• Jacques Garello - Comment lire l'encyclique de Benoît XVI ?

    Jacques Garello - Comment lire l'encyclique de Benoît XVI ?Pr Jacques Garello,Université Paul Cézanne,

    Président de l’Association pour la Liberté Économique et le Progrès Social

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    La lettre encyclique « Caritas in Veritate » peut se lire de deux façons, ce qui explique la diversité des commentaires parus à ce jour. Les uns ont été intéressés par l’analyse de l’économie mondialisée et des perspectives qu’elle offre pour les pays pauvres, les autres ont retenu avant tout un message d’éthique économique. Je crois que les uns et les autres ont raison. D’après ma mesure, le texte de Benoît XVI fait une part égale aux deux versions. L’introduction, le chapitre premier, ainsi que le chapitre six et la conclusion sont surtout œuvres d’évangélisation, les quatre chapitres au cœur de la lettre traitent principalement de la mondialisation et du développement. La référence permanente à Popularum Progressio ferait plutôt pencher vers une lecture très actualisée du texte, mais le propos essentiel n’est-il pas de proposer aux catholiques et aux hommes et femmes de bonne volonté les lumières de la foi et de la raison ? C’est d’ailleurs l’un des mérites – mais aussi l’une des difficultés – de la doctrine sociale de l’Église que de rappeler les permanences spirituelles et théologiques lorsque le monde est confronté aux « choses nouvelles » : Léon XIII s’exprimait sur la « question ouvrière », Paul VI sur le drame du sous-développement, Jean Paul II sur la fin du communisme. Cette mission du magistère est d’ailleurs rappelée avec insistance par Benoît XVI : La doctrine sociale de l’Église éclaire d’une lumière qui ne change pas les problèmes toujours nouveaux qui surgissent (§12). Le Pape parle d’une fidélité dynamique.

    Le problème nouveau : la mondialisation en crise ?
    Les économistes et autres experts en sciences sociales sont plutôt portés à s’interroger sur le tableau du monde présent, sur les enseignements de la crise qu’il traverse et sur la suite à donner. Le texte est ici d’une grande prudence, parfois même d’une extrême difficulté d’appréciation. Voilà pourquoi partisans et adversaires du libéralisme peuvent tirer argument de quelques phrases sorties de leur contexte. Les dirigistes et sociaux démocrates crient victoire lorsque l’encyclique appelle l’État à intervenir de façon plus pressante (§ 24 et 41), et appelle de ses vœux une organisation mondiale de l’économie (§57), mais ils en oublient que le rôle de la société civile est aussitôt souligné (§24) et que les erreurs, abus des institutions internationales sont dénoncés (§43 et 47) et qu’une gouvernance mondiale devrait être de nature subsidiaire (§57). Les libéraux se réjouissent de voir le contrat et le marché totalement réhabilités (§ 35 et 36) sur la base de la justice commutative (§6) et le protectionnisme condamné (§42), mais ils peuvent s’inquiéter d’une irruption de la gratuité dans les échanges marchands (§36) ou de l’évocation d’entreprises à but non lucratif (§46). Si l’encyclique reprend quelques idées à la mode sur les sources d’énergie et l’épuisement des ressources naturelles, allant même jusqu’à prôner une planification de leur usage (§49), le néo-paganisme des écologistes est ouvertement condamné (§48), ainsi que leur néo-malthusianisme (§50). Pour ramener les passages du texte à leur juste valeur il serait utile de tenir compte de trois éléments

    1° L’observation d’un monde en mutation n’est pas facile, parce que les eaux sont mêlées. Par exemple, si la crise actuelle est due à l’imprudence de certains financiers trop pressés de réaliser des opérations très profitables, les responsabilités des institutions publiques, y compris des banques centrales, sont considérables. Si le libre échange est réalisé pour beaucoup de produits et services, il ne l’est pas pour les produits agricoles. Si les gouvernants dénoncent le dumping fiscal, le dumping social et les délocalisations, c’est parce que leurs législations et leurs impôts ont rendu la vie impossible aux entrepreneurs, et parce qu’ils ne veulent pas renoncer à des dépenses qui représentent souvent gaspillages et prébendes. Si le chômage s’accroît, c’est sous l’effet des rigidités du marché du travail, et de l’assistanat dans lequel on entretient les chômeurs (qui très vite vont pâtir financièrement et psychologiquement des subsides de l’État providence).
    2° L’encyclique n’a pas voulu revenir à ce qui est définitivement acquis dans la doctrine sociale de l’Église, en particulier le principe de la propriété privée et la condamnation du socialisme, la liberté d’entreprendre et le droit à l‘initiative, l’articulation de la justice commutative et de la justice distributive. Benoît XVI rappelle la cohérence du corpus doctrinal (§12), hérité des Apôtres, des Pères de l’Église et des Grands Docteurs.
    3° Globalement, le diagnostic de l’encyclique est clair : la mondialisation est favorable au développement des pays pauvres, elle est l’occasion de réunir la famille humaine dans la fraternité, pour peu que les hommes veuillent bien accompagner cette mondialisation d’un supplément d’âme, pour peu que l’on accepte la vérité de l’amour du Christ dans la société. C’est précisément ce dernier message qui, à mes yeux, constitue le corps de l’encyclique, tout le reste n’étant que constats prudents, pistes de recherche et parfois même vœux pieux.
    Je pense que l’important est d’aller à l’essentiel et de retrouver le lien qui fait remonter la mondialisation et le développement à l’éthique et à l’Évangile.

    Responsabilité personnelle et carences institutionnelles
    Reprenant le thème de Paul VI, Benoît XVI place l’homme au cœur du processus de développement économique, dont il est à la fois l’acteur et le bénéficiaire. Bénéficiaire dans la mesure où le développement signifie l’élimination de la faim, de la maladie et de l’analphabétisme (§21), mais aussi le développement intégral de l’homme (§11). Acteur parce que le développement exige que tous prennent leurs responsabilités de manière libre et solidaire (§11) ; il n’est pas simplement offert au titre d’un droit au développement (§11). Citant Paul VI : Chacun demeure, quelles que soient les influences qui s’exercent sur lui, l’artisan principal de sa réussite ou de son échec (§17) Benoît XVI conçoit le développement comme la réponse à une vocation, qui demande à l’être humain de se hisser à la hauteur de sa personnalité et de l’amour du Christ. Comme Jean Paul II l’avait déjà souligné, la ressource humaine est le véritable capital qu’il faut faire grandir afin d’assurer aux pays les plus pauvres un avenir autonome effectif et l’aide financière internationale ne peut suffire à amorcer le processus de croissance (§58).

    Toutefois, les initiatives individuelles des hommes à la recherche de leur progrès personnel ne peuvent exister et engendrer le développement que dans un contexte de liberté, avec des règles du jeu social appropriées. Or, dans les pays pauvres, il y a carence de ressources sociales, la plus importante d’entre elles étant de nature institutionnelle (§27). C’est la recherche du bien commun qui fait défaut, de sorte que les hommes ne peuvent tisser le réseau de complémentarités et de solidarités nécessaire pour soutenir la croissance économique. Depuis quelques années les économistes calculent un « indice de liberté économique » et font en effet le constat que les pays les plus pauvres, et où les inégalités sont les plus marquées, sont ceux où l’indice est le plus faible, où la « carence institutionnelle » est la plus marquée : ignorance ou violations de la propriété privée, monopoles publics, déficits budgétaires et inflations, restrictions à la circulation des produits et des personnes. Ces carences s’accompagnent naturellement de guerres civiles, dictatures, xénophobie, corruption, fondamentalisme, castes et sectes ou persécutions religieuses.
    Benoît XVI, avec insistance et bonheur, indique que les institutions du développement ne peuvent naître ni disparaître par décret., ni par suite d’un placage idéologique. Au passage il fustige les anti-mondialistes pour lesquels le progrès signifie la dégradation de l’homme et la disparition des cultures, mais aussi bien les tenants de l’absolu de la technique qui idolâtrent la science et la technique. Ce sont deux erreurs anthropologiques, où l’homme est tantôt un être définitivement déchu, tantôt le maître absolu de l’univers (§14 et 70).
    Par contraste, les bonnes institutions sont le produit d’un processus cognitif qui, comme la vérité, n’est pas produite par nous, mais est toujours découverte ou, mieux, reçue (§34). Cette route qui conduit au véritable développement (§52) amène les institutions issues de cultures différentes à converger vers ce que l’on appelle la loi naturelle, loi morale universelle expression de la même nature humaine. L’adhésion à cette loi inscrite dans les cœurs est donc le présupposé de toute collaboration sociale constructive (§59).

    Humaniser l’économie mondialisée
    Dans la doctrine sociale de l’Église, nul doute que l’homme est au cœur de l’économie (§25). Mais cette vérité est-elle démentie par la mondialisation ?

    Benoît XVI cite Jean Paul II : La mondialisation, a priori, n’est ni bonne ni mauvaise, elle sera ce que les personnes en feront. (§41). Comme son prédécesseur il voit dans la mondialisation une occasion de faire vivre en harmonie la famille humaine dans son ensemble (§53). La mondialisation permet de prendre conscience des complémentarités, des services que les uns peuvent rendre aux autres. Mais il n’en sera ainsi que si la dimension spirituelle du développement est prise en compte et si les relations avec les autres nous amènent à accepter non seulement l’échange, mais aussi le don et la gratuité. Or, comme la crise actuelle le révèle peut-être, le s hommes ne sont-ils pas en train de s’égarer sur de faux chemins ? Benoît XVI dénonce avec vigueur l’absolu de la technique, cette croyance en l’infinie capacité des hommes à progresser dans la maîtrise de la matière, sans s’encombrer de considération morale (§70).
    Peu à peu s’est forgé un faux humanisme, qui pour magnifier les œuvres de l’être humain, a oublié de les ordonner à la dignité et à la liberté de la personne. L’humanisme qui exclut Dieu est un humanisme inhumain (§78). La mondialisation et le développement, tout comme la paix, la santé et la vie, ne sont pas affaires de technique, mais d’éthique.(§71 et 72).
    Tandis que les pauvres du monde frappent aux portes de l’opulence, le monde riche risque de ne plus entendre les coups frappés à sa porte, sa conscience étant désormais incapable de reconnaître l’humain (§75).
    Benoît XVI dépasse volontairement les frontières de l’économie pour nous mettre en garde contre l’oubli de Dieu dans la société contemporain e. L’humain est souvent ignoré dans la bioéthique, dans la protection de l’environnement, dans l’éducation, dans la vie de la famille, dans les relations internationales (§69 et 51).
    Par contraste, un humanisme chrétien, qui ravive la charité et se laisse guider par la vérité, en accueillant l’une et l’autre comme des dons permanents de Dieu, est la plus grande force au service du développement (§78). C’est aussi l’espoir et la promesse d’une société harmonieuse où la dimension spirituelle de l’homme est pleinement reconnue. Il en est de la société contemporaine comme du marché, comme de la mondialisation : le progrès consiste à bâtir la civilisation de l’amour, en pratiquant la charité dans la vérité. Il en va de la sauvegarde de la liberté de la personne et de la reconnaissance de sa pleine dignité. Voilà, en tous cas, ce que j’ai lu dans la lettre encyclique de Sa Sainteté Benoît XVI.

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