• Disparition du "Courrier d'Aix": un cas emblématique

    Disparition d'un petit journal aixois d'annonces légales, d'articles de fond et de nouvelles locales : l'événement est  bien trop mince pour intéresser les économistes et figurer dans les colonnes d'un journal de grande audience. On peut pourtant y voir un effet collatéral caractéristique du matérialisme mondialisé et de la dictature de la finance.

    Le Courrier d’Aix assurait non seulement la publication d’annonces légales, mais aussi celle d’articles de fond, souvent courts mais toujours denses et de bonne tenue. Ainsi que des actualités locales où chacun pouvait trouver quelque chose d’intéressant en cherchant un peu, sur fond d’ancestrale et picrocholine rivalité entre Marseille et Aix (ou entre Aix et Marseille, allez savoir si vous n’êtes pas né ici). Sans oublier un éditorial en provençal rédigé par le vicaire général de l’Archevêché d’Aix-Arles. Bref, une feuille de chou locale, ancrée dans la vie hebdomadaire de personnes elles-mêmes plus ou moins enracinées dans la vie locale («enracinées» : relire L’enracinement, de Simone Weil : fait partie des œuvres qui méritent d’être lues au moins deux fois). Racines plus ou moins anciennes, notamment celles des transfuges (dont l'auteur de ces lignes fait partie), venant du Nord (de la Loire, ou simplement d’Avignon), qui ont déferlé sur la Provence, avant ou après le TGV Sud-Est.

     

     Disparition du "Courrier d'Aix": un cas emblématique

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    L’initiative du Courrier d’Aix en 1944 revient à un imprimeur local (on en trouve de moins en moins, ce qui révèle également une certaine régression de notre société) dont la descendance a vaillamment pris le relais. Selon le journal, l'arrêt des publications est dû aux difficultés financières engendrées par la baisse de chalandise pour les annonces légales (trustées de plus en plus par les éléphants). Le Courrier d’Aix a mis la clef sous la porte en ce mois de janvier, après l’avoir annoncé à ses lecteurs et abonnés.

    Minuscule événement à l’échelle de la planète voire à l’échelle nationale (même si ce dernier qualificatif a un sens économique de moins en moins clair). Evénement sans doute dérisoire eu égard aux malheurs et aux difficultés dans lequel notre monde est enlisé. Et pourtant…

    Quelles que soient les causes, le fait est là. On est probablement en présence du résultat direct des effets conjugués de la pression concurrentielle, des charges croissantes pesant sur les entreprises et du désert que crée progressivement dans le tissu économique et social la course au gigantisme et à la standardisation : pour survivre il faut être de plus en plus gros et conforme à un modèle de «business» (pardon pour le mot) bien précis, d’inspiration anglo-saxonne. Pour prendre trois éminents représentants du versant méridional de la France, il y a là de quoi faire se retourner dans leur tombe Jaurès l’occitan (un coup à gauche), Maurras le martégal et félibre (un coup à droite), et Mistral (pour l’éditorial en provençal). Par ricochet, destruction continue d’un certain art de vivre, que reflétait fidèlement ce journal.

    Disparition du "Courrier d'Aix": un cas emblématique

             

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

           

     

     

     

     

     

     

           

            Gageons que cette destruction du tissu social et économique est en cours, de façon similaire en d’autres lieux dans l’Hexagone, pas que pour des journaux du type du Courrier d’Aix. La main invisible de Smith et des libéraux extrêmes est à l’œuvre, la «destruction créatrice» chère à Schumpeter aussi, mais le résultat dans ce cas précis est bien inquiétant. Même si, d'après les sources administratives il subsiste encore quelques journaux locaux plus ou moins comparables, au moins pour les annonces légales: L'Agriculteur provençal (Aix), L'Homme de Bronze (Arles).

             Comme toute science, la science économique se nourrit de faits, et non d'idées. Celui-ci rejoint la cohorte des statistiques.

              Plutôt que se lamenter il faut se retrousser les manches. Sans doute, mais il n’est pas défendu de faire les deux, si de saluer au passage un témoin d’une époque où le «vivre ensemble» (comme on dit) était sans doute une réalité (pas nécessairement toujours rose) et non une incantation.

     

     

    « PACTE : 5/1/2018, Une heureuse initiative du gouvernement, concernant l’objet social des entreprises. Pourquoi pas la SOSE (société à objet social étendu) ou la SCS (société de capitalisme so"Gouverner, c'est aussi sanctionner", par Jacques Bichot »
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  • Commentaires

    1
    dmic
    Samedi 13 Janvier 2018 à 22:01

     Cher collègue,

     Tu attires notre attention sur une disparition. Bien que j’aie plutôt tendance à déplorer ce fait, je me demande si l’avant-dernier paragraphe de ton signalement tient debout : « Comme toute science, la science économique se nourrit de faits, et non d'idées. Celui-ci rejoint la cohorte des statistiques. » 

    La reconnaissance d’un fait est une idée. Dans nos idées, il n’y a évidemment pas que la reconnaissance de faits. Du côté de la cohorte des statistiques, j’ai du mal à voir des quantifications qui ne sont pas 1) calibrées par des idées, 2) colportées afin de conforter des idées. Idées dont plus d’une est un mirage que seul peut débusquer leur analyse avant toute quantification. En économie notamment.

     L’un des jugements les plus imbéciles sur les économistes profère : ils devraient passer tout leur temps à des chiffrages. Sans se poser de questions sur les catégories forcément établies par de la théorisation ?

    Dominique

     

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    2
    Dimanche 14 Janvier 2018 à 09:11

    Cher collègue, merci pour cette précision sur une affirmation trop concise. Je veux dire par là qu'une théorie qui ne se soumet pas au verdict de la concordance avec les faits (mesurables collectivement si possible), est autre chose qu'une science; et même, d'une utilité douteuse si ce n'est pour la clarification progressive des idées de ceux qui l'élaborent ou à titre de gymnastique intellectuelle. Je te rejoins sur le rôle des idées (idées/conceptualisation/essence des choses/catégories/concepts/etc.)

    Je reconnais d'ailleurs bien volontiers que mon article, qui prétend voir dans ce micro-événement une conséquence de macro-phénomènes à l'oeuvre à l'échelle de la planète, n'a rien de scientifique! Il relève plus de l'émotionnel que du rationnel. Ce qui ne veut pas dire que l'affirmation est fausse ;)

    Laurent

    3
    Dimanche 14 Janvier 2018 à 09:39

    Un autre lecteur matinal me fait observer que certes l'utilité sociale du Courrier d'Aix était incontestable, mais qu'utilité sociale et équilibre budgétaire voire profitabilité sont tout sauf incompatible (c'est la base même de l'argumentaire en faveur de la RSE,ou plus largement le fondement des théories économiques qui mettent l'entreprise ou les corps intermédiaires au service du bien commun).Or, c'est la perte du chiffre d'affaire sur les annonces légales qui semble avoir déclenché la disparition du journal. Il semble donc qu'il y ait quelque part une incohérence, sauf si l'utilité sociale n'était pas reconnue.

    Bon dimanche.

    4
    Bichot
    Dimanche 14 Janvier 2018 à 12:34

    La disparition de ce journal semble tenir au fait que nous avons appris à ne plus payer pour certains services . Nous en bénéficions au prix de pertes de temps et d'ouveerture au pillage de nos caractéristiques personnelles, et nous ne valorisons pas correctement ce coût. Les trafiquants en publicité ciblée nous ont bien eu. C'est un vrai problème de civilisation sur lequel il faudra revenir.

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