• Jean-Yves Naudet : Caritas in veritate - Le défi lancé aux économistes

    Réflexions sur l’encyclique « Caritas in Veritate » : le défi lancé aux économistes.

    Article (à télécharger en version pdf) publié dans l’Osservatore Romano, Edition en langue française, N° 29 du 21 juillet 2009. 

    L’encyclique Caritas in veritate ouvre de formidables pistes de réflexions à tous les chrétiens comme « à tous les hommes de bonne volonté », puisque, selon la grande tradition de la doctrine sociale de l’Eglise, elle joue sur les registres de la foi comme sur ceux de la raison. Les économistes doivent se sentir particulièrement interpellés et le pape leur offre un véritable « programme de recherche » pour les années à venir. Sans aucun souci d’exhaustivité, voici quelques points forts, qu’il leur faudra, à la demande du Saint-Père, approfondir dans leurs prochains travaux:

    Jean-Yves Naudet : Caritas in veritate - Le défi lancé aux économistes

     

     

     

    - le débat charité/justice, déjà entamé dans Deus caritas est : « toute société élabore un système propre de justice. La charité dépasse la justice, parce qu’aimer c’est donner, offrir du mien à l’autre ; mais elle n’existe jamais sans la justice qui amène à donner à l’autre ce qui est sien, c'est-à-dire ce qui lui revient en raison de son être et de son agir. Je ne peux pas « donner » à l’autre du mien, sans lui avoir donné tout d’abord ce qui lui revient selon la justice » (...) « La charité exige la justice (…) La charité dépasse la justice » : tout un programme à l’heure de la solidarité, de l’Etat providence, du don, de la gratuité, de l’obligatoire et du volontaire.

    - le bien commun, sujet si classique et pourtant renouvelé « c’est le bien du « nous tous », constitué d’individus, de famille, et de groupes intermédiaires qui forment une communauté sociale. Ce n’est pas un bien recherché pour lui-même, mais pour les personnes qui font partie de la communauté sociale, et qui, en elle seule, peuvent arriver réellement et plus efficacement à leur bien » (§7). On est loin de la raison d’Etat et le but du bien commun, c’est l’épanouissement des personnes.

    - la mondialisation, sujet au cœur de l’actualité : « Le risque de notre époque réside dans le fait qu’à l’interdépendance déjà réelle entre les hommes et les peuples, ne corresponde pas l’interaction éthique des consciences et des intelligences dont le fruit devrait être l’émergence d’un développement vraiment humain » (§9) : la mondialisation ne doit pas être seulement économique. Et elle pose des problèmes « d’affaiblissement des réseaux de protection sociale » (§25).

    - dans le même esprit, Benoît XVI relance la réflexion de Paul VI (Populorum progressio) sur les liens nécessaires entre « un développement intégral de l’homme » et « le développement solidaire de l’humanité » : le développement concerne l’homme tout entier, pas seulement « le pain », puisque « l’homme ne vit pas seulement de pain ».

    - la parfaite continuité de la doctrine sociale : « Il n’y a pas deux typologies différentes de doctrine sociale, l’une préconciliaire et l’autre postconciliaire, mais un unique enseignement cohérent et un même temps toujours nouveau » (§12) : on retrouve une idée de Rerum novarum : les mêmes principes face aux choses nouvelles.

    - la critique de « l’idéologie technocratique » (§14) : cette idée –fausse- que seule la technique compte dans le développement se retrouve du marxisme à l’utilitarisme.

    - le lien indissociable entre développement et liberté : « Le développement humain intégral suppose la liberté responsable de la personne et des peuples : aucune structure ne peut garantir ce développement en dehors et au-dessus de la responsabilité humaine » (§17) « Le développement ne peut être intégralement humain que s’il est libre ; seul un régime de liberté responsable lui permet de se développer de façon juste ». Il y a donc une réflexion à mener sur le bon usage de la liberté et sur le lien liberté-vérité.

    - « Le profit est utile si, en tant que moyen, il est orienté vers un but qui lui donne un sens relatif aussi bien à la façon de la créer que de l’utiliser » (§21): oui au profit, pas à n’importe quel prix, ni pour n’importe quoi.

    - la réflexion sur le nouveau rôle des Etats dans un contexte de mondialisation : « Ce nouveau contexte a modifié le pouvoir politique des Etats » (§24).

    - « A la liste des domaines où se manifestent les effets pernicieux du péché, s’est ajouté depuis longtemps déjà celui de l’économie » (§34) : on pense aux « structures de péché » selon Jean-Paul II.

    - Benoit XVI redit oui au marché « instrument économique qui permet aux personnes de se rencontrer, en tant qu’agents économiques, utilisant le contrat pour régler leur relations » (§35), mais il n’y a pas de marché sans justice, sans solidarité, sans confiance. Cependant, « ce n’est pas l’instrument qui doit être mis en cause mais l’homme, sa conscience morale et sa responsabilité personnelle et sociale « (§36).

    - réflexions fondamentale aussi sur « un système impliquant trois sujets : le marché, l’Etat et la société civile » (§38), avec la place du contrat, des lois justes, de l’esprit du don : c’est le cœur de l’équilibre à trouver dans nos sociétés.

    - on notera des interrogations très fortes sur le rôle de l’entrepreneur dans les grandes sociétés, mais aussi, ce qui est beaucoup plus novateur, le fait qu’aujourd’hui « l’entrepreneuriat doit être compris de façon diversifiée (.. .) : il est bon qu’à tout travailleur soit offerte la possibilité d’apporter sa contribution propre de sorte que lui-même sache travailler à son compte » (§41). Comme le disait Paul VI, « tout travailleur est un créateur » : nous devons donc tous pouvoir devenir comme des entrepreneurs.

    - enfin, rappel essentiel : « pour fonctionner correctement, l’économie a besoin de l’éthique » (§ 45), mais pas d’une fausse éthique dont on abuse aujourd’hui comme argument de marketing : l’éthique ne peut être « un étiquetage extérieur ».

    Caritas in veritate comprend encore de très nombreux domaines de réflexions, mais les économistes-et les autres, doivent remercier Benoît XVI pour leur avoir offert, en posant les vraies questions, en ouvrant des pistes de réponses, un merveilleux cadeau : un vrai programme du recherche pour rendre l’économie plus humaine, grâce à une authentique éthique naturelle et chrétienne.

    Jean-Yves Naudet Professeur à l’Université Paul Cézanne (Aix-Marseille III) Président de l’Association des économistes catholiques Vice-président de l’Association internationale pour l’enseignement social chrétien

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