageois d’aujourd’hui préfèreraient-ils vivre entre les rues étroites et polluées par les déjections quotidiennes des maisons qui les bordaient avant que le progrès ne permette le tout à l’égout et l’eau courante ? N’idéalisons pas le passé plus que le présent ou l’avenir. Il est surprenant de lire qu’ « On ne doit pas chercher à ce que le progrès technologique remplace de plus en plus le travail humain, car ainsi l’humanité se dégraderait elle-même » et qu’il critique que « l’orientation de l’économie a favorisé une sorte d’avancée technologique pour réduire les coûts de production par la diminution des postes de travail qui sont remplacés par des machines. C’est une illustration de plus de la façon dont l’action de l’être humain peut se retourner contre lui-même » (N°128). Comme s’il épousait la cause des Luddites du début du XIXème siècle ! Les ouvriers qui travaillaient 15 heures par jour ne seraient peut-être pas d’accord, pas plus que les paysans qui préfèrent sans doute labourer avec le tracteur plutôt qu’avec la charrue. Ne le seraient pas plus ceux qui creusaient à la pelle plutôt qu’avec des pelleteuses, ceux qui travaillent aujourd’hui devant leurs écrans plutôt qu’en risquant leurs mains dans les rouages des machines … Il a été démontré depuis longtemps que les ouvriers qui détruisaient les métiers Jacquard luttaient contre eux-mêmes en refusant le progrès. Nostalgie ou naïveté ? Simple méconnaissance du monde du travail et de l’histoire des hommes ?

    Intégriste et moderniste

    Le Pape François est en fait un mélange d’intégrisme et de modernisme. Il a raison bien entendu de rappeler que « l’homme n’est pas seulement une liberté qui se crée de soi » (N°6). Mais il voit le mal dans « cette idée qu’il n’existe pas de vérités indiscutables qui guident nos vies et que la liberté humaine n’a pas de limites ». Et il y a là comme un retour à l’avant Vatican II, ou pire à l’encyclique Mirari Vos que Grégoire XVI avait écrite le 15 août 1832 pour condamner Lacordaire, Lamennais et Montalembert et leurs idées, notamment la liberté de conscience et la liberté de la presse.

    Nous pouvons croire qu’il y a des vérités tout en sachant que, dans notre imperfection humaine, nous ne sommes jamais certains d’atteindre la vérité et même nous sommes hélas à peu près sûrs que nous ne la connaîtrons jamais vraiment ou complètement. Sinon, nous serions des dieux ! Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de vérité et qu’il faut vivre dans le relativisme le plus total, ce que le Pape a bien raison de rappeler. Ce qui ne veut pas dire que nous ne pouvons pas croire en une vérité par la foi qui est un acte personnel d’adhésion, conformément aux mots de Saint Paul selon lesquels « la foi, c’est posséder déjà ce que l’on espère ».

    Car chacun a sans doute le devoir de rechercher la vérité, mais chacun est libre de penser qu’il y a un Dieu et des vérités qui pour lui sont fondamentales comme personnellement je le pense. Mais elles sont discutables par chacun. La liberté humaine est précisément celle de tout examiner, sauf à le faire de bonne foi, et de rechercher le vrai et le bien dans ce débat. Le christianisme ne saura triompher en affirmant qu’il y a des vérités indiscutables mais en faisant partager leur pertinence, en convaincant de leur vérité plutôt qu’en l’assénant.

    Écologie et pauvreté

    Ce qui est également à la fois vrai et contestable est cette idée d’une « intime relation entre les pauvres et la fragilité de la planète » (N°16). Certes, les pauvres sont sans doute plus exposés que d’autres : « Beaucoup de pauvres, écrit le Pape François, vivent dans des endroits particulièrement affectés par des phénomènes liés au réchauffement, et leurs moyens de subsistance dépendent fortement des réserves naturelles et des services de l’écosystème, comme l’agriculture, la pêche et les ressources forestières. Ils n’ont pas d’autres activités financières ni d’autres ressources qui leur permettent de s’adapter aux impacts climatiques, ni de faire face à des situations catastrophiques, et ils ont peu d’accès aux services sociaux et à la protection. Par exemple, les changements du climat provoquent des migrations d’animaux et de végétaux qui ne peuvent pas toujours s’adapter, et cela affecte à leur tour les moyens de production des plus pauvres, qui se voient aussi obligés d’émigrer avec une grande incertitude pour leur avenir et pour l’avenir de leurs enfants.

    L’augmentation du nombre de migrants fuyant la misère, accrue par la dégradation environnementale, est tragique… ». Mais faut-il pour autant se condamner à l’immobilisme ? Depuis que la planète Terre a abrité l’humanité, elle bouge, elle évolue, son climat se modifie en permanence, alternant sur la longue durée des périodes de glaciation et de réchauffement. Et la liberté, et la force de l’humanité, c’est précisément de s’y adapter, de migrer vers les territoires plus accueillants ou d’apprendre à vivre différemment, d’innover toujours pour faire face aux défis de la nature qui ne cesse de jouer des tours aux hommes. Il ne s’agit pas de se lamenter, de se figer dans le regret de ce qui est révolu, mais de réagir pour construire l’avenir. A cet égard les hommes ont une vraie responsabilité, et c’est d’ailleurs ce que dit le Pape, pour essayer de trouver des solutions, mais que le réchauffement soit le fait des hommes ou non. Et il faut espérer en la capacité des hommes pour trouver des réponses adaptées à ces nouveaux défis sans les obliger à adopter une économie de privation et de rationnement. L’attitude qui redoute tout à la fois l’évolution du monde et le progrès technique est celle qui a conduit Malthus ou le Club de Rome a prédire à l’humanité qu’elle mourrait bientôt de faim, oubliant tout simplement l’immense capacité des hommes à combattre l’adversité, à découvrir des moyens nouveaux de subsistance, d’inventer de nouvelles technologies pour améliorer leur sort.

    Le nouveau cas Galilée

    Le Pape François se précipite au secours du GIEC et ses épigones, dont on sait qu’ils ont utilisé souvent des artifices pour aboutir aux conclusions qu’ils voulaient obtenir, plutôt que d’attendre que la science se prononce de manière plus ferme. Il tombe dans le piège du discours dominant en matière d’environnement, à rebours de ce qu’il préconise au plan moral où il s’oppose, à juste titre, à la déréliction des mœurs trop communément admise sinon favorisée alors qu’elle atteint l’homme dans sa nature et sa finalité. A cet égard, il est vrai qu’il souligne habilement la contradiction de ceux qui préfèrent protéger les tortues plutôt que les hommes. Comment vouloir empêcher la destruction de la moindre pousse d’herbe, des animaux souffrants et de tous les dons de la nature tout en jetant au feu les vieillards souffreteux et les enfants à naître ?

    Mais la défense d’une vision que l’on croit vraie ne justifie pas qu’on en soutienne une autre qui est bancale. Le Pape François ne se laisse-t-il pas emporter par les idées du siècle ? Est-ce pour ne pas être à la remorque de l’avenir qu’il s’engouffre dans la défense de thèses encore incertaines et controversées, par peur peut-être d’apparaître timoré à l’égard de nouveaux Galilée ? Pourtant, ce faisant, il risque plus encore de commettre à rebours une erreur du même type, mais homothétique inversée, que celle des papes Paul V et Urbain VIII. Ceux-ci ont fait condamner Galilée pour avoir soutenu des thèses non encore suffisamment démontrées à une époque où l’Eglise donnait, ou refusait, un imprimatur à tout ce qui était publié. Le Pape François ne prend-il pas un risque d’avoir donné son imprimatur trop vite à des thèses plus politiques que scientifiques dès lors qu’il apparaît que ceux qui soutiennent que l’homme est la cause du réchauffement climatique ont souvent moins de convictions académiques que l’objectif d’utiliser cette thèse, tout à fait discutable, pour renforcer le rôle de l’Etat et détruire la société libérale ?

    La condamnation excessive du marché

    Comme le disait Galilée dans une lettre à Christine de Lorraine en 1615, « L’intention de l’Esprit Saint est de nous enseigner comment on doit aller au ciel, et non comment va le ciel ». Le Pape François a-t-il raison de se mêler avec tant d’implication pratique de la lutte contre le réchauffement climatique ? Il s’ingère dans la politique pour dénoncer la privatisation de l’eau sans se demander si la gestion privée de l’eau n’est pas souvent plus efficiente et plus juste que la gestion publique parfois accaparée par des clans politiques ou des syndicats et généralement moins efficace, plus onéreuse. Est-ce sa vocation de se prononcer sur les privatisations ?

    Il nous dit qu’ « en regardant le monde, nous remarquons que ce niveau d’intervention humaine, fréquemment au service des finances et du consumérisme, fait que la terre où nous vivons devient en réalité moins riche et moins belle, toujours plus limitée et plus grise, tandis qu’en même temps le développement de la technologie et des offres de consommation continue de progresser sans limite. Il semble ainsi que nous prétendions substituer à une beauté, irremplaçable et irrécupérable, une autre créée par nous » (N°34). Il n’a pas tort de critiquer certaines constructions humaines qui défigurent la nature et les paysages, pas tort d’appeler l’attention des hommes sur le souci qu’ils doivent avoir de leur environnement. Mais les constructions et destructions soviétiques n’ont-elles pas été aussi et plus encore des désastres, et la qualité de l’environnement n’était-elle pas pire sous les régimes d’obédience marxiste. Ca n’est pas un hasard si Tchernobyl a été un accident communiste.

    Il est exact que dans de nombreux pays, le système est dominé par des mafias ou des sortes de mafias qui organisent la prédation du pays au détriment des plus faibles. Mais ces pays ne sont pas ceux qui pratiquent une économie libérale mais plutôt ceux qui sont soumis au socialisme ou au capitalisme de connivence. On ne peut pas tout amalgamer. Et on peut craindre cette confusion lorsque le Pape François nous dit que « La terre des pauvres du Sud est riche et peu polluée, mais l’accès à la propriété des biens et aux ressources pour satisfaire les besoins vitaux leur est interdit par un système de relations commerciales et de propriété structurellement pervers. Il faut, ajoute-il, que les pays développés contribuent à solder cette dette, en limitant de manière significative la consommation de l’énergie non renouvelable et en apportant des ressources aux pays qui ont le plus de besoins, pour soutenir des politiques et des programmes de développement durable. Les régions et les pays les plus pauvres ont moins de possibilités pour adopter de nouveaux modèles en vue de réduire l’impact des activités de l’homme sur l’environnement, parce qu’ils n’ont pas la formation pour développer les processus nécessaires, et ils ne peuvent pas en assumer les coûts » (N°52). Si tant est que les pays du Nord auraient une dette, ça n’est pas en réduisant leur consommation d’énergie, et en s’appauvrissant ainsi, qu’ils aideraient plus les pays du Sud. Et si dans nombre de ceux-ci, les plus pauvres n’ont pas accès à la propriété, c’est moins la faute de l’économie libérale que de l’absence d’une véritable économie de marché ouverte où tous pourraient avoir leur chance, où tous pourraient accéder à la propriété par leur travail.

    La réalité est que le Pape François est tout entier et de manière abrupte, sans nuance, hostile à l’économie libérale qu’il accuse de tous les maux. Il considère quelle détruit la planète depuis deux siècles : « Nous n’avons jamais autant maltraité ni fait de mal à notre maison commune qu’en ces deux derniers siècles. » (N°53). Pour y remédier il demande plus de lutte contre la corruption, en quoi il a raison, mais aussi plus de contrôles, plus d’Etat et cela n’est pas toujours le plus efficace.

    Il en appelle au débat, fait savoir que « l’Église n’a pas la prétention de juger des questions scientifiques ni de se substituer à la politique » (N°188), mais il ne fait que ça, de la politique, sur la base d’assertions scientifiques incertaines. Il nous dit avec raison que « L’harmonie entre le Créateur, l’humanité et l’ensemble de la création a été détruite par le fait d’avoir prétendu prendre la place de Dieu, en refusant de nous reconnaître comme des créatures limitées. » (N° 66), mais il ne reconnaît pas de caractère limité à ses propos, à ses exhortations, à ses affirmations radicales et définitives, notamment à l’encontre de l’économie libérale qui « tue » et qui « exclut » comme il ne cesse de le répéter depuis son Exhortation à la joie jusqu’au discours tenu en Bolivie ce mois de juillet 2015. Il critique sans vergogne le profit et ne croit pas « que les problèmes de la faim et de la misère dans le monde auront une solution simplement grâce à la croissance du marché » (N° 109). Oui, le marché n’est pas magique ; il n’est pas sans défauts. Et pourtant, c’est l’économie de marché qui a permis le développement du monde. Celui-ci n’était pas plus riche, ni non plus nécessairement plus heureux avant que le progrès, permis par l’éclosion de la liberté, ne vienne le bouleverser. La promiscuité de l’habitat pour le plus grand nombre, la saleté, l’ignorance ne favorisaient ni les mœurs ni l’espérance de vie inférieure de 2/3 à la nôtre. Contrairement à ce que soutient le Pape (N° 109), la croissance du marché est bien une solution, imparfaite, à la faim et la misère dans le monde. Bien sur, « le marché ne garantit pas en soi le développement humain intégral et l’inclusion sociale » (N°109). Le marché n’est qu’une technique et il peut produire du bon et du mauvais ; il reste aussi ce qu’en font les hommes. Mais il est le meilleur outil et la meilleure approche que le monde ait jamais inventés jusqu’à ce jour pour favoriser son développement. Les intérêts individuels ne sont pas toujours tournés vers le bien mais leur libre confrontation dans un état de droit les oblige, mieux que d’autres régimes, à se respecter et à s’ordonner au bien. Et chaque fois que la collectivité veut faire le bien à la place des hommes et pour eux, le pire est à craindre. Comme le disait bien Jean-Paul II, « Là où l’intérêt individuel est supprimé par la violence, il est remplacé par un système écrasant de contrôle bureaucratique qui tarit les sources de l’initiative et de la créativité. » (Jean-Paul II, Centesimus Annus, 1991). L’individu doit rester notre première préoccupation et le Pape François l’aurait-il oublié en tombant dans le travers commun de toutes les idéologies selon lesquelles « le tout est supérieur à la partie » (N° 141), un holisme dans lequel la société l’emporte sur les individus alors que les sociétés de liberté savent que les individus priment et que la société est là pour eux et non l’inverse ? Le salut est individuel.

    La confusion des domaines

    Oui, le Pape a raison de nous exhorter à plus d’attention aux pauvres, aux exclus de la terre. « Nous ne nous rendons plus compte que certains croupissent dans une misère dégradante, sans réelle possibilité d’en sortir, alors que d’autres ne savent même pas quoi faire de ce qu’ils possèdent, font étalage avec vanité d’une soi-disant supériorité, et laissent derrière eux un niveau de gaspillage qu’il serait impossible de généraliser sans anéantir la planète ». Le bon usage de ses biens, hors toute ostentation, fait partie de la common décency. Mais la vie économique ne fonctionne pas selon le principe des vases communicants. Ce n’est pas en partageant qu’on enrichit les pauvres, c’est-à-dire qu’on les fait sortir de la pauvreté, c’est en enrichissant le monde. Certes, il est souhaitable de permettre à tous d’acquérir la propriété qui est aussi la sécurité. Ça n’est pourtant pas en « donnant » la propriété aux pauvres, comme le Pape le demande, mais en leur permettant d’y accéder par leur effort que la propriété devient une valeur morale en même temps que financière. La propriété n’est pas un bien en soi, mais elle est apparue comme l’outil naturel et nécessaire des hommes pour développer leur monde. Parce que l’homme est limité, il est plus attentif à s’occuper de ses biens que de ceux des autres et les met mieux en valeur ; il en fait profiter mieux les autres dans une économie de libre échange que dans une économie planifiée dont on sait, de l’empire soviétique à la Chine ou aux nombreux pays sous développés qui en ont fait l’expérience, quels furent et sont (Cuba, Corée) les désastres.

    Le Pape a raison que l’économie libérale n’est pas parfaite. Elle est juste probablement moins mauvaise que d’autres. Il admet que l’être humain a une valeur supérieure à celle des autres créatures, que l’homme doit valoriser ses capacités particulières de connaissance, de volonté, de liberté et de responsabilité. Il se prétend favorable à la liberté d’entreprendre, mais pourquoi n’y est-il favorable que pour autant que ce soit des petites entreprises et non des grandes qui ont l’air d’être pour lui le reflet du diable. Il loue l’activité d’entreprise comme une vocation noble « surtout si on comprend que la création de postes de travail est une partie incontournable de son service du bien commun » (N° 129). Mais non, l’entreprise n’est pas faite pour embaucher. Elle a vocation à produire et vendre des biens et des services et à cette fin elle embauche si elle réussit dans ses projets. Et elle a vocation à se développer. Le travail offert par l’entreprise est un bien secondaire, pas premier. Comment d’ailleurs lui demander tout à la fois de rester petite et d’embaucher ?

    Le rôle du Pape, et c’est la force et la grandeur du message du Pape François, est de nous encourager à adopter des comportements de service et d’attention envers les autres. Mais ce message ressort de l’ordre de la charité, pas de l’ordre de l’économie ou de la politique. Le message du Christ qui veut que chacun fasse aux autres ce qu’il aimerait qu’on lui fasse relève de l’attitude personnelle conseillée à chacun, requise moralement de chacun par le Christ, pas des règles susceptibles de gérer une nation ou le monde dont l’équilibre repose sur la règle plus ancienne de la Bible recommandant de ne pas faire aux autres ce qu’on ne voudrait pas qu’il vous fasse. La première règle, positive, s’inscrit dans l’ordre de la charité tandis que la seconde, politique, permet la vie sociale.

    A force de vouloir le bien du monde, le Pape François sort de son domaine, comme lorsqu’autrefois il cherchait encore à empiéter sur les prérogatives de l’empereur du Saint Empire Romain Germanique (et vice-versa). Il s’inquiète des cultures transgéniques. Il en appelle aux budgets étatiques pour loger les gens en même temps que, contradictoirement, il voudrait qu’ils soient propriétaires. Il veut promouvoir le transport public. Il s’attache à la défense d’une justice distributive et attend de l’État qu’il défende le bien commun (N°157). Il en appelle à un programme mondial : « un consensus mondial devient indispensable, qui conduirait, par exemple, à programmer une agriculture durable et diversifiée, à développer des formes d’énergies renouvelables et peu polluantes, à promouvoir un meilleur rendement énergétique, une gestion plus adéquate des ressources forestières et marines, à assurer l’accès à l’eau potable pour tous » (N°164). Il est expert en tout : pour « favoriser des modes de production industrielle ayant une efficacité énergétique maximale et utilisant moins de matière première, retirant du marché les produits peu efficaces du point de vue énergétique, ou plus polluants. On peut aussi mentionner une bonne gestion des transports, ou des formes de construction ou de réfection d’édifices qui réduisent leur consommation énergétique et leur niveau de pollution. D’autre part, l’action politique locale peut s’orienter vers la modification de la consommation, le développement d’une économie des déchets et du recyclage, la protection des espèces et la programmation d’une agriculture diversifiée avec la rotation des cultures. Il est possible d’encourager l’amélioration agricole de régions pauvres par les investissements dans des infrastructures rurales, dans l’organisation du marché local ou national, dans des systèmes d’irrigation, dans le développement de techniques agricoles durables.
    On peut faciliter des formes de coopération ou d’organisation communautaire qui défendent les intérêts des petits producteurs et préservent les écosystèmes locaux de la déprédation » (N°181). Il se lamente que les décisions du Sommet planète Terre de Rio en 1992 n’aient pas été suffisantes, notamment que n’aient été mis en place « aucun mécanisme adéquat de contrôle, de révision périodique et de sanction en cas de manquement » (N°167), et il « demande à Dieu qu’il y ait des avancées positives dans les discussions actuelles » sur le réchauffement. Il se prononce sur les systèmes de marché des « crédits carbone » pour conclure qu’ils ne sont pas satisfaisants. Voici donc le Pape comme économiste en chef du monde avec l’aide requise de Dieu ! Est-ce son rôle et ce que les chrétiens, et plus généralement les hommes, attendent de lui ? Il ne craint pas pourtant d’en appeler à la création d’une Autorité politique mondiale en même temps qu’il demande aux États d’être plus présents dans la vie sociale comme s’ils ne l’étaient pas déjà trop : « Face à la possibilité d’une utilisation irresponsable des capacités humaines, planifier, coordonner, veiller, et sanctionner sont des fonctions impératives de chaque État » (N° 167).

    Mais une autorité mondiale, c’est le risque de Big Brother sans échappatoire, sans possibilité de quitter Cuba sur une frêle embarcation pour rejoindre la Floride, ça peut être l’URSS sans La Voix de l’Amérique. Un gouvernement du monde, c’est un contrôle unique et peut-être inique de la société dont la liberté se trouve dans la séparation des pouvoirs et la diversité des autorités. C’est la réforme de Grégoire VII en faveur d’une vraie séparation des pouvoirs temporels et spirituels qui a ouvert de nouveaux chemins de liberté et il s’agirait que le Vatican en soutienne l’abandon ! Car la Pape François a raison : tout est dans tout et réciproquement. C’est-à-dire qu’à vouloir concentrer le pouvoir en une même main, ce pouvoir là revendiquera bientôt tous les pouvoirs et aucun autre ne pourra s’y opposer s’il n’y en plus d’autres.

    L’appel à la conversion écologique à laquelle appelle le Pape (N° 218 et 220) n’est-elle pas une conversion au monde quand le Royaume du Christ n’est pas de ce monde. La confusion du politique et du religieux est précisément ce qui a caractérisé tous les pays, régimes ou religions totalitaires et il serait incompréhensible que le Pape François qui fait preuve de tant d’humanisme et de tant d’élévation spirituelle puisse tomber dans ce travers qui guette pourtant avec tant d’acuité. Et il est de notre responsabilité d’en parler et de nous émouvoir pour que l’Eglise garde droite sa route. Ceux qui prétendent construire des cités parfaites secrètent toujours la terreur. La tentation à laquelle ouvre le discours du Pape François est celle du constructivisme, celle qui pense que tout est possible au pouvoir. A trop critiquer le marché, à le faire si ardemment, si violemment, le Pape François prend le risque, énorme, que les économies de marché soient rejetées pour laisser place à des économies serviles, le risque que son appel à l’égalisation conduisent à la pauvreté commune. Non pas qu’il soit nécessaire de s’enrichir toujours plus, mais l’homme n’a-t-il pas vocation à améliorer son sort ? A critiquer tant et plus la liberté dont les hommes, c’est vrai, ne font pas toujours bon usage, le risque est que la liberté soit supprimée, y compris celle de la presse, muselée comme dans l’Équateur du président Raphaël Corréa auquel le Pape François n’a pas ménagé son soutien lors de son récent voyage, et peut-être ensuite celle des religions.

    Jean-Philippe DELSOL
    Avocat, président de l’IREF, Institut de Recherches Économiques et Fiscales.

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