Blog de l'AEC, Association des Économistes Catholiques
Cette phrase remet en cause trois lois retraites : celle de 2003, qui augmentait le nombre des années d’assurance requis pour avoir droit au taux plein (nombre déjà porté de 37,5 à 40 par la loi de 1993) ; celle de 2010, qui a augmenté les âges légaux de la retraite, ceux qui permettent de liquider sa pension au taux plein si l’on a suffisamment d’annuités (1er âge) ou si l’on est assez vieux (2e âge) ; et la loi retraite 2014, qui poussait encore un peu les curseurs vers le haut.
Ces dispositions ne concernent directement que les régimes de base, lesquels fonctionnent par annuités, mais elles impactent néanmoins aussi les régimes complémentaires, qui utilisent la technique des points, à commencer par l’Arrco et l’Agirc, obligées en pratique de suivre le mouvement imprimé au régime général. La réforme mise en œuvre en 1983 par l’Union de la Gauche avait plongé dans l’embarras les régimes créés et pilotés par les partenaires sociaux : ils avaient été contraints d’instaurer une cotisation supplémentaire ne procurant aucun point aux cotisants. Si le Front National gagne les élections et applique l’engagement 52 de Marine Le Pen, les efforts faits récemment par les syndicats patronaux et ouvriers pour redresser les comptes de l’Agirc-Arrco seront réduits à néant d’un trait de plume, et il faudra à nouveau majorer les taux de cotisation. Drôle d’encouragement apporté à une gestion paritaire pour une fois plutôt courageuse !
Pour l’ensemble des régimes, de base et complémentaires, une récente étude1 de la Drees (l’organisme statistique des ministères sociaux) estime que « les modifications réglementaires en matière de retraite engagées entre 2010 et 2015 ont pour effet, à terme, de réduire la durée passée à la retraite de 2 ans en moyenne ». 2 ans de pensions, à plus de 300 Md€ par an, cela dépasse 600 Md€. Les engagements de retraite constituent une formidable dette publique implicite, plus importante que celle de l’État stricto sensu : cette dette implicite, les lois que Marine Le Pen s’engage à faire voter l’augmenteraient d’au moins 600 Md€.
Les conséquences annuelles sur le système de retraite des dispositions prises en 2010 et 2014 ne sont pas constantes au cours du temps. À l’horizon 2040, la Drees les situe à 1,04 point de PIB, soit plus de 35 Md€ compte tenu des hypothèses de croissance retenues par cet organisme. Notons que les effets de la loi retraite 2003, également visée par le FN, ne sont pas pris en compte dans ce chiffrage. Les économies qui résulteraient de la mise en œuvre du projet Le Pen, par exemple en matière de chômage, ne dépassent probablement pas celles qui résultent pour les pensions de cette loi de 2003. On peut donc considérer 1 % du PIB comme une estimation réaliste du surcoût de dépenses, net des économies réalisées, qu’engendrerait l’engagement 52.
Ces chiffres, pour importants qu’ils soient, ne constituent cependant pas l’essentiel. Si la France a besoin d’une réforme des retraites, ce n’est pas seulement ni même principalement parce que le système actuel est trop onéreux : c’est surtout parce qu’il est fondamentalement absurde et injuste. Il est dit contributif parce que les cotisations vieillesse sont la source juridique des droits à pension, et c’est là que le bât blesse : comme le disait jadis Alfred Sauvy à une journaliste qui ne voyait pas le rapport entre démographie et avenir des retraites, les cotisations des actifs, immédiatement reversées aux retraités actuels, ne servent rigoureusement à rien pour garantir aux travailleurs actuels que dans 30 ans et 50 ans il y aura des cotisants en nombre suffisant pour payer leurs pensions.
Le système des « retraites par répartition » repose entièrement sur la mise au monde et la bonne éducation des enfants. Marine Le Pen rejoint hélas l’ensemble des candidats à la présidence de la République en omettant d’aborder ce problème absolument névralgique. Elle qui veut absolument se différencier du microcosme politicien avait pourtant là une belle occasion de faire entendre sa différence.
Charles de Gaulle disait que si les Français n’ont pas assez d’enfants, la France ne sera plus qu’une grande lumière qui s’éteint. J’ajouterai qu’en sus ils auront de faibles retraites, et que s’ils ne forment pas suffisamment bien leurs enfants, les pensions seront encore plus modestes. Compte tenu du naufrage de beaucoup de nos établissements scolaires et de la baisse du nombre des naissances en France au cours des 4 dernières années (745 000 en 2016 contre 790 000 en 2012), prévoir d’instaurer de jure le lien qui existe de facto entre retraites, natalité et formation initiale aurait pu être la valeur ajoutée d’une outsider, puisque nos hommes politiques « classiques » ne s’en occupent pas. Force est de constater que, dans ce domaine, Marine Le Pen est elle aussi tristement « classique ».