• "La gouvernance des retraites sera-t-elle politique ou technique ?", par Jacques Bichot

    Article rédigé le 5 mars 2020 par Jacques Bichot et publié le 9 mars 2020 sur Économie-Matin. Télécharger la version Pdf.

    Une note détaillée de l’Institut Montaigne s’interroge, comme l’avait fait le COR (Conseil d’Orientation des retraites), sur les mesures à prendre pour assurer l’équilibre à moyen terme du système unique de retraites par répartition que les pouvoirs publics français essayent laborieusement de mettre en place. Cette note penche en faveur d’un « accroissement de l’âge de départ à la retraite ».

    Mais il existe un problème, que la note n’ignore pas : au pays de la Liberté, il serait mal venu de fixer autoritairement un âge rigide, quel qu’il soit. Il existe des paramètres de commande, et la modification de leurs valeurs amène les travailleurs à réfléchir, et notamment à poser la question : si je liquide mes droits à tel âge, aurai-je (ou aurons-nous, c’est souvent un couple qui se pose la question) suffisamment de ressources pour vivre correctement ?

    Les trois principaux paramètres de gestion

    Le calcul de la pension dépend de la valeur de plusieurs paramètres. Dans un système par points, comme le sera le régime unique (l’adjectif « universel » est inapproprié : l’Hexagone n’est pas la Planète !) il y a trois paramètres de commande : l’âge pivot, la valeur de service du point, et le coefficient par lequel est multiplié cette valeur de service selon la différence entre l’âge de l’assuré social à la liquidation de sa pension et l’âge pivot. Question : qui fixe la valeur de ces trois paramètres. Autrement dit, qui pilote le bateau Retraites ?

    La gouvernance doit-elle être politique ou technique ?

    Le réflexe de nombreux Français, habitués à ce que l’Etat décide à leur place, est de songer à une gouvernance politique, et même triplement politique, c’est-à-dire associant le Gouvernement, le Parlement et les partenaires sociaux. A mon avis, cette solution créerait plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait. Le Parlement est un panier de crabes, le gouvernement est composé bien souvent d’étoiles filantes qui changent d’affectation avant d’avoir appris les ficelles du métier, et les partenaires sociaux, même cornaqués par de bons techniciens, comme c’est le cas à l’AGIRC-ARRCO, font traîner les prises de décision et dénaturent toujours quelque peu ce que proposent les techniciens, si bien que l’on fait finalement une partie seulement du nécessaire, plus tard et moins bien.

    La moins mauvaise solution est donc de mettre à la tête du système de retraites par répartition unifié une personne ayant des pouvoirs très conséquents, du même genre que, dans un autre domaine, le gouverneur d’une banque centrale nationale. Cette gouvernance est trop délicate pour être confiée à des rigolos comme le sont nos politiciens et nos syndicalistes, qui veulent se mêler de tout sans en connaître le B.A. BA. Il nous faut une direction qui, lorsqu’un problème se pose, utilise intelligemment les instruments que la loi a mis en place, pas des personnes dont le réflexe sera de faire une nouvelle loi, comme nous en avons été témoins à maintes reprises depuis plusieurs décennies. La loi ne doit pas être un instrument de gouvernance : elle doit définir ces instruments, qu’utiliseront des techniciens chargés de piloter le système, comme un chauffeur pilote la voiture qui lui a été confiée.

    Supprimons le recours aux « réformes paramétriques » et créons un système rationnel

    Pour justifier la politisation de la gouvernance, une expression a été forgée : réforme paramétrique. Modifier le prix d’achat du point, relever l’âge minimal de départ à la retraite, modifier le nombre de trimestres requis pour disposer du « taux plein », toute cette cuisine qui relève en fait de la gestion courante est élaborée par le Gouvernement puis soumise au Parlement. Bien entendu, les choses traînent, les groupes de pression s’en mêlent, et la tempête dans le verre d’eau se termine par le vote d’un texte qui ne résout que très partiellement les problèmes, quand il n’en ajoute pas de nouveaux, parce que la boîte de Pandore des revendications a été ouverte et a laissé échapper toutes sortes de maux qui s’abattent sur le système de retraites.

    Il faut donc légiférer pour mettre en place un système unifié, fonctionnant par points, ayant pour instruments de gestion la valeur d’achat du point, sa valeur de service, l’âge désigné comme âge pivot, et les coefficients applicables à la valeur du point en cas de départ à un âge différent de l’âge pivot. Débarrassons-nous de l’antique relique appelée « âge de la retraite » : chacun doit être libre de la prendre quand il le juge bon, mais en toute connaissance de causes et d’effets : partir plus tôt signifie recevoir sa pension plus longtemps, et donc percevoir moins chaque mois.

    Et surtout, n’oublions pas l’essentiel

    Mais ce n’est pas tout. L’essentiel est de remplacer le mode absurde d’acquisition des points actuellement en vigueur dans différents régimes. Si le Législateur avait un peu de bon sens, il renverrait la copie qui lui est présentée puisqu’elle entérine le fonctionnement délictueux de nos retraites, émules des escrocs Ponzi et Madoff. Nous ne devons pas continuer à faire croire aux travailleurs que c’est parce qu’ils cotisent au profit de leurs aînés qu’ils vont avoir eux-mêmes une pension. Économiquement, il n’existe aucune relation de cause à effet entre le versement de cotisations au profit des personnes âgées, versement qui apure la dette contractée envers ceux qui nous ont mis au mode, nourris, logés, blanchis, soignés, éduqués, instruits, et la création d’une créance sur la génération montante. Le principe de base de nos retraites par répartition est digne d’Ubu.

    S’il est une chose auquel le législateur doit se consacrer, c’est bien celle-là : remplacer les règles ubuesques actuellement en vigueur par des règles économiquement rationnelles et justes. Le reste est de la broutille. C’est cela, plus les précisions nécessaires sur les institutions de pilotage, qui devrait être soumis au Parlement, pas un magma informe de dispositions minuscules qui ne reflètent que l’incapacité de nos gouvernants à se concentrer sur l’essentiel et à comprendre le fonctionnement réel de ce à quoi ils touchent. Si Macron et Philippe veulent nous convaincre de leur capacité à réformer le pays, qu’ils envoient au panier la copie d’énarques besogneux qu’ils essaient de faire passer à l’aide du 49-3, et qu’ils s’attèlent à une réforme qui pourrait faire de la France la lumière des nations.

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