Blog de l'AEC, Association des Économistes Catholiques
Sœur Morard est moniale bénédictine du monastère d’Ermeton-sur-Biert en Belgique. Elle a été prieure de sa communauté pendant vingt-huit années. Ayant commenté la Règle de saint Benoît (RB dans la suite) non seulement pour ses sœurs mais aussi pour des laïcs, elle a rédigé cette série de synthèses thématiques en vue de leur application possible dans la vie quotidienne.
Les dix thématiques, abordées par autant de livrets d’une centaine de pages de petit format, sont les suivantes :
2. Vivre en frères
3. Obéir, une sagesse ?
4. Silence et ascèse
5. De la crainte à l’amour : l’humilité
6. La prière
7. Le travail
8. Les défis du quotidien
9. Accueillir, s’ouvrir au monde
10. Aimer la vie.
Parmi ceux-ci, nous avons lu seulement ceux indiqués en italiques, en ayant en tête les applications possibles à la gouvernance et au management d’entreprise. Ce qui ne veut pas dire que les autres n’ont pas d’utilité dans la vie en entreprise, le contraire est même évident. Par exemple, tous les experts en management et en leadership savent que l’humilité (devant les faits, et devant sa place dans l’entreprise ou plus généralement dans la Création) et la qualité première de celui qui dirige. Jim Collins (Management Research Laboratory, Boulder, Colorado), gourou reconnu (parmi d’autres) du leadership à la sauce américaine, auteur d’un classement annuel des dirigeants, affirme dans la très sérieuse Harvard Business Review que le plus haut niveau du leadership est l’alliance de l’humilité avec une « résolution sans faille » : https://hbr.org/2001/01/level-5-leadership-the-triumph-of-humility-and-fierce-resolve-2 . Lors de l’élection de Mgr Jorge Bergoglio connu maintenant sous le nom de François, Jeffrey A. Kames s’empressa d’ailleurs de publier « Lead with humility- 12 leadership lessons from Pope Francis »[1].
Voici donc quelques notes ou citations recueillies à l’occasion de ces lectures. Il est plus que probable que, si sœur Loyse Morard osb était priée de résumer ses « regards sur la Règle de saint Benoît » à l’usage des entreprises et de ceux qui les peuplent, elle aboutirait à un résultat significativement différent de ce qui va suivre. Il ne faut donc voir dans ce qui suit qu’une interprétation personnelle.
Sœur Morard insiste régulièrement sur les adoucissements apportés par saint Benoît à la « Règle du Maître »[2], non par angélisme mais au contraire par réalisme sur les faiblesses de la nature humaine déchue. Elle revient fréquemment dans les différents opuscules, sur ce qu’elle considère comme les trois piliers de la vie monastique : obéissance (ch. 5 de la RB), retenue dans les paroles (ch. 6) et humilité (ch.7).
Après le «premier directoire» (chapitres 1 à 7), saint Benoît introduit de longs développements dans son « second directoire » (chapitres 64 à 72) : thèmes du gouvernement (institution de l’abbé, le prieur du monastère), du silence (portier du monastère, frères en voyage) et obéissance (choses impossibles, ne pas défendre les autres, ne pas frapper à tout propos, s’obéir mutuellement) et enfin, le « bon zèle ».
Dans chaque chapitre ou sur chaque sujet d’importance, Saint Benoît a coutume de commencer par poser un principe spirituel absolu, et de le compléter ou nuancer ensuite par des indications pratiques. Pour lui, les règles générales ne passent pas avant le souci des personnes.
La Règle est écrite non pour des Parfaits mais pour des débutants qui acceptent de l’être (cf. chapitre 73, verset 8). La vie monastique n’est pas réservée aux forts ; les faibles y ont une place.
L’art de commander est d’abord un art d’aimer.
L’obéissance du moine est proportionnelle à la charité de l’abbé. Elle en dépend. L’abbé est responsable non seulement de la manière dont il enseigne le « précepte du Seigneur » mais aussi… de l’obéissance de ses disciples qui répond à sa charité pratique (v6).
Le rôle de l’abbé est de relancer, autant qu’il peut, ce mouvement de la vraie vie dans le corps de la communauté.
Le danger est pointé de « la paille et la poutre » dans la vie communautaire (v14-15)
La vie monastique n’est pas réservée aux forts ; les faibles y ont une place.
Discretio et moderatio (discernement et prudence) sont deux attitudes-clés de l’art de gouverner.
Le Prieur (« n° 2 » de la communauté, chargé notamment de la discipline) apparaît comme «mal nécessaire». On sent que saint Benoît a introduit son rôle à contrecoeur et a souffert d’expériences malheureuses. On sent également - le contraire serait incongru – que c’est la nécessité de la fonction qui lui pose problème, et non les qualités ou défauts de la personne qui l’occupe. La fonction serait dangereuse d’abord pour celui qui l’endosse. La règle d’exclusion (renvoi pur et simple) est plus sévère que pour les autres moines. Pourquoi développer ce point ici ? parce qu’en entreprise, la fonction de Secrétaire Général ou de DG Adjoint (ou d’adjoint au DG, ce qui n’est pas la même chose…) est effectivement une fonction délicate à détourer et à assumer utilement.
La vie cénobitique, par définition, met en rapport la vie fraternelle et la vie spirituelle, et les associe au profit l’une de l’autre.
Cloître de l’abbaye Saint-Wandrille de Fontenelle (76)
Une bonne part des préceptes de la RB dans ce domaine porte sur la résolution des conflits avec toujours en ligne de mire le bien commun. L’auteur insiste sur les risques d’une fausse charité.
Les fautes commises sont un défi à la charité communautaire.
Dans la Règle, le substantif « obéissance » apparaît 19 fois, « désobéissance » 5 fois, « obéir » 16 fois. Les substantifs relatifs à l’autorité ou à la hiérarchie, une centaine de fois (hors « abbé »).[3]
A l’obéissance « verticale » à Dieu, saint Benoît ajoute l’obéissance « horizontale » entre frères, afin de se purifier du besoin de dominer.
L’obéissance repose sur la confiance et l’écoute du cœur. Rien ne peut dispenser de l’obéissance, pas même l’incohérence de celui qui ne fait pas ce qu’il dit ou demande aux autres (4,61). Dans la mesure où l’obéissance arrache à eux-mêmes ceux qui la pratique, elle les grandit…
Le moine qui obéit ou le supérieur qui commande ne sont ni esclave ni tyran, mais tous deux fils du même Père et heureux de l’être.
Un ordre subjectivement possible pour un supérieur peut être objectivement impossible pour celui qui doit l’exécuter ; un ordre objectivement possible peut être subjectivement impossible à exécuter. Le moine exprime alors à son supérieur non pas sa résistance ou son opposition mais les raisons pour lesquelles il lui semble impossible d’obéir. Il y a dans ce dialogue un acteur caché, qui est Dieu.
Le travail ne répond pas seulement à une nécessité matérielle mais constitue en soi un bienfait spirituel. L’ensemble traitant de l’économie du monastère (ch.31 à 42) commence par le portrait du cellérier (« économe » si l’on veut), de même que la Règle tout entière commence par celui de l’abbé (ch.2). L’abbé porte la charge spirituelle du monastère, le cellérier sous sa dépendance assume le poids de son existence matérielle. Chacun est invité à lui apporter son soutien fraternel, moral et spirituel. Lui, en aucun cas, ne doit contrister les frères (v19 : « Que personne ne soit troublé ni contristé dans la maison de Dieu ».) Saint Benoît met un soin particulier à la question de la garde de son âme.
L’auteur note ici que saint Benoît ne reprend jamais les passages de la Règle du Maître qui comparent la communauté à une famille humaine : le lien qui unit les frères sous l’autorité de l’Abbé est surnaturel, car l’Abbé est le représentant du Christ.
Une comparaison quant aux vertus nécessaires, est établie entre cellérier et diacre (1 Tim 3, 1-13).
Les trois pièges qui guettent le cellérier : refus brutal non motivé (sans charité) laissant le demandeur frustré, accorder la préférence à ses goûts personnels (le cellérier n’a pas à se mêler de ce que l’abbé ne lui a pas confié), enfin manque d’empressement dans le soin des besoins matériels des frères ; ou au contraire empressement excessif tournant à la vaine gloire et à l’enflure.
Inversement, les frères ne doivent pas solliciter le cellérier à tout bout de champ, mais seulement aux heures prévues.
Dans la distance que prend saint Benoît avec les prescriptions détaillées de la Règle du Maître, qualifiées ici par sœur Loyse Morard de « scolaires, minutieuses et infantilisantes », il est tentant de voir un parallèle avec le mouvement actuel de « l’entreprise libérée ».
Sœur Morard souligne la décentralisation de la gestion du monastère, l’Abbé confiant des responsabilités à plusieurs. Elle voit dans la Règle un esprit de gestion dynamique et inventive.
Se sentir propriétaire de sa charge est un danger.
Un long et intéressant chapitre est ensuite consacré au service de la cuisine (chapitre 35 de la Règle : « Les semainiers de cuisine », qui s’ouvre par la phrase « Les frères se serviront mutuellement »). Saint Benoît a coutume de commencer par poser un principe spirituel absolu, et de le compléter ensuite par des indications pratiques. Il dénonce dans ce chapitre deux servitudes : la volonté propre et la gourmandise.
Le travail, s’il est vécu comme un service, ne distrait en rien du projet fondamental : « Servir Dieu en servant les autres ». Le service de la cuisine et tout ce qui s’y rattache est donc un lieu privilégié de vie spirituelle.
Les exemptions prévues par le père du monachisme occidental concernent des responsabilités encore plus absorbantes au service des autres, que la cuisine : celle du cellérier par exemple. On n’est donc pas exempté du fait de son « rang ». Les faibles ne sont pas dispensés, mais auront des « consolations » particulières adaptées à leur état. Encore ici, saint Benoît démontre sa profonde connaissance de l’être humain. Par exemple, les cuisiniers pourront prendre une heure avant le repas, un coup de vin et du pain.
Toute charge de service des autres étant malheureusement susceptible de devenir un « lieu de pouvoir personnel », saint Benoît prévoit qu’en fin de semaine, le cuisinier sortant et le cuisinier entrant accomplissent ensemble le lavement des pieds envers les frères (v9).
Le chapitre 57 qui concerne les artisans du monastère visent à protéger les moines contre les dangers de l’orgueil et de l’enrichissement indû : « Si l’un d’eux venait à s’enorgueillir de ce qu’il sait faire, se persuadant qu’il apporte quelque profit au monastère, on lui interdira l’accès à son métier et il ne s’en occupera plus… » [difficile à transposer tel quel à l’entreprise ?]
Le travail possède le pouvoir de détourner de soi.
L’abbé ne fixe pas les dispositions saisonnières en fonction de ses préférences ou de sa résistance personnelles. Il faut éviter à tout prix que la fatigue ne dégénère en murmure, quitte à agir dans un premier temps sur les effets (chaleur, soif, fatigue…) et non sur les causes.
Si les moines prient et mangent ensemble, ce n’est pas pour faciliter l’organisation des journées mais parce que la communion ainsi créée contribue à les libérer de leurs tendances égoïstes et individualistes. Pour sauvegarder un esprit, il faut l’incarner.
Saint Benoît dénonce souvent la négligence dans sa Règle. Différence profonde entre s’expliquer ou se justifier en public et « satisfaire » (c'est-à-dire reconnaître publiquement qu’on a commis un écart ou une erreur- qui peut se distinguer à l’œil nu lors d’un office lorsqu’un moine se trompe dans le chant des psaumes) ; cf. également le chapitre des coulpes, tombé en désuétude).
L’équilibre travail-prière demande à être entretenu constamment, sous peine de désintégrer l’ordre de la vie quotidienne.
Le lecteur que ces extraits auront intéressé, pourra se reporter aux ouvrages originaux (http://saintlegerproductions.fr/Regard-sur-la-regle-de-saint-Benoit.html) et bien sûr à la Règle de saint Benoît elle-même. Un approfondissement intéressant figure dans le commentaire de la Règle de saint Benoît par l’abbé Simon à l’usage des oblats (préface de Dom Pierdait osb), Vitte 1935.
La Règle de saint Benoît (v.480-v.547), inchangée (à quelques iota près) depuis mille cinq cents ans, a permis à des groupes humains sous toutes les latitudes de mener (spirituellement et matériellement) une vie communautaire stable, durable et féconde.
Une abbaye est une société d’hommes (ou de femmes, mais pas les deux à la fois, c’est une des quelques différences importantes avec l’entreprise) venus d’horizons très divers, qui partagent le même désir de consacrer leur vie entière, en communauté, à la sequela Christi prise au pied de la lettre ; autrement dit à la mise en œuvre la plus parfaite possible humainement, avec la grâce de Dieu, de l’exigence : «Celui qui veut être mon disciple, qu’il se renonce, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive» (saint Matthieu 16,24). C’est la fin prochaine du moine. Sa fin dernière, pour laquelle il met toutes les chances de son côté, c’est son salut et la prière pour le salut des hommes. Pour cela, les moines ajoutent aux trois vœux religieux usuels (pauvreté, chasteté et obéissance appelés également « réforme des mœurs ») un quatrième vœu de stabilité, sous l’autorité d’un Abbé. Saint Benoît, patriarche des moines d’Occident, n’a pas de mots trop durs pour les gyrovagues et les sarabaïtes, autrement dit ceux qui, instables, sont à eux-mêmes leur propre règle, au gré de leurs humeurs, ceux qui ne supportent pas d’obéir.
Une entreprise est également une société organisée et régulée d’hommes/femmes, d’horizons et de talents complémentaires (et non identiques, on n’est pas dans le communautarisme), qui poursuivent un but commun par la mise en commun de ressources et de talents complémentaires. Comme l’abbaye et comme toute société, elle a besoin d’une autorité, de valeurs et de règles partagées, d’une organisation et de processus. A la différence de l’abbaye, les personnes qui la composent vivent simultanément dans d’autres sociétés (familles ou proches, associations, bref la vie privée et sociale), tandis que la vie entière du moine est centrée sur l’abbaye et ses frères (resp. sœurs). La fin prochaine de l’entreprise est de fournir des biens et des services utiles à des clients solvables, de façon profitable ; sa fin dernière c’est de contribuer, en interne comme en externe, au bien commun de la société et aux biens particuliers des individus.
Il n’est donc pas absurde au vu de cette analogie partielle mais assez large, de proposer à l’entreprise l’acquis de 1500 ans d’expérience dans des cultures et des contextes extraordinairement variés ; du moins pour ce qui est transposable. D’autant que les fils de saint Benoît (au sens large) ont toujours été très engagés dans la vie économique et sociale, pratiquant la RSO (responsabilité sociétale des organisations) bien avant l’heure. Voir par exemple (parmi mille autres références) J. Décarreaux, Les moines et la civilisation en Occident, Paris, Arthaud Signe des temps, 1962 ou encore Dom Besse osb, Le moine bénédictin, Paris, Librairie de l’art catholique, 1920.
Parmi les grandes règles monastiques (saint Basile, saint Benoît, saint Augustin, saint Bruno notamment), il semblerait que soit celle de saint Benoît qui propose les transpositions les plus fécondes à l’activité économique. Même si les Dominicains (ordre prêcheur et non monastique) ont des choses à dire sur la vie sociale et économique : la Somme Théologique et divers écrits de saint Thomas d’Aquin (dominicain) a fourni la source sans égale de la Doctrine sociale de l’Eglise catholique.
Cette abbaye, outre des activités économiques usuelles dans toute abbaye bénédictine, a poussé assez loin l’implication dans le monde économique et de la finance, dans le but précisément de propager les enseignements de la doctrine sociale de l’Eglise à travers le prisme de la Règle de saint Benoît (ou peut-être l’inverse ? savoir dans quel ordre la lumière de l’Evangile traverse ces deux vitraux n’est peut-être pas indispensable.) L’auteur de cet article a participé à ces travaux ainsi qu’à la mise en œuvre des 12 RDV dans le cadre d’évaluations de gouvernance et de management d’entreprise ainsi que de due diligence. Cette transposition est l’œuvre de moines ayant l’expérience de la gestion d’entreprise et de laïcs issus de l’industrie et de la finance, et s’intéressant à la vie monastique bénédictine. La pertinence des 12 RDV a pu être vérifiée dans des contextes économiques et sociaux variés. L’expérience des membres de l’équipe de rédaction des 12 RDV a permis de vérifier que la RB avait quelque chose d’utile à dire à peu près sur tous les enjeux humains et éthiques de l’entreprise. La méthode de discernement bénédictine (discretio) s’avère utile, autant que celle de saint Ignace dans les Exercices spirituels, pour la résolution des dilemmes éthiques, très courants dans l’entreprise (choisir entre deux biens ou deux maux apparents, ayant chacun leurs avantages et leurs inconvénients).
Les 12 RDV ont été commentées dans un article récent de Dom Didier Le Gal osb dans la revue Gesta (n°85, janvier-mars 2018) de l’abbaye. On peut se les procurer soit auprès de l'abbaye soit par mon intermédiaire: contact@hyperionlbc.com .
2.1.1 Les fils conducteurs de la Règle (écrite dans le chaos qui succéda à la chute de l’Empire romain ; la Règle participa puissamment au lent retour de l’Occident à la civilisation) sont pour l’essentiel :
v le souci du bien personnel de chacun
v le silence, gage d’une véritable écoute
v l’obéissance, qui n’est pas servilité
v la parole libre et respectueuse
v l’humilité, qui n’est pas mépris de soi mais réalisme
v le discernement et la mesure en toutes choses
v l’art de gouverner (car gouverner est un art et non une technique)
v la figure du dirigeant, représentant du Christ donc serviteur
v la confiance de principe et non la défiance de principe
v la recherche d’une paix qui n’est pas un vague compromis mais la «tranquillité de l’ordre» (saint Augustin)
v la stabilité.
Le rôle du travail dans le développement personnel et collectif de l’homme est également fondamental. La journée monastique s’articule bien sûr autour de l’office divin, et les autres activités (prière et méditation personnelle, travail, accueil, repas et sa préparation…) sont subordonnées à la prière commune ; mais le tout est parfaitement équilibré… et remarquablement efficace voire efficient.
2.1.2 Les 12 Règles de Vie se proposent d’aborder tous les enjeux et pratiques de l’entreprise :
Vie collective
Rôle du dirigeant, notion d’autorité
Responsabilité et relation à l’autre, aux parties prenantes
Gouvernance et processus de décision
Prise en compte des écarts, erreurs, échecs… dans une logique de progrès de vie
Rôle de l’entreprise dans son environnement
Relation juste à la création à travers l’environnement
Relation au temps dans l’entreprise
etc.
Les 12 RDV ont été rédigées dans un langage volontairement non-confessionnel, mais en rendant visibles les apports spécifiques de l’Evangile et de la Règle (bien commun, humilité, discernement etc.)
Elles ont été précédées d’une réflexion sur l’éthique des affaires, et ensuite confrontées méthodiquement aux valeurs les plus courantes qu’on trouve dans les chartes d’entreprise. Toutes les dimensions de l’entreprise ainsi que les grandes fonctions et les processus principaux (au sens ISO) ont été croisés avec les 12 RDV. De même, les principales problématiques éthiques (corruption, conflits d’intérêts, équilibre entre vie privée et professionnelle, recrutements et licenciements etc.) ont été passées au crible.
Comme on l’a dit plus haut, les 12 RDV ont permis de créer un outil opérationnel d’évaluation éthique/ RSE (en fait, ESG+) : grille d’analyse et de cotation, permettant de réaliser une due diligence, un diagnostic, un audit, débouchant sur un plan de progrès continu dans une logique de vie et de développement. Cet outil a été et est actuellement utilisé régulièrement.
(trappiste, Abbé du Mont des Cats)[4], se lit assez facilement et est assez accessible à des transpositions au management et à la gouvernance (lire notamment :
- tout le chapitre 2 « Qualités requises pour le Père Abbé » et tout le Chapitre 3 « La réunion des Frères en conseil » pp.51 à 81)
- le chapitre 4 « Quels sont les instruments pour bien agir » p 95 et sq,
- et le chapitre 31 «Des qualités requises du Cellérier du monastère», pp. 260 à 266
Le lecteur à qui les paragraphes qui précèdent ont ouvert l’appétit de mieux connaître la spiritualité bénédictine appliquée à la vie économique pourra approfondir la question dans des ouvrages tels que ceux-ci :
• L’âme de tout apostolat, Dom Chautard (trappiste),1915, ré-édité en 2004, Traditions Monastiques (et d’autres) ; aborde d’une manière générale l’équilibre nécessaire entre la contemplation et l’action, et les dangers de l’activisme
• En quête de sens, du Père Marie-Pâques (trappiste) (éditions Abbaye de Lérins, 2012)
• L’art de décider en vérité, Dom Guillaume Jedrzejczak (trappiste) et surtout Sur un chemin de liberté, commentaire de la Règle de saint Benoît jour après jour, Anne Sigier 2006
• L’Ethique ou le Chaos, Dom Hugues Minguet osb et Jean-Louis Dherse, Presses de la Renaissance 2007
• Institut Sens et Croissance fondé en 2001 par Dom Hugues Minguet osb, dans le prolongement du Centre Entreprises de Ganagobie
• Premier Cercle : http://www.premiercercle.com/index.php?item=event-details&ide=236 (avec Pierre-Yves Gomez) ou encore http://www.premiercercle.com/index.php?item=event-details&action=program&ide=94 (avec Emmanuel Faber)
• La règle de saint Benoît, un traité moderne de management, Emmanuel Faber, conférence Premier Cercle aux Bernardins, 21/10/2009
• Vocational Business, Thomas Jauffret (investisseur et chef d’entreprise : Vocatio & Co, http://www.vocatioandco.fr/ )
· Dieu, Google, l’Entreprise et moi, du même
• Le prolifique bénédictin allemand Anselm Grün osb: (Management et accompagnement spirituel, Diriger les hommes et les éveiller à la vie, Le Moine et l’Entrepreneur avec Jochen Zeitz, alors dirigeant de Puma), etc.
• Le travail et la règle bénédictine, Pierre-Yves Gomez (voir aussi Le travail invisible et autres ouvrages ainsi que les conférences Premier Cercle)
• Le moine bénédictin, Dom Besse osb, Librairie de l’art catholique, Paris 1920
• La Règle de saint Benoît : aux sources du droit, Gérard Guyon, Dominique Martin-Morin 2012
· Dompsure Consulting : http://www.discerner.fr/ (recrutement, accompagnement et coaching)
• Le monastère au travail, Le royaume de Dieu au défi de l’économie, Isabelle Jonveau, Bayard 2011 ; thèse de doctorat 2009 sur l’économie et le travail dans les monastères.
· Quand les décideurs s’inspirent des moines (toutes religions confondues, entre autres bénédictins), Sébastien Henry, Dunod 2012.
Il y a tout ce qu’il faut dans la Règle de saint Benoît et dans ses commentaires autorisés, ainsi que dans l’expérience accumulée par les Bénédictins, pour savoir comment opérer un discernement (discretio) aussi sûrement que possible. On peut s’en convaincre en s’imprégnant des pratiques induites par la Règle, mais aussi en lisant, par exemple :
Ø Eloge de Saint Benoît (pour le 1500ème anniversaire de sa naissance) - Dom Basil Hume osb- Editions de Solesmes 2010
Ø Mansuétude, voie de paix, d’Anna Maria Cànopi osb- Médiaspaul 2010
Les Chartreux aussi ont fait profiter le monde de leur expérience (par exemple Le discernement des esprits, un chartreux, Presses de la Renaissance, 2003).
Cependant, le champion toutes catégories du discernement et des pièges d’interprétation dans lesquels peut tomber un esprit introspectif, c’est bien saint Ignace de Loyola. De plus, cet ancien militaire de valeur, parle un langage qui relie efficacement le spirituel au pratique.
Le discernement est à la fois une vertu et une action : il faut du discernement pour opérer un discernement correct ! Surtout quand il s’agit de choisir entre deux biens apparents et non pas entre un bien et un mal apparents (sinon c’est facile, c’est juste une question de volonté). Joseph L. Badaracco Jr, professeur de «business ethics» à Harvard, a remarquablement traité des dilemmes éthiques dans «Defining Moments, When Managers Must Choose between Right and Right»[5].
Si la pratique des Exercices spirituels du fondateur de la Compagnie de Jésus, pépinière de saints (non la seule), a été recommandée par 38 papes (de Paul III (lettre apostolique de 1548) au pape jésuite régnant actuellement, en passant par Pie XI avec l’encyclique- excusez du peu- Mens Nostra 1929), ce n’est pas sans raison : c’est parce qu’ils sont adaptés aussi bien à la vie des laïcs qu’à celle des religieux et parce qu’ils ont montré leur efficacité remarquable. Cette gymnastique spirituelle et mentale (ou plutôt ce sport de combat spirituel) révèle une finesse psychologique étonnante et inépuisable, en situation de décision stratégique ou de crise. Ils servent principalement à préparer par le discernement une décision engageant une existence entière. Le militaire dans l’âme qu’était Ignace de Loyola nous fait retrouver méthodiquement des outils familiers aux entreprises (une autre source principale d’inspiration stratégique et managériale de l’entreprise est l’armée ! voir par exemple Penser la guerre, penser l'économie de Christian Schmidt, Odile Jacob 1991) :
1. analyse comparative multicritères (élection)
2. plan de progrès continu pluriannuel
3. approche «projet» (management par objectif)
4. distinction entre but, voies et moyens, besoin et solution(s)
5. examen d’une question sous tous ses aspects
6. la réflexion (contemplation) au service de l’action
7. capacité à prendre le point de vue d’un autre
8. vision globale et action locale
9. savoir se taire pour mieux écouter
10. etc.
On aura compris que le but premier des Exercices (voir le Principe & Fondement, § 23)[6] n’est certainement pas d’améliorer ses pratiques managériales, mais un retraitant averti récoltera au passage quelques bonnes bases de réflexion et d’action pour son quotidien professionnel.
La littérature sur le sujet (de la transposition aux affaires) est probablement moins vaste que celle concernant la Règle de saint Benoît, cependant on citera par exemple:
Management Exercices, dérivés des Ignatian Exercices, notamment University of San Francisco, University St Thomas (St Paul Minnesota),
Exercices spirituels pour managers, Etienne Perrot sj (DDB, 2014)
Le discernement managérial, entre contrainte et conscience, Etienne Perrot sj, DDB 2012
L’art de décider en situations complexes, Etienne Perrot sj (DDB, 2007)
Discerner pour décider, Bernard Bougon sj et Laurent Falque, Dunod Stratégie& Management,2014
«Exercices spirituels pour managers» d’Etienne Perrot sj propose une transposition méthodique (et non une application directe et mécanique) de l’anthropologie ignacienne au management : «Faire l’épreuve du réel dans le contexte particulier de sa responsabilité.» On notera enfin que les Exercices s’adressent autant au «coach» (le directeur spirituel qui fait pratiquer les Exercices) qu’au manager (le retraitant).
Ø Cahiers Pro Persona : cahiers sur l’éthique de l’économie et de la finance, associé à Proclero ci-dessus ( https://www.propersona.fr/ )
Ø Ichtus : http://www.ichtus.fr/le-sens-chretien-du-travail/ (héritier jusqu’à un certain point de la Cité catholique du regretté Jean Ousset et des travaux de Jean Daujat; voir aussi l’AFS d’Arnaud de Lassus (+) et Civitas)
Ø Collège des Bernardins : colloques et travaux sur l’entreprise : https://www.collegedesbernardins.fr/recherche/economie-et-societe
et par exemple « L’entreprise, point aveugle du savoir », Colloque de Cerisy 2013, Editions Sciences humaines 2014
Ø « Le Travail invisible, Pierre-Yves Gomez », François Bourin 2013
Ø Philippe de Woot (belge) : « Lettre ouverte aux décideurs chrétiens en temps d’urgence », « Fragments de sagesse pour dirigeants d’entreprises », Lethielleux-DDB-2009 ; « Repenser l’entreprise » : compétitivité, technologie et société, rendre à l’action économique ses dimensions éthique et politique, Académie royale de Belgique, 2013 ; « RSE : faut-il enchaîner Prométhée », Economica, 2005
Ø Cécile Renouard (assomptionniste) : « Ethique et Entreprise », Editions de l’Atelier 2013 ; avec Gaël Giraud (jésuite) « Vingt propositions pour réformer le capitalisme », Flammarion 2009
Ø Opus Dei : sanctification du travail : http://opusdei.org/fr-fr/article/sanctification-du-travail/ ; http://www.fr.josemariaescriva.info/article/sanctification-du-travail
Ø Dans le prolongement du catholicisme social, les EDC Entrepreneurs et dirigeants chrétiens (https://www.lesedc.org/), le MCC Mouvement des Cadres Chrétiens (http://www.mcc.asso.fr/) , l’ACI Action catholique des milieux indépendants (http://www.acifrance.com/ )
Ø Les EDC relèvent d’une organisation plus vaste, l’UNIAPAC (Union internationale Chrétienne des Dirigeants d’Entreprise, International Christian Union of the Business Executives, aujourd’hui œcuménique mais à l’origine Associations Patronales Catholiques) : http://www.uniapac.org/home/Foundation. Michel Albert (Les 2 capitalismes…), Etienne Wibaux en furent présidents.
Ø Pierre de Lauzun (banquier, économiste catholique et fin connaisseur de la pensée économique et financière de l’Eglise au Moyen-Age et à la Renaissance) : de nombreux ouvrages chrétiens tels que « Le chrétien, l’Evangile et l’Argent » ; « Finance, un regard chrétien » etc. Voir son blog http://www.pierredelauzun.com/
Ø « Invitation au leadership authentique, développez un style de management personnel, efficace et durable », François-Daniel Migeon, Eyrolles, 2013- Migeon est le fondateur du Thomas More Leadership Institute et de Thomas More Partners
Ø « Virtuous leadership- an agenda for personal excellence »- Alexandre Havard- Scepter Publishers (2007)- Alexandre Dianine-Havard se réclame d’une part d’Alexandre Soljenitsyne, d’autre part de saint Jose Maria Escriva de Balaguer, fondateur de l’Opus Dei. Il a fondé le réseau mondial des Instituts du Leadership Vertueux, http://hvli.org/fr/ .
Ø Et bien d’autres encore.
[1] Amacom 2015 (Amacom a été racheté depuis par Harper Collins).
[2] La Règle du Maître qui date du début du VIème siècle, est une des sources d’inspiration de saint Benoît (+547), l’autre étant… son expérience de la vie monastique.
[3] On notera que, contrairement à l’entreprise, le moine passe ses journées (sauf sortie) dans un seul endroit ; la distinction vie professionnelle (travail+prière liturgique) / vie privée n’a pas de sens géographique, même si la notion de « privacy »(disons, « sphère individuelle ») a toute sa place dans la vie monastique. L’aphorisme de saint Benoît « Que personne ne soit troublé ni contristé dans la maison de Dieu » (ch. 31, v19) est en fait une condition sine qua non pour que « la vie soit vivable » une existence entière dans ce lieu. Cela passe non seulement par la charité fraternelle mais par la discipline.
[4] Anne Sieger, 2006
[5] Harvard Business School Press, 1997.
[6] n°23 Principe et Fondement : L’homme est créé pour louer, honorer et servir Dieu Notre-Seigneur, et par là sauver son âme. Et les autres choses qui sont sur la terre sont créées pour l’homme, et pour l’aider dans la poursuite de la fin que Dieu lui a fixé en le créant.
D’où il suit qu’il doit en user pour autant qu’elles le servent dans cette fin, et qu’il doit s’en dégager pour autant qu’elles l’en détournent.