Blog de l'AEC, Association des Économistes Catholiques
La phrase de Bossuet qui revient le plus souvent dans les conversations mondaines (Linkedin, éditoriaux de revues à grand tirage, blogs divers) est celle-ci, extraite de son "Histoire des variations des églises protestantes" (Livre IV):
« Mais Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer. Que dis-je? Quand on l’approuve et qu’on y souscrit. »
Elle est souvent reformulée et résumée comme ceci: "Dieu se rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes". Il faut bien dire qu'elle trouve trop souvent à s'appliquer, en France ou ailleurs.
Moyennant quoi la citation proposée dans ce billet provient des Sermons de Carême dits "Le Carême du Louvre", prononcés en 1662 devant le Roi (dont la liaison avec Mlle de La Vallière était cause de scandale public) par celui qui n'était pas encore l'Aigle de Meaux ni le complice du Roi en gallicanisme (hélas), dans l'affaire des Quatre Articles.
L'exercice, tout soutenu que fût Bossuet par la Reine mère Anne d'Autriche, demandait un certain doigté car il s'agissait pour monsieur l'abbé Jacques-Bénigne Bossuet, Nathan moderne, de dire en face à David (celui d'Uri le Hittite et de Bethsabée) qu'il était pécheur public.Ceci en présence de la Vallière et de quelques grands courtisans pas tous bienveillants. Le Roi ne souhaita d'ailleurs pas renouveler l'exercice l'année suivante...A noter cependant qu'à l'époque le chef de l'Etat (et inventeur de la formule), avait l'humilité de se laisser sermonner, fût-ce en termes voilés, devant témoins par un ministre de Dieu, dont il était conscient de tenir son pouvoir (Ro 13,1).
Le sermon dit "Sur l'ambition", dimanche 19 mars 1662, précède celui "Sur la mort", sans doute plus connu, du mercredi 22 mars de la même année. Bossuet y écrit et dit ceci: "Un fleuve, pour faire du bien, n'a que faire de passer ses bords ni d'inonder la campagne; en coulant paisiblement dans son lit,il ne laisse point d'arroser la terre et de présenter ses eaux aux peuples pour la commodité publique." (page 141 de l'édition Gallimard Folio classique).
Cette formule, transposée à l'entreprise et à son rôle dans la société, ne tient-elle pas le juste milieu entre les excès:
- d'un Friedman, héraut de l'école ultra-libérale, qui proclama tout bonnement (avant de s'amender sur le tard) que "la responsabilité sociale de l'entreprise est de maximiser le profit de ses actionnaires à condition de respecter les lois en vigueur " (reformulation simplifiée par nous du fameux article publié dans le New York Times Magazine du 13 septembre 1970; qui lui-même reprend une thèse de Capitalisme et Liberté, élaborée dès 1962)
- des excès inverses d'une RSE (responsabilité sociétale des entreprises version idéologie du Développement Durable) mal comprise (précisément ce que Friedman cherchait à corriger par son article au vitriol); qui voudraient faire endosser à l'entreprise tout le poids du bien commun et la transformer en association philanthropique, oubliant que c'est le Gouvernement (au sens premier) de la société qui est garant du bien commun, l'entreprise n'était qu'un corps social parmi d'autres?
Sur ce, bon Carême (et bonne lecture si cela vous donne envie de (re)lire Bossuet, ce qui, jusqu'à preuve du contraire, n'a jamais fait de mal à personne).