• Libre marché et Doctrine Sociale de l'Église.

    Marché flottant - Photo de brendan gogarty, de FreeImages 

    Il existe de bonnes raisons d'estimer qu'en de nombreuses circonstances "le marché libre soit l'instrument le plus approprié pour répartir les ressources et répondre efficacement aux besoins". Cette affirmation figure à l'article 347 du Compendium, dans le 7e chapitre consacré à la vie économique.

    Dans le présent article, je me propose de voir dans quelle mesure cette affirmation s'appuie sur les principes de la Doctrine Sociale de l'Église (DSÉ), d'une part, et la raison, d'autre part, et quelles sont les circonstances dans lesquelles le marché libre ne serait pas l'instrument le plus efficace.

    Cohérence avec les principes de la DSÉ.

    Le principe de base de la DSÉ est le principe personnaliste, ou principe de la dignité humaine. Il affirme que tout homme, parce qu'il a été créé par Dieu, dispose d'une très haute et inconditionnelle dignité. Une expression de ce principe se trouve à l'article 135 du Compendium : "L'homme ne peut tendre au bien que dans la liberté que Dieu lui a donnée comme signe sublime de son image(...) La dignité de l'homme exige donc de lui qu'il agisse selon un choix conscient et libre mû et déterminé par une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives ou d'une contrainte extérieure".
    L'incompatibilité de toute contrainte avec la DSÉ est confirmée à l'article 155 du Compendium : "Tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit... »[1] ainsi qu'à l'article 421 : "La société et l'État ne doivent pas contraindre une personne à agir contre sa conscience, ni l'empêcher d'agir en conformité avec celle-ci"[2]

    Cohérence avec la raison.

    Une partie de arguments de raison soutenant l'affirmation figurant dans le chapeau de notre article se trouve à l'article 347 précité : "La doctrine sociale de l'Église considère positivement les avantages sûrs qu'offrent les mécanismes du marché libre, aussi bien pour une meilleure utilisation des ressources que pour la facilitation de l'échange des produits; « surtout, ils [les mécanismes] placent au centre la volonté et les préférences de la personne, qui, dans un contrat, rencontrent celles d'une autre personne » (Jean-Paul II, Encycl. Centesimus annus, 40).

    Un vrai marché concurrentiel est un instrument efficace pour atteindre d'importants objectifs de justice : modérer les excès de profit des entreprises ; répondre aux exigences des consommateurs ; réaliser une meilleure utilisation et une économie des ressources ; récompenser les efforts des entreprises et l'habileté d'innovation et faire circuler l'information de façon qu'il soit vraiment possible de confronter et d'acquérir les produits dans un contexte de saine concurrence."

    Le mécanisme du marché libre est spontané et efficace : le prix du marché se fixe de façon naturelle de façon à permettre de maximiser les échanges et, donc, la production de biens et services. Si l’État intervient pour enrayer ce mécanisme, par exemple en fixant un prix maximum ou minimum, en réglementant pour interdire ou contraindre, en instituant un prélèvement obligatoire sur les transactions, cela décourage immédiatement l’offre et/ou la demande, cela fait diminuer les quantités échangées et la richesse créée[3]. Je crois inutile de chercher plus loin l’explication du chômage, notamment.

    Il faut bien comprendre l’importance du rôle fondamental joué par les prix sur un marché. Les prix libres sont un support d’information gratuit, spontané et indispensable.
    Lorsqu’ils montent, ils font savoir aux consommateurs que leur demande a de plus en plus de mal à être satisfaite par l’offre. Cela les incite à réduire leur consommation du bien ou du service concerné, ou de lui trouver un substitut moins cher. Cela incite, parallèlement, les producteurs à augmenter leur capacité de production, à réduire leurs coûts de production, à imaginer des moyens alternatifs pour satisfaire la demande. Ce changement de comportement des consommateurs et des producteurs doit normalement aboutir, à plus ou moins long terme, à un retournement des prix, qui devraient repartir à la baisse.
    La baisse des prix entraîne normalement, toutes choses étant égales par ailleurs, les phénomènes inverses : augmentation de la demande, réduction des capacités de production, éventuel retournement des prix qui repartiraient à la hausse.
    Toutefois, la tendance naturelle des prix, dans un marché libre, est la baisse, à cause de la concurrence et des progrès accomplis en termes de productivité. Le phénomène de l’inflation (des prix) est contre nature ; il résulte de l’inflation (de la masse monétaire et des entraves au libre marché que sont la réglementation et la fiscalité), imputables aux États.

    Lorsque l’État intervient sur les prix, notamment en les plafonnant (comme pour les loyers), en leur fixant un plancher (comme pour les salaires), il dérègle le mécanisme décrit ci-dessus, ce qui constitue une injustice et provoque de très dommageables troubles sociaux, comme l'exprime le principe de subsidiarité[4] ! Les modifications de comportement qui seraient nécessaires, de la part des acteurs du marché, ne se produisent pas. La distorsion entre le niveau de la demande et celui de l’offre ne disparaît pas, elle peut même s’amplifier. C’est ce que l’on peut constater, notamment, sur le marché de l’emploi.

    Quelles éventuelles exceptions à la supériorité du libre marché ?

    La DSÉ, dans ses passages "prudentiels", en évoque la possibilité mais n'en cite explicitement aucune. À mon sens, les expressions du principe personnaliste, citées dans mon premier paragraphe, excluent toute possibilité d'exception, hormis une conscience insuffisamment formée (enfants, handicapés mentaux).

    L'État, de son côté, a élaboré une série de justifications à son intervention par la contrainte :

    • la production de biens ou services "collectifs" censés ne pouvoir être produits de façon satisfaisante que par lui: éducation, défense nationale, police, justice, phares (en mer), feux d'artifice, etc. ;
    • les "externalités" négatives de certaines productions privées (ex : la pollution) ;.
    • les "défaillances" ou "imperfections" du marché (ex : asymétrie d'information).

    Il me paraît inutile de passer du temps sur ces justifications. J'observe que

    • il existe ou a existé des armées privées, des polices privées, des tribunaux privés, des phares privés, des rues (et même des villes) privées (j'ai habité dans une d'elles), des feux d'artifices privés (j'ai assisté à l'un d'eux à l'occasion d'un mariage) ;
    • ce qui est le plus souvent pollué ou détruit, ce sont les "biens collectifs", comme l'air, le sol, la mer, les rivières, les cathédrales de Paris ou de Nantes, les rues, etc. ;
    • les défaillances ou imperfections de l'État (centaines de millions de morts provoquées par les guerres déclarées par les États, financement par le vol - les prélèvement obligatoires qui, en France, représentent environ 45% du PIB - et par la dette, asservissement de la population,...) sont sans commune mesure avec les prétendues défaillances ou imperfections du marché.

    Conclusion.

    Je crois avoir montré que seul le marché libre est compatible avec la DSÉ. Je ne prétends pas avoir démontré que, comme l'indique le Compendium, la DSÉ soit l'instrument le plus approprié pour répondre aux besoins humains, mais d'autres (je pense aux économistes libéraux, en particulier ceux de l'école autrichienne) s'en sont chargés, confortés par les différences de performance observables entre les pays très étatistes et ceux qui le sont moins.

    J'avoue être surpris par le fait que mes conclusions soient loin d'être partagées par la majorité des membres de l'AEC. Je ne vois qu'une explication à ce mystère (à mes yeux) : le conditionnement de la population, réalisé de façon de plus en plus efficace par l'État, l'Éducation Nationales, la classe politique, les médias de l'État ou de connivence avec celui-ci, et par...l'Église !

    Je m'amuse parfois à imaginer quels seraient les emplois qui disparaîtraient ou dont le nombre fondrait si l'État s'effaçait ou renonçait à l'usage de la contrainte. Par exemple, les agents de la Sécurité Sociale, les comptables (nombre d'entre eux ont pour rôle essentiel de calculer l'assiette de l'impôt sur les résultats ou les revenus dont leurs clients sont redevables), les juristes (alimentés par l'inflation de lois et règlements), les conseillers fiscaux et... les économistes (bon nombre d'entre eux travaillent sur des sujets - comme les retraites ou la monnaie - et à partir de données - comme la valeur ajoutée - qui perdraient beaucoup d'intérêt ou disparaîtraient en même temps que l'État ! Est-ce une explication (inconsciente) de la difficulté de mes amis économistes à envisager l'hypothèse que l'existence d'un pouvoir politique recourant par principe à la contrainte ne soit pas conforme au projet divin pour l'humanité ?

     

    [1] Concile Œcuménique Vatican II, Décl. Dignitatis humanae, 2)

    [2] Concile Œcuménique Vatican II, Décl. Dignitatis humanae, 3)

    [3] Depuis que les hommes se sont rendu compte qu’il est plus efficace que chacun se spécialise dans une production, puis échange celle-ci avec des biens et services produits par d’autres, ils ne produisent de la richesse que dans la limite de leur capacité à échanger ou consommer eux-mêmes ladite richesse. Toute entrave à l’échange, par intervention de l’État, est donc, indirectement, une entrave à la production de richesse.

    [4] "De même qu'on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s'acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi, ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler de manière très dommageable l'ordre social, que de retirer aux groupements d'ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d'un rang plus élevé, les fonctions qu'ils sont en mesure de remplir eux-mêmes" (Compendium, 186 ; Pie XI, encycl. Quadragesimo anno, 86).

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