• "Oeconomicae & Pecuniae Quaestiones": quoi de neuf?

    Ce document a été publié le 17 mai 2018 par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi conjointement avec le Dicastère pour le Service du développement humain intégral.

    Le titre complet est: «Questions économiques et financières, considérations pour un discernement éthique sur certains aspects du système économique et financier actuel».  En résumé Oe&Pec Quae ou OPQ dans la suite. Complémentaire des encycliques pontificales, il apporte à un niveau opératoire des éléments de réponse réclamés depuis longtemps et avec insistance, sur les aspects moraux de l’ultra-financiarisation de l’économie. Selon La Croix 18/05/2018, ce texte «veut apporter un éclairage moral à une société fondée non plus sur une économie du travail mais sur une économie financière et auto-centrée».

    Le présent article se propose :

    -         *  de relier Oe&Pec Quae aux interventions antérieures de l’Eglise sur la place de la Finance dans l’économie et les problèmes qu’elle soulève,

    -          *   de le relier également à différentes  voix de la société civile (y compris issues du monde de la Finance): par exemple l'article de Salins et Villeroy de Galhau de 2009 dans la revue Etudes, dans la foulée de la crise de 2008 et de la parution de Caritas in Veritate; ou encore "Dysfonctionnements des marchés financiers" de Lepetit, Economica 2014

    -          *   et enfin de montrer ce qui est nouveau dans Oe&Pec Quae et ce qui ne l’est pas, ainsi que quelques points qui  n’y sont pas traités.

     

    Ce document important a été immédiatement synthétisé et  commenté sur l’essentiel, aussi bien par Jean-Yves Naudet que par Pierre de Lauzun (http://www.aecfrance.fr/oeconomicae-et-pecuniariae-quaestiones-marche-ethique-et-liberte-a144774556    et  http://www.aecfrance.fr/oeconomicae-et-pecuniariae-quaestiones-un-texte-incisif-mais-equilibre-a144863758 , articles originaux dans Aleteia  https://fr.aleteia.org/ ) Ceci notamment pour ce qui concerne le besoin de régulation, et les lacunes du texte concernant l’endettement excessif des économies ainsi que la supériorité peut-être pas suffisamment soulignée de l’investissement en actions sur le prêt à intérêt. Inutile donc de refaire ici une analyse de ce texte.

    Le «Dicastère pour le Service du développement humain intégral» (http://www.justice-paix.cef.fr/spip.php?article825)  a été créé en 2016 par le pape François. Ses compétences générales sont les suivantes : «Le dicastère exerce la sollicitude du Saint-Siège en ce qui concerne la justice et la paix, notamment les problèmes relatifs aux migrations, à la santé, aux œuvres caritatives et au soin de la création». « Le dicastère promeut le développement humain intégral à la lumière de l'Évangile et dans le sillon de la doctrine sociale de l'Église. À cette fin, il entretient des relations avec les conférences épiscopales, collaborant avec elles afin que soient promues les valeurs liées à la justice, à la paix, ainsi qu'au soin de la création. [..] Le dicastère exprime également la sollicitude du Souverain Pontife vers l'humanité souffrante, notamment les indigents, les malades et les exclus, et il suit avec l'attention requise les problèmes relatifs aux nécessités de tous ceux qui sont contraints d'abandonner leur patrie ou qui en sont privés, des marginaux, des victimes des conflits armés et des catastrophes naturelles, des détenus, des chômeurs, des victimes des formes contemporaines d'esclavage et de torture et les autres personnes dont la dignité est menacée.» Ont été corrélativement dissous le conseil pontifical «Justice et Paix», Cor Unum et les conseils pontificaux pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement et pour la pastorale des services de la santé. Concomitamment a été créé en 2016 le Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie.

     

     

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    On notera que Justice et Paix avait publié le 24 octobre 2011 une note proposant la création d’une autorité de régulation économique et financière mondiale (dans le même état d’esprit que la suggestion de Benoît XVI dans Caritas in Veritate 2009 d’une «autorité politique mondiale» veillant au bien commun, dont la généalogie remonte à saint Jean XXIII (Pacem in Terris) si ce n’est à Pie XII). Cette note proposait des points d’applications précis (on y reviendra plus bas). Elle semble avoir eu assez peu d’échos à ce jour.

    Quant à elle, l’Académie Centesimus Annus pro Pontifice dont il sera question plus bas, a publié en 2017 en anglais un recueil de contributions intitulé «Croissance inclusive et réformes financières: émergences globales et recherche du bien commun» (Marseguerra et Tarantola) dont les lignes directrices figurent dans la note de bas de page[1]. (On notera au passage que ladite Académie a également publié en 2018, en anglais toujours, sur la transition numérique : « La DSE et les défis du numérique » http://www.centesimusannus.org/wp-content/uploads/2018/06/Pdf-VOLUME-12-1.pdf)

    En fait, ces contributions entrent assez peu dans le détail des questions financières et se situent plutôt sur le terrain de l’humanitaire et de la DSE.

     

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    Dans ce qui suit les passages surlignés le sont par nous.

    1.       Quelques jalons de Benoît XIV à Pie XII

     

    1.1   En fait, la question de la finance est aussi ancienne que celle de l’usure et en réalité c’est la même, à savoir la préséance relative de l’humain et de l’argent, ainsi que la nature et le rôle de ce dernier, pris isolément ou conjointement avec d’autres facteurs (travail, savoir, actifs divers). Il n’est pas question ici de refaire l’historique de la question de l’usure (ou si l’on préfère du prêt à intérêt). L’encyclique Vix Pervenit de Benoît XIV, 1er novembre 1745,«sur l’usure et autres profits malhonnêtes», résume parfaitement le sujet, héritière de la doctrine de saint Thomas d’Aquin (principalement) dans le contexte des «Lumières». La digue de la condamnation de l’usure et donc la protection des proies faciles (moyennant quelques soupapes extrinsèques telles que lucrum cessans, damnum emergens et periculum sortis) tenait encore malgré l’ouverture des vannes par le protestantisme, les libéraux et le capitalisme industriel et financier naissant, précisément parce que ce dernier a besoin du droit absolu de l’argent à «faire des petits» , même simplement prêté et non dans le cadre d’une société. Depuis, l’Eglise (code de droit canon de 1917 puis de 1983) a avalé le principe du prêt à intérêt, qui est consubstantiel du capitalisme et en particulier du capitalisme financier. Cependant on trouve :

     

    Ø  Dans le Compendium de la DSE de 2005 :

    « 341 Si dans l'activité économique et financière la recherche d'un profit équitable est acceptable, le recours à l'usure est moralement condamné: «Les trafiquants, dont les pratiques usurières et mercantiles provoquent la faim et la mort de leurs frères en humanité, commettent indirectement un homicide. Celui-ci leur est imputable». Cette condamnation s'étend aussi aux rapports économiques internationaux, en particulier en ce qui concerne la situation des pays moins avancés, auxquels ne peuvent pas être appliqués « des systèmes financiers abusifs sinon usuraires ». Le Magistère plus récent a eu des paroles fortes et claires contre une pratique dramatiquement répandue aujourd'hui encore: « Ne pas pratiquer l'usure, une plaie qui à notre époque également, constitue une réalité abjecte, capable de détruire la vie de nombreuses personnes ».

    Ø  dans Oe&Pec Quae:

    «16… À ce sujet, comment ne pas penser à la fonction sociale irremplaçable du crédit, dont la prestation incombe d’abord à des intermédiaires financiers qualifiés et fiables ? Dans ce domaine, il apparaît clair que le fait d’appliquer des taux d’intérêt excessivement élevés, en réalité non soutenables pour ceux qui empruntent, représente une opération non seulement illégitime du point de vue éthique, mais aussi un dysfonctionnement quant à la santé de l’économie. Depuis toujours, de telles pratiques, ainsi que des comportements usuraires de fait, sont ressentis par la conscience humaine comme iniques, et par le système économique comme un obstacle à son bon fonctionnement.» On retrouve « l’usure dévorante » de Léon XIII.

     

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    1.2 En passant rapidement sur diverses révolutions (et sur les catholiques sociaux qui ont combattu les excès du libéralisme et ses dérives dans l’économie), on arrive à Rerum Novarum de Léon XIII (15 mai 1891). Le sujet n’est pas la finance mais l’exploitation des ouvriers (les deux questions étant cependant liées via la nature du capitalisme industriel). Cependant Rerum Novarum contient des phrases telles que : «Une usure dévorante est venue accroître encore le mal. Condamnée à plusieurs reprises par le jugement de l'Eglise, elle n'a cessé d'être pratiquée sous une autre forme par des hommes avides de gain et d'une insatiable cupidité.» Par ailleurs la critique des abus du capitalisme libéral (qui contrairement à celle du socialisme n’est pas une condamnation sans appel) vaut implicitement pour les futurs excès de la financiarisation et de la mondialisation dudit capitalisme libéral.

    1.3  Quadragesimo Anno de Pie XI paraît le 15 mai 1931, juste après la première crise financière mondiale. Cependant, là encore le Souverain Pontife dans cette encyclique de la « justice sociale », qui résume et actualise Rerum Novarum dans ses aspects pratiques (le capitalisme et le socialisme ont évolué depuis 1891) tient des propos applicables à la finance au sein du système économique :

    «95… La dictature économique qui a succédé aujourd’hui à la libre concurrence ne saurait assurément remplir cette fonction ; elle le peut d’autant moins que, immodérée et violente de sa nature, elle a besoin, pour se rendre utile aux hommes, d’un frein énergique et d’une sage direction, qu’elle ne trouve pas en elle-même. »

     

    «113. Ce qui à notre époque frappe tout d’abord le regard, ce n’est pas seulement la concentration des richesses, mais encore l’accumulation d’une énorme puissance, d’un pouvoir économique discrétionnaire, aux mains d’un petit nombre d’hommes qui d’ordinaire ne sont pas les propriétaires, mais les simples dépositaires et gérants du capital qu’ils administrent à leur gré.

     

    «114. Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l’argent, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent en quelque sorte le sang à l’organisme économique dont ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien que sans leur consentement nul ne peut plus respirer. » (Pie XII parlera « des boules dans la main d’un joueur »).

     

    «117…la libre concurrence s’est détruite elle-même ; à la liberté du marché a succédé une dictature économique. L’appétit du gain a fait place à une ambition effrénée de dominer. Toute la vie économique est devenue horriblement dure, implacable, cruelle. À tout cela viennent s’ajouter les graves dommages qui résultent d’une fâcheuse confusion entre les fonctions et devoirs d’ordre politique et ceux d’ordre économique : telle, pour n’en citer qu’un d’une extrême importance, la déchéance du pouvoir : lui qui devrait gouverner de haut, comme souverain et suprême arbitre, en toute impartialité et dans le seul intérêt du bien commun et de la justice, il est tombé au rang d’esclave et devenu le docile instrument de toutes les passions et de toutes les ambitions de l’intérêt. Dans l’ordre des relations internationales, de la même source sortent deux courants divers : c’est, d’une part, le nationalisme ou même l’impérialisme économique, de l’autre, non moins funeste et détestable, l’internationalisme ou impérialisme international de l’argent, pour lequel là où est l’avantage, là est la patrie. »

    On ne saurait être plus clair et réaliste quant à la dictature de la finance mondiale apatride du XXIème siècle commençant.

     

     

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    1.4 On sait que Pie XII, s’il n’a pas  -les circonstances de son règne ne s’y prêtaient pas vraiment- rédigé d’encyclique consacrée à l’économie et notamment à la finance, a énormément dit et écrit sur ces questions (comme sur beaucoup d’autres ; sa puissance intellectuelle, même secourue par l’Esprit Saint, est impressionnante). On pourra se référer à Marcel Clément, «L’économie sociale selon Pie XII», NEL, 1953 (2 volumes, Doctrine et Textes). Pie XII a rencontré de nombreuses délégations issues du monde de la Banque et de la finance : 

    o             allocution du 20 juin 1948 aux employés de la Banque de Naples: «… L’ordre économique actuellement en vigueur est inconcevable sans le facteur argent. Les banques en dirigent le cours [à l’époque de Pie XII les fonds d’investissements d’envergure mondiale n’existaient probablement pas] : il importe donc que celui-ci ne soit pas dirigé vers des entreprises économiquement malsaines, violant la justice, funestes au bonheur du peuple, pernicieuses pour la société civile, mais soient en harmonie avec la saine économie politique et avec la vraie culture.»

    o             allocution du 2 octobre 1948 aux membres du Congrès de l’Institut international des finances publiques : Pie XII y rappelle (déjà !) que la virtuosité technique en matière financière [et fiscale…] ne peut remplacer une claire vision des principes fondamentaux. Faute de ceux-ci, le risque est grand pour la politique financière de «ruiner la morale par le haut.».

    o             allocution du 18 juin 1950 aux membres de la Banque de Rome , allocution du 18 mars 1951 aux membres de la Banque du Travail, allocution du 24 octobre 1951 aux membres du Congrès international du Crédit etc.

    o             ainsi bien sûr que ses nombreux messages radiophoniques et pour les Semaines sociales catholiques notamment de France, d’Italie, de Belgique et du Canada.

     

    Les trois encycliques touchant la doctrine sociale (Summi Pontificatus du 20 octobre 1939, en pleine guerre mondiale, Sertum Laetitiae du 1er novembre 1939 aux évêques américains, ainsi bien sûr que Humani Generis du 12 août 1950 sur les opinions fausses qui menacent de ruiner la doctrine catholique) ne traite qu’indirectement d’économie et de finance.  Disons que l’enseignement très orthodoxe de la DSE par ce grand pape visait globalement l’économie et  implicitement la Finance, sans plus.

     

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    2.       De Paul VI à François, le crescendo de la mondialisation et de la financiarisation de l’économie, et le crescendo des mises en garde des papes

     

    2.1   Gaudium & Spes, Vatican II, Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps, 7 décembre 1965, est à replacer dans le contexte de l’émergence économique du Tiers-Monde et d’un début de mondialisation de l’économie. Notamment :

    « 85.

    3.       Pour édifier un véritable ordre économique mondial, il faut en finir avec l’appétit de bénéfices excessifs,…

     6. Que l’on fonde des institutions capables de promouvoir et de régler le commerce international…

    2.2 Populorum Progressio : dans cette encyclique du 26 mars 1967, le Bx Paul VI traite la question des relations économiques et financières entre nations, mais pas celle la mondialisation de la finance. C’est trop tôt. Comme Pie XI dans Quadragesimo Anno, il fustige cependant « l’impérialisme international de l’argent » :

    «26. Mais un système s'est malheureusement édifié sur ces conditions nouvelles de la société, qui considérait le profit comme motif essentiel du progrès économique, la concurrence comme loi suprême de l'économie, la propriété privée des biens de production comme un droit absolu, sans limites ni obligations sociales correspondantes. Ce libéralisme sans frein conduisait à la dictature à bon droit dénoncée par Pie XI comme génératrice de "l'impérialisme international de l'argent"

    La question sociale est aujourd’hui mondiale (tel est le «sous-titre» de l’encyclique).

     

    2.3 Jean-Paul II : Centesimus Annus, Sollicitudo Rei Socialis, mais aussi les discours de Jean-Paul II et l’Académie Centesimus Annus pro Pontifice

    o     Sollicitudo Rei Socialis, lettre encyclique, 30 décembre 1987

    « 12… Toutefois, il est nécessaire de dénoncer l'existence de mécanismes économiques, financiers et sociaux qui, bien que menés par la volonté des hommes, fonctionnent souvent d'une manière quasi automatique, rendant plus rigides les situations de richesse des uns et de pauvreté des autres. Ces mécanismes, manœuvrés - d'une façon directe ou indirecte - par des pays plus développés, favorisent par leur fonctionnement même les intérêts de ceux qui les manœuvrent, mais ils finissent par étouffer ou conditionner les économies des pays moins développés. Il nous faudra, plus loin, soumettre ces mécanismes à une analyse attentive sous l'aspect éthique et moral.

    « 36… Si la situation actuelle relève de difficultés de nature diverse, il n'est pas hors de propos de parler de «structures de péché», lesquelles, comme je l'ai montré dans l'exhortation apostolique Reconciliatio et paenitentia, ont pour origine le péché personnel et, par conséquent, sont toujours reliées à des actes concrets des personnes, qui les font naître, les consolident et les rendent difficiles à abolir. Ainsi elles se renforcent, se répandent et deviennent sources d'autres péchés, et elles conditionnent la conduite des hommes.

    «Péché» et «structures de péché» sont des catégories que l'on n'applique pas souvent à la situation du monde contemporain. Cependant, on n'arrive pas facilement à comprendre en profondeur la réalité telle qu'elle apparaît à nos yeux sans désigner la racine des maux qui nous affectent.

    …/…

    «J'ai voulu introduire ici ce type d'analyse surtout pour montrer quelle est la véritable nature du mal auquel on a à faire face dans le problème du développement des peuples: il s'agit d'un mal moral, résultant de nombreux péchés qui produisent des «structures de péché». Diagnostiquer ainsi le mal amène à définir avec exactitude, sur le plan de la conduite humaine, le chemin à suivre pour le surmonter.

    «Le système monétaire et financier mondial se caractérise par la fluctuation excessive des méthodes de change et des taux d'intérêt, au détriment de la balance des paiements et de la situation d'endettement des pays pauvres.

    «Les Institutions et les Organisations existantes ont bien travaillé à l'avantage des peuples. Toutefois, affrontant une période nouvelle et plus difficile de son développement authentique, l'humanité a besoin aujourd'hui d'un degré supérieur d'organisation à l'échelle internationale, au service des sociétés, des économies et des cultures du monde entier.   

     

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    Le peseur d'or et sa femme_Quentin_Massys_1514

    o     Centesimus Annus (encyclique du 1er mai 1991) : ne traite pas directement de la finance ni de l’inversion finance > entreprise> besoins des personnes, mais redonne des clés générales de l’économie valables entre autres pour l’activité financière- c’était vrai aussi de RN et de QA.

    «42. En revenant maintenant à la question initiale, peut-on dire que, après l'échec du communisme, le capitalisme est le système social qui l'emporte et que c'est vers lui que s'orientent les efforts des pays qui cherchent à reconstruire leur économie et leur société ? Est-ce ce modèle qu'il faut proposer aux pays du Tiers-Monde qui cherchent la voie du vrai progrès de leur économie et de leur société civile ?

    La réponse est évidemment complexe. Si sous le nom de « capitalisme » on désigne un système économique qui reconnaît le rôle fondamental et positif de l'entreprise, du marché, de la propriété privée et de la responsabilité qu'elle implique dans les moyens de production, de la libre créativité humaine dans le secteur économique, la réponse est sûrement positive, même s'il serait peut-être plus approprié de parler d'« économie d'entreprise », ou d'« économie de marché », ou simplement d'« économie libre ». Mais si par « capitalisme » on entend un système où la liberté dans le domaine économique n'est pas encadrée par un contexte juridique ferme qui la met au service de la liberté humaine intégrale et la considère comme une dimension particulière de cette dernière, dont l'axe est d'ordre éthique et religieux, alors la réponse est nettement négative.»

    «43. L'Eglise n'a pas de modèle à proposer. Les modèles véritables et réellement efficaces ne peuvent être conçus que dans le cadre des différentes situations historiques, par l'effort de tous les responsables qui font face aux problèmes concrets sous tous leurs aspects sociaux, économiques, politiques et culturels imbriqués les uns avec les autres . Face à ces responsabilités, l'Eglise présente, comme orientation intellectuelle indispensable, sa doctrine sociale qui — ainsi qu'il a été dit — reconnaît le caractère positif du marché et de l'entreprise, mais qui souligne en même temps la nécessité de leur orientation vers le bien commun. »

    o     Discours de Jean-Paul II le 11 septembre 1999 devant la Fondation Centesimus Annus pro Pontifice (fondation ayant vocation à travailler sur les questions économiques et financières soulevées par l’encyclique Centesimus Annus évoquée plus haut) :

    « 2. … au sein du phénomène en développement de la globalisation qui caractérise le moment historique actuel, un aspect essentiel et riche de conséquences est celui que l'on appelle la "financiérisation" de l'économie. Dans les relations économiques, les transactions financières ont déjà dépassé de beaucoup les transactions réelles, tant et si bien que le milieu de la finance a désormais acquis une autonomie propre.

    «Dans l'Encyclique Centesimus annus (n. 58), en traitant de la question de la "mondialisation de l'économie", j'ai attiré l'attention sur la nécessité de promouvoir "de bons organismes internationaux de contrôle et d'orientation, afin de guider l'économie elle-même vers le bien commun", en tenant également compte du fait que la liberté économique n'est que l'un des éléments de la liberté humaine. L'activité financière, selon ses propres caractéristiques, ne peut qu'être orientée au service du bien commun de la famille humaine.

    4. Il faut ensuite ajouter que les processus de globalisation des marchés et des communications ne possèdent pas en eux-mêmes une connotation éthiquement négative, et face à ceux-ci une attitude de condamnation sommaire et à priori n'est donc pas justifiée[2]. Toutefois, les choses qui, en principe, apparaissent comme des facteurs de progrès peuvent engendrer, et de fait produisent déjà, des conséquences ambivalentes ou franchement négatives, en particulier au détriment des plus pauvres.

    o     Saint Jean-Paul II et les structures de péché

    On mentionnera ici l’article « Finance et structures de péché » de Jacques Bichot dans «Pratiques financières, regards chrétiens», sous la direction de Paul Dembinski, DDB 2009. J. Bichot s’appuie sur l’encyclique Sollicitudo Rei Socialis de Jean-Paul II parue le 30 décembre 1987 en écho à Populorum Progressio de Paul VI (1967).  Dans cet article postérieur à la crise des subprimes et plus globalement la crise financière de 2008, il passe en revue de nombreux exemples concrets de produits opaques et de pratiques perverses qui constituent la trame de structures de péché bien réelles. L’auteur prend soin de toujours distinguer la chose, qui en soi n’est pas mauvaise ni bonne, et ceux qui l’emploient et l’orientent. La notion de «situation de péché» est présente dans l’exhortation apostolique Reconciliatio & Penitentia (1984) et devient «structure de péché » dans Sollicitudo. Le Compendium de la DSE (1985) reprend la notion de «structure de péché» dans son n° 332.

    Tout en rappelant que c’est toujours l’homme individuel qui est pécheur et non la société, un groupe ou une structure et encore moins un outil, Jean-Paul II met en évidence que certaines organisations, produits, réseaux, systèmes sont utilisés pour tromper et voler ou faire du mal d’une autre façon. Clairement les produits financiers ou plus globalement économiques qui sont conçus pour être difficiles à comprendre (même par des spécialistes), favoriser l’endettement excessif, la prise de risque excessive etc. sont des structures de péché.

    "Oeconomicae & Pecuniae Quaestiones": quoi de neuf?

    Les autoroutes du mal_Bichot & Lensel_ Presses de la Renaissance, 2001

    «SRS 36. … «Structures de péché». La somme des facteurs négatifs qui agissent à l'opposé d'une vraie conscience du bien commun universel et du devoir de le promouvoir, donne l'impression de créer, chez les personnes et dans les institutions, un obstacle très difficile à surmonter à première vue.

    «SRS 37. … Evidemment les individus ne sont pas seuls à être victimes de cette double attitude de péché; les nations et les blocs peuvent l'être aussi. Cela favorise encore plus l'introduction des «structures de péché» dont j'ai parlé. Si l'on considérait certaines formes modernes d'«impérialisme» à la lumière de ces critères moraux, on découvrirait que derrière certaines décisions, inspirées seulement, en apparence, par des motifs économiques ou politiques, se cachent de véritables formes d'idolâtrie de l'argent, de l'idéologie, de la classe, de la technologie.»

    La notion de «structure de péché» a donné ensuite naissance à celle de « péché structurel » (voir par exemple DEEC 2013, article de Mathias Nebel). Sans doute l’ambiguïté créée par ces notions nouvelles, pouvant laisser croire qu’un péché (et donc un salut…) peut être collectif et non strictement individuel et responsable, a contribué à réduire le succès de ce concept difficile à comprendre.

    Toujours est-il que Oeconomicae et Pecuniae Quaestiones n’en pipe mot. Il est seulement question en fin de document de «structures d’injustice» ; dans le §14, un exemple concret est cependant donné :

    «14… À cet égard, il convient de noter que, dans le monde économique et financier, il existe certaines conditions dans lesquelles certains de ces moyens, bien que non immédiatement inacceptables du point de vue éthique, constituent cependant des cas d’immoralité proche, c’est-à-dire des occasions très facilement propices aux abus et aux escroqueries, souvent au détriment de la partie moins avantagée. Par exemple, la commercialisation de certains instruments financiers, légitimes en soi, mais, dans une situation d’inégalité, en profitant de l’ignorance ou de la faiblesse contractuelle d’une des parties, constitue en soi une violation de la rectitude relationnelle et représente alors une atteinte grave au  plan éthique. »

     

    "Oeconomicae & Pecuniae Quaestiones": quoi de neuf?

                                 © Musée national de Varsovie : Marinus van Reymerswaele- Les collecteurs d’impôts

     

    2.4 Caritas in Veritate, lettre encyclique du 29 juin 2009 de Benoît XVI

    « 36. … En effet, l’économie et la finance, en tant qu’instruments, peuvent être mal utilisées quand celui qui les gère n’a comme point de référence que des intérêts égoïstes. Ainsi peut-on arriver à transformer des instruments bons en eux-mêmes en instruments nuisibles. Mais c’est la raison obscurcie de l’homme qui produit ces conséquences, non l’instrument lui-même. C’est pourquoi, ce n’est pas l’instrument qui doit être mis en cause mais l’homme, sa conscience morale et sa responsabilité personnelle et sociale.

    « 40. … le marché des capitaux [a] été fortement libéralisé et que les mentalités technologiques modernes [peuvent] conduire à penser qu’investir soit seulement un fait technique et non pas aussi humain et éthique.

    « … L’expérience de la microfinance elle aussi, qui s’enracine dans la réflexion et dans l’action de citoyens humanistes – je pense surtout à la création des Monts de Piété –, doit être renforcée et actualisée, surtout en ces temps où les problèmes financiers peuvent devenir dramatiques pour les couches les plus vulnérables de la population qu’il faut protéger contre les risques du prêt usuraire ou du désespoir. Il faut que les sujets les plus faibles apprennent à se défendre des pratiques usuraires, tout comme il faut que les peuples pauvres apprennent à tirer profit du microcrédit, décourageant de cette manière les formes d’exploitation possibles en ces deux domaines.

    2.5 François

    Les «anathèmes» de François contre la Finance dans Laudato ‘Si (lettre-encyclique du 24 mai 2015) sont trop récents pour qu’il soit besoin de les commenter. Ils  peuvent paraître parfois excessifs : mais excessif aussi est l’autisme des acteurs politiques, bancaires et financiers qui n’ont tiré aucune leçon concrète et pratique de la crise de 2008 (qualifiée par Stiglitz de «near-death experience, NDE : voir infra).

    «20… La technologie, liée aux secteurs financiers, qui prétend être l’unique solution aux  problèmes, de fait, est ordinairement incapable de voir le mystère des multiples relations qui existent entre les choses, et par conséquent, résout parfois un problème en en créant un autre.

    «54. La faiblesse de la réaction politique internationale est frappante. La soumission de la politique à la technologie et aux finances se révèle dans l’échec des Sommets mondiaux sur l’environnement. Il y a trop d’intérêts particuliers, et très facilement l’intérêt économique arrive à prévaloir sur le bien commun et à manipuler l’information pour ne pas voir affectés ses projets. En ce sens, le Document d’Aparecida réclame que « dans les interventions sur les ressources naturelles ne prédominent pas les intérêts des groupes économiques qui ravagent déraisonnablement les sources de la vie ».[32] L’alliance entre l’économie et la technologie finit par laisser de côté ce qui ne fait pas partie de leurs intérêts immédiats. Ainsi, on peut seulement s’attendre à quelques déclarations superficielles, quelques actions philanthropiques isolées, voire des efforts pour montrer une sensibilité envers l’environnement, quand, en réalité, toute tentative des organisations sociales pour modifier les choses sera vue comme une gêne provoquée par des utopistes romantiques ou comme un obstacle à contourner.

    «56. Pendant ce temps, les pouvoirs économiques continuent de justifier le système mondial actuel, où priment une spéculation et une recherche du revenu financier qui tendent à ignorer tout contexte, de même que les effets sur la dignité humaine et sur l’environnement. Ainsi, il devient manifeste que la dégradation de l’environnement comme la dégradation humaine et éthique sont intimement liées. Beaucoup diront qu’ils n’ont pas conscience de réaliser des actions immorales, parce que la distraction constante nous ôte le courage de nous rendre compte de la réalité d’un monde limité et fini. Voilà pourquoi aujourd’hui « tout ce qui est fragile, comme l’environnement, reste sans défense par rapport aux intérêts du marché divinisé, transformés en règle absolue ».

    «109. Le paradigme technocratique tend aussi à exercer son emprise sur l’économie et la politique. L’économie assume tout le développement technologique en fonction du profit, sans prêter attention à d’éventuelles conséquences négatives pour l’être humain. Les finances étouffent l’économie réelle. Les leçons de la crise financière mondiale n’ont pas été retenues, et on prend en compte les leçons de la détérioration de l’environnement avec beaucoup de lenteur.

    «189. La politique ne doit pas se soumettre à l’économie et celle-ci ne doit pas se soumettre aux diktats ni au paradigme d’efficacité de la technocratie. Aujourd’hui, en pensant au bien commun, nous avons impérieusement besoin que la politique et l’économie, en dialogue, se mettent résolument au service de la vie, spécialement de la vie humaine. Sauver les banques à tout prix, en en faisant payer le prix à la population, sans la ferme décision de revoir et de réformer le système dans son ensemble, réaffirme une emprise absolue des finances qui n’a pas d’avenir et qui pourra seulement générer de nouvelles crises après une longue, coûteuse et apparente guérison. La crise financière de 2007-2008 était une occasion pour le développement d’une nouvelle économie plus attentive aux principes éthiques, et pour une nouvelle régulation de l’activité financière spéculative et de la richesse fictive. Mais il n’y a pas eu de réaction qui aurait conduit à repenser les critères obsolètes qui continuent à régir le monde. La production n’est pas toujours rationnelle, et souvent elle est liée à des variables économiques qui fixent pour les produits une valeur qui ne correspond pas à leur valeur réelle. Cela conduit souvent à la surproduction de certaines marchandises, avec un impact inutile sur l’environnement qui, en même temps, porte préjudice à de nombreuses économies régionales.[133] La bulle financière est aussi, en général, une bulle productive. En définitive, n’est pas affrontée avec énergie la question de l’économie réelle, qui permet par exemple que la production se diversifie et s’améliore, que les entreprises fonctionnent bien, que les petites et moyennes entreprises se développent et créent des emplois.

    «203… ceux qui ont en réalité la liberté, ce sont ceux qui constituent la minorité en possession du pouvoir économique et financier.»

     

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    2.6 Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise (2005)

    Parmi les « Res novae oeconomicae », il pointe la mondialisation et au sein de celle-ci la finance internationale (§ 368-369) :

    b) Le système financier international

    «368 Les marchés financiers ne sont certes pas une nouveauté de notre époque: depuis longtemps déjà, sous diverses formes, ils se sont chargés de répondre à l'exigence de financer des activités productives. L'expérience historique atteste qu'en l'absence de systèmes financiers adéquats, aucune croissance économique n'aurait eu lieu. Les investissements à large échelle, typiques des économies modernes de marché, n'auraient pas été possibles sans le rôle fondamental d'intermédiaire joué par les marchés financiers, qui a permis notamment d'apprécier les fonctions positives de l'épargne pour le développement complexe du système économique et social. Si la création de ce que l'on a qualifié de « marché global des capitaux » a entraîné des effets bénéfiques, grâce à une plus grande mobilité des capitaux permettant aux activités productives d'avoir plus facilement des ressources disponibles, la mobilité accrue a par ailleurs fait augmenter aussi le risque de crises financières. Le développement de la finance, dont les transactions ont largement surpassé en volume les transactions réelles, risque de suivre une logique toujours plus auto-préférentielle, sans lien avec la base réelle de l'économie.

    «369 Une économie financière qui est une fin en soi est destinée à contredire ses finalités, car elle se prive de ses propres racines et de sa propre raison constitutive, et par là de son rôle originel et essentiel de service de l'économie réelle et, en définitive, de développement des personnes et des communautés humaines. Le cadre d'ensemble apparaît encore plus préoccupant à la lumière de la configuration fortement asymétrique qui caractérise le système financier international: les processus d'innovation et de déréglementation des marchés financiers tendent en effet à ne se consolider que dans certaines parties du globe. Ceci est une source de graves préoccupations de nature éthique, car les pays exclus de ces processus, bien que ne jouissant pas des bénéfices produits par ceux-ci, ne sont toutefois pas à l'abri d'éventuelles conséquences négatives de l'instabilité financière sur leurs systèmes économiques réels, surtout s'ils sont fragiles ou si leur développement est en retard.

    L'accélération imprévue de processus tels que l'énorme accroissement de la valeur des portefeuilles administrés par les institutions financières et la prolifération rapide de nouveaux instruments financiers sophistiqués rend on ne peut plus urgent de trouver des solutions institutionnelles capables de favoriser réellement la stabilité du système, sans en réduire les potentialités ni l'efficacité. Il est indispensable d'introduire un cadre normatif permettant de protéger cette stabilité dans la complexité de tous ses éléments, d'encourager la concurrence entre les intermédiaires et d'assurer la plus grande transparence au profit des investisseurs.

     

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    2.7 Conseil pontifical Justice et Paix, Note «Pour une réforme du système financier et monétaire international dans la perspective d’une autorité publique à compétence universelle», 24 octobre 2011

     

    «1. … Nombreuses sont les causes de la grave crise économique et financière que traverse le monde aujourd’hui, et les opinions sur la pluralité et le poids de ces causes sont très variées : certains soulignent comme étant au premier rang les erreurs inhérentes aux politiques économiques et financières, d’autres insistent sur les faiblesses structurelles des institutions politiques, économiques et financières, d’autres encore les attribuent à des fléchissements de nature éthique survenus à tous les niveaux, dans le cadre d’une économie mondiale toujours plus dominée par l’utilitarisme et le matérialisme. Dans les différentes phases de développement de la crise, on retrouve toujours une combinaison d’erreurs techniques et de responsabilités morales.

    «… A partir des années 90 du siècle dernier [XIXème], on constate que la monnaie et les titres de crédit au niveau mondial ont augmenté plus rapidement que la production des revenus, et ce également pour les prix courants. Ce qui a provoqué la formation de poches excessives de liquidité et de bulles spéculatives, transformées ensuite en une série de crises de solvabilité et de confiance qui se sont diffusées et suivies dans les années suivantes.

    «… La bulle spéculative sur les immeubles et la crise financière récente [2008] ont la même origine dans le montant excessif de monnaie et d’instruments financiers au niveau mondial.

    «… Les dangers d’une situation de développement économique conçu en termes libéraux ont déjà été dénoncés avec lucidité et de façon prophétique par Paul VI — en raison de leurs conséquences néfastes sur les équilibres mondiaux et sur la paix — dès 1967, après le Concile Vatican II, dans son encyclique Populorum progressio.

    « … Mais qu’est-ce qui a donc poussé le monde dans cette direction aussi problématique, pour la paix également ? Avant tout un libéralisme économique sans règles ni contrôles.

    « 3. Dans la Lettre encyclique prophétique Pacem in terris de 1963, [saint Jean XXIII] observait que le monde s’acheminait vers une plus grande unification. Il prenait donc acte du fait que, dans la communauté humaine, venait à manquer la correspondance entre l’organisation politique « sur le plan mondial et les exigences objectives du bien commun universel ». Aussi souhaitait-il que soit un jour créée « une Autorité publique mondiale ». … le but de l’Autorité publique est avant tout de servir le bien commun. Aussi doit-elle se doter de structures et de mécanismes adéquats, efficaces, c’est-à-dire qui soient à la hauteur de sa mission et des attentes dont elle est dépositaire.

    «… On lit dans Caritas in veritate : «La gouvernance de la mondialisation doit être de nature subsidiaire, articulée à de multiples niveaux et sur divers plans qui collaborent entre eux».

    « 4. … Le second facteur est la nécessité d’un corpus minimum, partagé, de règles nécessaires à la gestion du marché financier mondial, dont la croissance est celle de l’économie « réelle » du fait qu’il s’est développé rapidement en raison, d’une part, de l’abrogation généralisée des contrôles sur les mouvements de capitaux et de la tendance à la déréglementation des activités bancaires et financières, et d’autre part, des progrès de la technique financière, favorisés par les instruments informatiques.

    «… Sur le plan structurel, dans la dernière partie du siècle dernier, la monnaie et les activités financières au niveau mondial se sont développées bien plus rapidement que la production de biens et de services. Dans un tel contexte, la qualité du crédit a tendu à diminuer jusqu’à exposer les instituts à un risque plus grand que celui pouvant être raisonnablement supporté. Il suffit de considérer le sort connu par les petits et les grands instituts de crédit dans le contexte des crises qui se sont manifestées dans les années 80 et 90 du siècle dernier, et enfin dans la crise de 2008.

    «… Une attention spécifique devrait être réservée à la réforme du système monétaire international, et plus particulièrement à l’engagement de créer une forme de contrôle monétaire mondial quel qu’il soit, par ailleurs déjà implicite dans les Statuts du Fonds monétaire international. Il est clair que cela équivaut, dans une certaine mesure, à mettre en discussion le système des changes existants afin de trouver les modes efficaces de coordination et de supervision. C’est un processus qui doit aussi impliquer les pays émergents et en voie de développement, dans la définition des étapes d’une adaptation graduelle des instruments existants.

    « … Dans un tel processus, il est nécessaire de retrouver la primauté du spirituel et de l’éthique et, en même temps, de la politique — responsable du bien commun — sur l’économie et la finance. Celles-ci doivent, au vu de leurs responsabilités évidentes envers la société, être ramenées dans les limites de leur vocation et de leur fonction réelles, y compris celle sociale, afin de donner vie à des marchés et des institutions financières qui soient véritablement au service de la personne, c’est-à-dire capables de répondre aux exigences du bien commun et de la fraternité universelle, en transcendant toutes les formes de stagnation économique et de mercantilisme performatif.

    « Aussi, sur la base d’une telle approche de type éthique, il apparaît opportun de réfléchir, par exemple :

              sur des mesures de taxation des transactions financières, avec l’application de taux justes d’impôt, avec des charges proportionnées à la complexité des opérations, surtout de celles réalisées dans le marché « secondaire ». Une telle taxation serait très utile pour promouvoir le développement mondial et durable selon les principes de justice sociale et de solidarité, et elle pourrait contribuer à la constitution d’une réserve mondiale destinée à soutenir les économies des pays touchés par la crise, ainsi que la restauration de leur système monétaire et financier ;

              sur des formes de recapitalisation des banques avec aussi des fonds publics, en mettant comme condition à ce soutien un comportement «vertueux» et finalisé à développer l’économie « réelle » ;

              sur la définition du cadre de l’activité de crédit ordinaire et d’Investment Banking. Une telle distinction permettrait d’instaurer une discipline plus efficace des « marchés-ombre » privés de tout contrôle et de toute limite.

     Conclusions

    «… Il existe donc les conditions pour dépasser un ordre international «westphalien», dans lequel les Etats ressentent l’exigence de la coopération mais sans saisir l’occasion d’intégrer les souverainetés respectives pour le bien commun des peuples.

     

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    3. Quelques contributions émanant de la société civile

    3.1   Antoine de Salins et François Villeroy de Galhau, dans «Rome, Wall Street et nous», Etudes, 2009/12, tome 411, pp.583-594 , avaient en leur temps souligné le relatif silence sur la Finance de la toute récente (29/06/2009) encyclique Caritas in Veritate  de Benoît XVI, si riche par ailleurs sur les questions éthiques et économiques sous l’angle de la mondialisation, au lendemain de la crise de 2008. Ils y discernaient malgré tout cinq interpellations fortes et une invitation aux professionnels à approfondir leur éthique personnelle. Cette relative discrétion était rapprochée de la vigoureuse et précise réaction de Pie XI dans Quadragesimo Anno, deux ans après la crise de 1929. Le § 65 de CinV est néanmoins entièrement consacré à la finance. Benoît XVI précise en préambule (comme l’avait fait Jean-Paul II) que L’Eglise n’a pas de solution technique à offrir et que ce n’est pas son rôle (§ 9). Le Compendium de la DSE (§ 368-369) était plus pressant sur les questions financières. L’article de Salins et Galhau préconisait trois principes pour les financiers : responsabilité, humilité, justice, ainsi que des dispositions concrètes concernant la rémunération.

     

    3.2 Le comité éditorial de la revue «Finance & Bien Commun» (1998-2011, à raison de trois numéros par an ; émanation de l’Observatoire de la Finance http://www.obsfin.ch/fr/) était  convaincu que les activités et professions de la finance ne peuvent s’acquitter de leur fonction d’intermédiaire de manière bénéfique pour tous que si elles tiennent compte, dans leurs décisions opérationnelles et dans leurs activités de formation, des considérations éthiques, et plus largement de la contribution de ces décisions au bien commun. La revue abordait la question selon quatre axes:

    Ø  Le premier axe concerne la place changeante de la finance dans l’architecture politique des sociétés, mais aussi du monde dans sa globalité. Il s’agit ici de tenir compte à la fois de l’exigence d’un «ordre mondial » enraciné dans des normes communes lui assurant un minimum de cohérence, de stabilité, et de la variété des cultures, normes et institutions .

    Ø  Le deuxième axe s’articule autour de la manière dont les théoriciens et les techniciens pensent la finance et voient son rôle.

    Ø   Le troisième axe concerne l’exercice de l’éthique dans un monde globalisé mais pluriel. Il s’agit d’éclairer l’interaction entre les normes, les impératifs moraux, les systèmes de valeurs et les spiritualités, qui visent au développement de la personne et à une répartition équitable des fruits du progrès.

    Ø  Le quatrième axe concerne l’apport de la finance aux autres activités de production et d’échange et son impact sur le bien commun. Il s’agit notamment des solutions et innovations institutionnelles parfois qualifiées de «finance éthique» (ou «finance solidaire»).

    Voir également le « Manifeste pour une Finance au service du Bien commun », n°30 de la revue, 2008/1, pp.13 à 17, émis par l’Observatoire de la Finance (Genève).

    Parmi les contributeurs à cette revue, mentionnons l’actuaire Christian Walter et son approche pour le moins moralement désabusée des errements des opérateurs financiers, à travers une vision très mathématique des marchés financiers (mouvement brownien, marche au hasard, fractals…)

     

    3.3 On mentionnera bien sûr les travaux, inscrits dans la durée, du Centre de Recherche en Ethique Economique et des Affaires et Déontologie Professionnelle fondé et longtemps dirigé par le  Pr. Jean-Yves Naudet à Aix ; en particulier les actes des colloques du Centre d’Ethique Economique de l’Université d’Aix-Marseille concernant la Finance, notamment :

    -              Ethique financière, 1999

    -              Mondialisation et éthique des échanges, 2002

    -              La corruption, 2004

    -              Ethique et économie de marché, 2010

    -              Propos d’éthique économique, (la question des superprofits, la corruption, les placements «éthiques», notamment)

     

    (voir l’intégralité des publications dans  https://www.lgdj.fr/auteurs/centre-de-recherches-en-ethique-economique-et-des-affaires-et-deontologie-professionnelle.html   et   https://presses-universitaires.univ-amu.fr/catalogue?f%5B0%5D=field_editeur%3A6&f%5B1%5D=field_collection%3A145   )

    3.4 La conscience croissante par les acteurs eux-mêmes des dysfonctionnements du système financier mondialisé

    3.4.1 Jean-François Lepetit, dans «Dysfonctionnements des marchés financiers», Economica 2014, aborde quant à lui la question sous les angles suivants :

    Ø  La spéculation

    Ø  Les dogmes comptables (IFRS, US GAAP) : efficience du marché – fair value-  le marché a toujours un prix- la norme comptable est universelle- la circulation libre de l’information utile

    Ø  Le court-termisme

    Ø  La titrisation

    Ø  La régulation des marchés

    Ø  La financiarisation du marché des matières premières

    Ø  Les gestionnaires de capitaux

    Ø  L’analyse rétrospective des crises de 1929 (crise américaine étendue au reste du monde), 2008 (particularité de la dette privée) et 2011 (dettes gouvernementales européennes et système bancaire européen).

    Ø  Les éléments systémiques : le marché n’est pas efficient- les banques sous-estiment les risques (crédit, marché, repos) [et parient sur leur impunité] – les régulateurs sont myopes et trop confiants- un shadow banking systématique.

     

    3.4.2 Le passage de la finance internationale à la création d'Ethifinance (https://www.ethifinance.com/)  par Emmanuel de La Ville relève exactement de la même logique.

    3.4.3 Le mouvement de l’Investissement socialement responsable (ISR) et de la Finance éthique

    Par exemple :

    Ø  «L’ISR, vers une nouvelle éthique», Michèle Bernard-Royer, Arnaud Franel Editions, 2009

    Ø  «L’ISR, valeur financière- valeur éthique ?» Franca Perin et Françoise Quairel-Lanoizelée, Economica, 2012

    Ø  «ISR et finance responsable», collectif, Nicolas Mottis, Ellipses, 2014

    Ø  Ethique & Investissement de sœur Reille et ses continuatrices

    Ø  etc.

     

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    ©  BPK Berlin : Marinus_van_Reymerswaele_Le changeur et sa femme

     

    4.         Les économistes contemporains contempteurs de la mondialisation débridée et de la financiarisation de l’économie

     

    On se contentera ici de citer Joseph E. Stiglitz, ancien conseiller de Clinton, membre éminent du FMI etc. qui a finalement pris conscience du dérèglement mondial de l’économie et de la finance, notamment du fait du libéralisme sauvage imposé par les Etats-Unis et accepté par les élites, et de l’exclusion de la morale de la sphère économique et encore davantage financière. On peut presque parler d’un «pape de l’économie raisonnée» : «La grande désillusion» Fayard Livre de Poche, 2002, «Quand le capitalisme perd la tête» Fayard, 2003, «Un autre monde, contre le fanatisme du marché» Fayard Livre de Poche, 2006, «Le triomphe de la cupidité», Actes Sud, Babel, Les liens qui libèrent, 2010. Etc. Dans La grande désillusion il qualifie la crise de 2008 de « Near Death Experience, NDE ».

     

    Il présente le profil assez répandu, mais cependant rare à ce niveau, des acteurs du capitalisme financiarisé frénétique qui ont pris conscience de la folie du système qu’ils nourrissaient de leur intelligence. Gaël Giraud sj, Henri Quinson ont ce genre de profil. Dans un autre domaine, Cathy O’Neil, auteur de «Weapons of Math Destruction: How Big Data Increases Inequality and Threatens Democracy» (Crown Publishing Group/Penguin Random House, 2016) ; mathématicienne de haut vol, elle a contribué activement à la mise au point des techniques algorithmiques dans différents domaines de la finance et de l’économie avant de réaliser la perversité de la plupart des utilisations qui en sont faites (ciblant les plus faibles et les moins instruits). Emmanuel de La Ville, fondateur d' Ethifinance  déjà cité, est dans la même catégorie.

     

    Stiglitz (et d’autres que nous ne citons pas ici) ne dit pas autre chose que le Vatican, la morale catholique et la DSE en moins.

     

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                                                                © Musée Vivant Denon_ Chalôn sur Saône_Mercure ailé

     

     

    5.       Alors, quoi de neuf ?

    5.1 On n’attend pas de Rome des nouveautés, mais :

    - un approfondissement et un éclaircissement croissant de la doctrine immuable,

    - et la prise en considération des problèmes toujours nouveaux que rencontre ou fabrique l’humanité.

    Selon Benoît XVI : «La doctrine sociale de l’Église éclaire d’une lumière qui ne change pas les problèmes toujours nouveaux qui surgissent.» (encyclique Caritas in veritate, n° 12).

    Le document conjoint de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et du Dicastère pour le Développement Humain Intégral répond à une demande insistante et réitérée (voir par exemple l’article de Salins et Villeroy de Galhau 2009). C’est donc qu’il y avait une lacune à combler ou une attente à satisfaire.

    Ce document de rang inférieur aux encycliques, donc plus «technique», peut enfin apporter des éléments détaillés sur les questions financières et leurs enjeux éthiques ou spirituels, tels que les voit le Magistère authentique.

    Comme on a pu le constater en « révisant » les textes du Magistère qui touchent à la Finance, Oe&Pec Quae fait preuve d’une grande continuité quant aux constats généraux et aux principes.

    5.2  Des esprits chagrins se borneront à constater que le Vatican ne fait qu’emboîter le pas d’un certain nombre de sentinelles morales et économiques, de Jeremy Rifkin[3] à Maurice Allais[4] en passant par Amartya Sen[5], Joseph Stiglitz[6], Gaël Giraud sj[7], Stephen Green[8], Paul Dembinski[9], Jean-François Lepetit[10] ou encore sœur Cécile Renouard[11], Jean-Philippe Larramendy[12] , John Kay[13], David Rothkopf[14], François Mabille [15] ou… Pierre de Lauzun[16]. Sans oublier les nombreux colloques, notamment ceux organisés par le CREEADP (Centre de Recherche Ethique Economique et des Affaires et Déontologie Professionnelle) de l’Université d’Aix en Provence…

    Mais, au moins pour les catholiques, la même chose dite par le Vatican et par un économiste ou un moraliste ou un banquier, quelque éminent et probe qu’il soit, n’a pas la même valeur. Voilà la première nouveauté réelle. Et de toute manière des redites sont d’autant moins gênantes et d’autant plus utiles que visiblement les acteurs politiques, bancaires et financiers de la crise de 2008 n’en ont absolument tiré aucune leçon.

     

    5.3          Une autre nouveauté réside dans le vocabulaire utilisé, du moins dans la version française. le Vatican, pourtant dépositaire d’une langue vivante universelle qui est le latin, passe sous les fourches caudines technico-mondialistes du jargon anglo-financier (De Gaulle aurait parlé de «Volapük intégré») : securitizations, over the counter, fixing, compliance, borderline, beyond the pale, sans compter les doubles traductions : quality control, business school, shareholders… Un peu comme si dans un document sur les mirages redoutables du mythe du progrès technique, le Vatican se mettait soudain à parler de joints toriques, d’accumulateurs oléo-pneumatiques, d’équations de Navier-Stockes en régime instationnaire ou de beurrage inox des tuyauteries nucléaires. Mais que celui qui n’a jamais eu la paresse d’employer un mot anglais alors que le français était à tout prêt à l’emploi, leur jette le premier bitcoin. Dommage cependant que le Parvum Verborum Novatorum Lexicum (http://www.vatican.va/roman_curia/institutions_connected/latinitas/documents/rc_latinitas_20040601_lexicon_it.html ) entretenu avec soin par Rome n’ait pas été enrichi pour l’occasion des néo-latinismes correspondant à On y trouve bien « fusée », « avion à réaction », « sms » etc. Cela dit un des problèmes pointés par le texte du Vatican et par d’autres est précisément l’obscurité pour les profanes et même les spécialistes des instruments financiers sophistiqués et la dissymétrie acheteur/vendeur sur les produits financiers, au détriment de l’acheteur.

    5.4 Des propositions aussi concrètes que possible

    Moyennant un rappel des fondamentaux de la Doctrine sociale de l’Eglise catholique, le document fournit pas moins de 10 (dix) propositions plus ou moins concrètes :

    *      «14 …il est demandé le dépassement du principe traditionnel de caveat emptor. Ce principe, selon lequel il incombe avant tout à l’acheteur de vérifier la qualité du bien acquis, présuppose, en réalité, une parité des contractants quant à leur capacité à défendre leurs intérêts. Or de fait, cette situation n’existe pas, soit en raison de la relation hiérarchique évidente qui s’instaure dans certains types de contrats (par exemple, entre prêteur et emprunteur), soit à cause de la structuration complexe de nombreuses opérations financières.» [Dissymétrie vendeur/acheteur qu’on retrouve dans les problématiques d’intelligence artificielle et de mégadonnées.]»

    *      « 19 … introduire une homologation par les autorités publiques de tous les produits issus de l’innovation financière, afin de préserver la santé du système et de prévenir les effets collatéraux négatifs. Encourager la santé et éviter la corruption, même d’un point de vue économique, est un impératif moral incontournable pour tous les acteurs impliqués dans les marchés. Cette nécessité montre également l’urgence d’une coordination supranationale entre les différentes composantes des systèmes financiers locaux.»

    *      « 21…les pouvoirs politiques, économiques et financiers doivent toujours rester distincts et autonomes et, en même temps, viser au-delà de toute confusion nocive, la réalisation d’un bien destiné à tous sans être réservé à quelques privilégiés. »

    *      « 21… les marchés ont besoin de directives solides et fortes, macro-prudentielles aussi bien que normatives, qui soient uniformes et partagées par le grand nombre. Ces règles doivent aussi être continuellement mises à jour, vu la réalité même des marchés constamment en évolution. Ces orientations doivent garantir un contrôle sérieux de la fiabilité et de la qualité de tous les produits économiques et financiers, en particulier les plus complexes. Lorsque la rapidité des processus d’innovation produit des risques systémiques excessifs, les opérateurs économiques doivent accepter les contraintes et les freins exigés par le bien commun, sans tenter de les contourner ou d’en réduire la portée. »

    *      « 21… Étant donné la globalisation actuelle du système financier, une coordination stable, claire et efficace s’impose entre les différentes autorités nationales de régulation des marchés, avec la possibilité, et parfois aussi la nécessité, de partager en temps opportun les décisions contraignantes, quand le bien commun est en danger. Ces autorités de régulation doivent toujours rester indépendantes et liées aux exigences de l’équité et du bien commun. À cet égard, les difficultés compréhensibles ne devraient pas décourager de la recherche et de la mise en œuvre de tels systèmes de réglementation. Ceux-ci doivent être l’objet d’accords entre les différents pays, mais à portée effective supranationale. »

    *      « 21… Les règles doivent assurer une transparence totale de ce qui est négocié afin d’éliminer toutes les formes de déséquilibre injuste et garantir au mieux l’équilibre des échanges. Cela est d’autant plus vrai que la concentration inégale d’informations et de pouvoir tend à renforcer les entités économiques les plus fortes, créant ainsi des hégémonies capables d’influencer unilatéralement non seulement les marchés, mais aussi les systèmes politiques et réglementaires. Entre autres, là où a lieu une forte dérégulation, il devient évident que les espaces de vide juridique et institutionnel représentent des terrains propices non seulement à « l’aléa moral » et aux malversations, mais aussi à l’émergence d’exubérances irrationnelles des marchés – suivies de bulles spéculatives, puis de brusques et ruineux effondrements – et de crises du système. »

    *      « 22. Pour éviter les crises du système, il serait opportun de définir et de distinguer clairement, pour les intermédiaires de crédit bancaire, la sphère de l’activité de la gestion du crédit ordinaire et des épargnes, de ce qui est destiné à l’investissement et au pur business . Tout cela permettra d’éviter autant que possible des situations d’instabilité financière. »

    *      « 24… une proposition intéressante pour progresser et qui est à expérimenter, semble être celle relative à la création de comités d’éthique, au sein des banques, pour épauler le Conseil d’administration. Tout cela peut aider les banques non seulement à préserver leurs bilans des conséquences douloureuses et des pertes, pour une cohérence efficace entre leur mission statutaire et la pratique financière, mais aussi pour soutenir adéquatement l’économie réelle. »

    *      [à propos de la finance offshore] : « 31… il importe avant tout de pratiquer à tous les niveaux la transparence financière (par exemple avec l’obligation de rapport public pour les entreprises multinationales, de leurs activités respectives et des taxes payées dans les pays où elles opèrent à travers leurs filiales) ; en outre, envisager des sanctions incisives à imposer aux pays qui réitèrent les pratiques malhonnêtes ci-dessus mentionnées (évasion et contournement fiscal, recyclage de l’argent sale). »

    *      « 33… Il faut s’orienter vers le choix des biens résultant d’un processus moralement honnête, car même par le geste, apparemment anodin, de la consommation, nous exprimons une éthique en acte et nous sommes appelés à prendre position face à ce qui est concrètement bon ou nuisible pour l’homme. À ce propos, quelqu’un a parlé du « vote avec son portefeuille » : il s’agit effectivement de voter chaque jour, au marché, pour ce qui aide notre bien réel à tous et de rejeter ce qui lui nuit.

    *      Ces mêmes considérations devraient aussi s’appliquer à la gestion des épargnes personnelles, en les orientant par exemple vers des entreprises qui fonctionnent selon des critères clairs, inspirés d’une éthique respectueuse de tout l’homme et de tous les hommes, sur l’horizon de la responsabilité sociale. Plus généralement, chacun est appelé à cultiver des pratiques de production de la richesse qui soient en accord avec notre caractère relationnel et qui tendent vers le développement intégral de la personne. »

     

    5. 5 Des avancées donc, mais aussi des disparitions ou, semble-t-il, des lacunes:

    -      les structures de péché (concept mis au point par saint Jean-Paul II, certes délicat à manipuler mais – étant sauf le respect dû à ce pontife  - pas dénué de pertinence)

    -      les dangers gravissimes du surendettement des Etats et de leur dépendance de la finance cosmopolite dont la seule patrie est l’argent (l’endettement excessif des «pays développés» notamment la France mais l’endettement contre nature des Etats-Unis (dollar) – le fardeau de la dette dans les autres pays.)

    -      la proposition de Justice et Paix d’une autorité financière et monétaire mondiale publique

    -      la question des contrats de prêts, pour ne pas dire la question de l’usure, sur laquelle l’Eglise catholique fut longtemps (jusqu’à la fin du XIXème siècle) le dernier rempart contre l’esprit de lucre

    - comme l’indiquait un des deux membres de l’AEC mentionnés au début de l’article, les avantages des contrats de société par rapport au simple prêt avec intérêt pourraient être davantage soulignés. Benoît XIV l’a fait dès 1745, et l’ISR (investissement socialement responsable, où le détenteur de capitaux entre au conseil d’administration de l’entreprise qui lève des fonds) va nettement en ce sens.

    Peut-être d’autres questions traitées par le Magistère antérieurement et que nous n’aurions pas relevées.

    Pour conclure ce paragraphe on notera que le document du Dicastère, comme la plupart des textes étudiés (sauf les enseignements pontificaux qui sont précis sur ce point), traite le système financier comme s’il s’était créé ex-nihilo, moyennant quelques lois fondamentales comme l’offre et la demande, quelques optimums et ajustements automatiques dans le cadre général fixé par un minimum de règles et de lois évitant que le libéralisme ne tourne au totalitarisme. Or, il n’en est rien : les systèmes financiers nationaux et mondial, les produits et mécanismes financiers ont été organisé et conçus par des hommes, coopérant entre eux dans des sociétés plus ou moins transparentes et poursuivant des buts qui ne sont pas ceux du bien commun mais des intérêts particuliers ; animés au quotidien par des hommes, certains conscients de qui ils servent réellement et d’autres utilisés à leur insu. Autrement dit le document traite des effets mais pas des causes, c’est-à-dire la collusion entre les puissances (argent, politique, médias, industries et autres agents économiques) et de la confusion des rôles. Georges Soros, les grandes banques privées européennes puis mondiales, les accointances entre ces banques et les gouvernements, leur mainmise sur les industries et économies nationales, la dépendance totale de la grande presse aux puissances d’argent, etc. sont des réalités sans lesquelles le système financier mondial et ses perversités n’existerait pas. Ces réalités et ces hommes sont hostiles à l’Eglise catholique, les efforts faits en 1968 (de l’aveu même de L’Osservatore Romano et d’Il Tempo) pour empêcher la parution d’Humanae Vitae le montrent (d’énormes enjeux financiers dans l’industrie pharmaceutiques viennent soutenir des idéologies mortifères).

     

    "Oeconomicae & Pecuniae Quaestiones": quoi de neuf?

    New-York- cathédrale Saint Patrick et immeubles d’affaires



    [1]  «Croissance inclusive et réformes financières: émergences globales et recherche du bien commun», Académie Centesimus Annus pro Pontifice, http://www.centesimusannus.org/en/publications/inclusive-growth-and-financial-reforms-global-emeregencies-and-the-search-of-the-common-good-2/ Agir pour le bien commun/Les flux de réfugiés : une urgence impérieuse/Les réfugiés et demandeurs d’asile : des hommes et des femmes comme nous/Les thématiques prioritaires du Saint-Siège dans les organisations internationales (rappel des principaux enjeux humains, environnementaux et sociétaux et rappel des principes de la DSE)/Des alliances pour le changement dans des temps de menaces globales (sur la DSE)/Orienter l’économie vers la croissance inclusive : une vision renouvelée de la personne, de la société, de l’économie et du développement ; inclure les exclus ; nécessité de rencontres personnelles avec les exclus/PME, innovation, lutte contre les contrefaçons/Croissance économique et consommation compulsive ; approche par les vertus et par la psychologie cognitive/Fonds de solidarité volontaire : une réponse morale aux inégalités de revenus/Ce que dit la DSE sur la Finance et le Bien commun/Les réformes de la Finance sont-elles réellement suivies d’effet ?/ Une reconstruction éthique conduite de l’intérieur : est-ce en cours ?

    Pour mémoire: la croissance économique est inclusive «lorsqu’elle crée des opportunités pour tous les segments de la population et lorsque les bénéfices de la croissance, à la fois économiques et non-économiques sont redistribués de manière équitable au sein de la société». (Définition OCDE).

    [2] Cf. Sertillanges op dans « Socialisme et christianisme », Lecoffre 1907 : « « Il est certain que l’Eglise semble se taire aujourd’hui sur cette question [de l’usure], qui souleva jadis tant de poussière, mais ce n’est point qu’elle ait changé d’esprit, c’est que la complexité croissante des affaires a fait passer le problème de sa forme élémentaire à des formes tellement compliquées que les hommes religieux ne peuvent plus résoudre d’eux-mêmes… Demander à l’Eglise de lancer aujourd’hui contre le capitalisme une condamnation sommaire, ce serait lui demander de vouloir arracher à la fois l’ivraie et le bon grain, d’arrêter le mouvement des affaires, de s’opposer à cette foule d’entreprises dont ne profite pas moins le travailleur (sic) que celui qui possède l’outil universel, l’argent». En effet, une des affirmations fondamentales du capitalisme est le droit absolu de l’argent à produire intérêt.

    [3] Rifkin : «Une nouvelle conscience pour un monde en crise : Vers une civilisation de l'empathie»,Les liens qui libèrent, 2011

    [4] Allais : notamment «La crise mondiale d'aujourd'hui : pour de profondes réformes des institutions financières et monétaires», C. Juglar,  1999 et  «La mondialisation : la destruction des emplois et de la croissance : l'évidence empirique»,  C. Juglar, 1999

    [5] Sen : notamment «L'économie est une science morale», La Découverte, 2004 et «Éthique et économie», PUF, 2012

    [6] Stiglitz : « Le triomphe de la cupidité », Les liens qui libèrent, 2010

    [7] Giraud sj : avec Cécile Renouard aa «20 propositions pour réformer le capitalisme», Flammarion, Champs, Essais 2009 et 2012 et «L’illusion financière, pourquoi les chrétiens ne peuvent pas se taire», Editions de l’Atelier, 2012. Avec J-P Jouyet (alors président de l’AMF), Conférences de carême, 2012 : «La Finance est-elle éthique ?»

    [8] Green (chairman HSBC) : «Good Value, Reflections on Money, Morality and an Uncertain World», Financial Times, 2010

    [9] Dembinski  (Observatoire de la finance, Genève) et alii (dont Bichot) :  Pratiques financières, regards chrétiens, DDB, 2009

    [10] Lepetit : «Dysfonctionnements des Marchés Financiers», Economica, 2014

    [11] Renouard aa : avec Gaël Giraud sj  «20 propositions pour réformer le capitalisme», Flammarion, Champs, Essais 2009 et 2012 », et  «Ethique et entreprise, pourquoi les chrétiens ne peuvent pas se taire», Editions de l’Atelier, 2013

    [12] Larramendy : «Tu ne convoiteras pas, du rôle de la cupidité dans la crise actuelle», Bayard, 2013

    [13] Kay : «Other People’s Money, the Real Business of Finance», Profile Books Ltd, 2015

    [14] Rothkopf : «Superclass, The Global Power Elite and The World they Are Making», Farrar Straus Giroux, New York 2008

    [15] Mabille : « Finance et Bien commun », collectif, Le Manuscrit, 2009

    [16] de Lauzun : par exemple «Finance, un regard chrétien», Embrasures, 2013.

    « Retraites : comment réformer la réversion ? par Jacques Bichot"Économie politique contemporaine" (5e édition), par Jean-Didier Lecaillon et Jean-Marie Lepage »
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  • Commentaires

    1
    LBY13
    Dimanche 29 Juillet 2018 à 22:29

    many thanks indeed. Happy to know you found some interest in those insights.

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